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Le « mythe de l’assimilation gaie » (Haritaworn, 2008)

Chapitre 1 : Dissensions théoriques et critiques des études qui produisent/invisibilisent

1.3 Les sexualités lesbiennes/queers et la nation: Une participation toujours genrée à un

1.3.2 L’incorporation de certains citoyens gais, lesbiennes et queer au profit de nation

1.3.2.2 Le « mythe de l’assimilation gaie » (Haritaworn, 2008)

Parallèlement, le concept de « mythe de l’assimilation gaie » que déploie le sociologue et queer de couleur Jin Haritaworn (2008), dont les analyses se centrent sur certains États-nations occidentaux7, abonde dans le même sens: “The myth of assimilation is crucially enabled by a redefinition of the West as sexually progressive” (Haritaworn, 2008). Ce dernier insiste également sur la soudaine assertion d’une tradition européenne qui revendique, à côté de la démocratie, des valeurs supposées profondément antihomophobes, antisexistes et antiracistes qui témoigneraient de sa modernité et de sa civilisation supérieures. L’invention de cette tradition humaniste en partie homophile naît invraisemblablement d’une révision et d’une réécriture des mœurs de criminalisation et de pathologisation de l’homosexualité, et coïncide avec (et même, parfois, précède) une récente8 inclusion symbolique et juridique sélective de

7 Plus spécifiquement l’Angleterre et l’Allemagne, mais aussi les États-Unis et Israël.

8 En effet, notons en guise d’exemples la relative nouveauté du droit à l’enregistrement de partenaires de même sexe en

certains sujets gais, lesbiennes et queers par des réformes légales de statuts et de politiques discriminatoires (Haritaworn, 2008). Cette situation illustre par ailleurs l’inhérente contradiction temporelle du nationalisme, entendue au sens de Deniz Kandiyoti : “[Nationalism] presents itself both as a modern project that melts and transforms traditional attachments in favour of new identities and as a reflection of authentic cultural values culled from the depths of a presumed communal past” (Cité dans McClintock, 1995, p.358).

Ainsi, la ténue assimilation juridique et symbolique (dans le marché, la loi, l’armée, etc.) de quelques gais, lesbiennes et queers à certains nationalismes occidentaux, bien que genrée, racialisée et classiste, permet à ses promoteurs de poser l’Ouest comme résolument moderne et démocratique et de s’autoproclamer spécialistes avant-gardistes investis d’une mission civilisatrice de libération sexuelle (Binnie, 2004; Puar, 2005, 2006; Gunkel et Pitcher, 2008; Haritaworn, 2008; Stychin, 2000). Pourtant, les premiers homosexuels ayant théoriquement bénéficié d’une protection sont ceux évoluant en contexte postcolonial de l’Afrique du Sud, dont la nouvelle Constitution de 1994 incluait des lois contre la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle (Spurlin, 2001). De plus, un traitement discriminatoire systémique plus ou moins visible touche encore plusieurs gais, lesbiennes et queers occidentaux dans plusieurs domaines au sein desquels s’insèrent leurs interactions sociales quotidiennes (emploi, école, famille, etc.). L’accroissement relatif de leurs droits est très inégal et résulte d’actions relativement récentes qui font parfois l’objet de contestations importantes (Flory, 2007; GRIS- Montréal, 2007)9. Les expériences d’homophobie et de racisme que relatent notamment certains immigrants et queers de couleur modèrent aussi le mythe du nirvana occidental espéré avec l’âge hétérosexuel en matière de consentement pour les rapports sexuels, et a retiré en 2003 l’interdiction pour les professeurs de discuter de l’homosexualité. (Haritaworn et al., 2008).

9 Soulignons par exemple la nouveauté et l’étendue relatives de l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe,

reconnu par quatorze pays. Les Pays-Bas ont fait office de pionniers en 2001, suivis de la Belgique (2003), de l’Espagne (2005), du Canada (2005), de l’Afrique du Sud (2006), de la Norvège (2009), de la Suède (2009), du Portugal (2010), de l’Islande (2010), de l’Argentine (2010), du Danemark (2012), de l’Uruguay (2013), de la France (2013) et de la Nouvelle- Zélande (André, 2010; R., 2013, Wikipédia, 2013). Par ailleurs, dix pays de l’Union européenne autorisent une forme d’union civile pour les couples homosexuels (France (2000), Allemagne (2001), Royaume-Uni (2004), République tchèque (2006), Hongrie (2007), Finlande (2010), Luxembourg (2010), Slovénie (2010), Irlande (2010), Autriche (2010)), alors qu’onze autres n’en reconnaissent aucune (Italie, Grèce, Chypre, Malte, Slovaquie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Roumanie, Bulgarie, Pologne) (toutel’europe.eu, 2012). L’adoption, quant à elle, est admise par neuf pays européens (toutel’europe.eu, 2012). En contexte états-unien, force est de constater que l’acceptation clamée de l’homosexualité s’apparente possiblement plus à la tolérance alors que « l’égalité juridique ne correspond pas à l’égalité de fait, même si elle y contribue » (GRIS-Montréal, 2007, p.19). À l’image du Mexique et du Brésil, le droit au mariage entre couples de même sexe se limite à certaines parties de son territoire, alors qu’à ce jour, seulement douze états américains ont légalisé le mariage entre personnes de même sexe; le Maine, le Connecticut, le Massachusetts, le Vermont, l’Iowa, le Maryland, le New Hampshire, New York, Washington, Washington D.C., le Delaware, et Rhode Island (Eckholm, 2012; Wikipédia, 2013).

(Binnie, 2004). Qui plus est, il était impossible pour les migrants gais, lesbiennes et queers d’immigrer ou de demander asile aux États-Unis avant les années 1990, où ils étaient pathologisés par la loi comme des déviants sexuels (Randazzo, 2005; Chbat, 2011).

Nonobstant ces limites évidentes, cette supposée ouverture et tolérance à la diversité sexuelle que s’autoapproprient certains pays homonationalistes occidentaux en tant qu’« imaginative geographies » (Gregory, 2004, p.117) ou qu’« imagined community » (Anderson, 1991[1983], p.32) permet à l’Ouest de reprendre son rôle antérieur de gardien de la moralité de la civilisation, laquelle en théorie ne se définit plus exclusivement par la monogamie, le mariage et le contrôle hétérosexuels. De la sorte, l’Occident peut s’inscrire « légitimement » dans une entreprise internationale dite d’émancipation sexuelle de contrées dépeintes comme barbares et rétrogrades en ces domaines, en recourant si nécessaire à des moyens symboliquement violents, tels qu’entrevus précédemment, et matériellement violents, tels qu’expliqués ci- dessous.

En effet, une des manifestations les plus insidieuses de la domestication de corps gais, lesbiens et queers par certains États-nations occidentaux est leur instrumentalisation comme munitions pour renforcer et légitimer des projets nationalistes d’impérialisme culturel et géopolitique tels que l’intervention militaire au Moyen-Orient (et en tout lieu où se logent prétendument les terroristes) pour sauver les femmes, les gais et les lesbiennes, essentialisées comme des victimes de leur culture patriarcale fondamentalement (voire naturellement) sexiste et homophobe (Puar, 2005, 2006; Haritaworn, 2008). Cette réelle entreprise impérialiste islamophobe, source de multiples nuisances, est mieux connue sous l’appellation de « guerre contre le terrorisme », héritée des attentats du 11 septembre 2001 à New York, mais aussi de ceux de Londres, de Madrid, d’Istanbul, etc. Par le biais de l’ « impérialisme gai » (Haritaworn et al., 2008), les sujets nationaux gais, lesbiennes et queers, d’un côté généralement discriminés du point de vue microsocial et macrosocial en raison de leur transgression de l’hétéronormativité, détiennent d’un autre côté un rôle discursif ou militaire central dans l’entreprise néocoloniale que Winant (2005) appelle la mission tutélaire de l’Ouest:

“[…] the tutelary mission of the West is proclaimed- in the values of “freedom”, “democracy”, “pluralism”, “secularism”, and so on - while underneath the surface the old agendas advance : most notably political-military power and the capture of natural resources” (Winant, 2005, p.127).

Bien que plus perceptible en contexte euroaméricain, la tendance homonationaliste actuelle est officiellement rejointe par certains pays non occidentaux alors que la sexualité, et plus spécifiquement la tolérance et l’acceptation des réalités sexuelles non normatives, devient une arène présumée importante pour la production de la modernité (Altman, 2001). Comme mentionné antérieurement, l’Afrique du Sud, l’Argentine et l’Uruguay, par exemple, reconnaissent respectivement le droit au mariage entre conjoints de même sexe depuis 2006, 2010 et 2013 (André, 2010; R., 2013).

En conclusion, la présente revue de littérature éclaire le positionnement complexe qu’occupent les lesbiennes/queers de couleur, à la fois représentées et ignorées à l’intérieur des discours transnationaux de la mondialisation queer et des discours nationaux hétéronormatifs et homonormatifs, et souligne la pertinence et l’intérêt de la problématique articulée en introduction.

Chapitre 2 : Regards multidisciplinaires sur la pertinence