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Le Murin de Natterer est protégé ainsi que ses habitats. S’il a fait l’objet de nombreuses études, il est moins bien connu que le Murin de Bechstein, notamment son comportement social. Ceci tient notamment au fait que cette espèce est parfois peu détectable, selon les phases de reproduction, rendant son étude particulièrement délicate pour en inférer des généralités (Lundy et al. 2012). Nous allons néanmoins tenter de décrire les connaissances actuelles sur cette espèce.

Photo Laurent Tillon Figure 7 : Carte de distribution mondiale du Murin de Natterer et formes génétiqument apparentées (d’après Aulagnier et al. 2013).

6.1. Domaine vital.

Le Murin de Natterer est une espèce sédentaire, dont le rayon d’action se limite à quelques dizaines de kilomètres, généralement moins de 40 entre les sites estivaux, les sites de regroupements automnaux et les gîtes d’hibernation (Dietz et al. 2009). Ces sites sont rarement à plus de 60km des sites estivaux, néanmoins certains individus peuvent faire jusqu’à plus de 300km pour rejoindre un site de rassemblement automnal (Dietz et al. 2009). Le domaine vital d’une colonie peut être de 5 à 13 km².

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L’évolution de sa surface ne dépend pas de l’évolution des effectifs, mais des contacts entre groupes distants de plusieurs kilomètres (jusqu’à 17km) peuvent être établis avant les mises bas, plaidant pour un fonctionnement en méta-population des petits essaims que forme le Murin de Natterer en colonie. Les terrains de chasse couvrent de 5 à 755 ha, comprenant jusqu’à 6 secteurs de 2 à 18 ha sur lesquels chaque animal peut passer plus de 56% de son temps (Siemers et al. 1999; Meschede & Heller 2003; Parsons & Jones 2003; Smith & Racey 2008; Lundy et al. 2012). Les individus ne s’éloigneraient jamais à plus de 600 m des gîtes pour chasser (Meschede & Heller 2003), mais peuvent aller jusqu’à 3,7 km (Siemers et al. 1999). S’il est difficile de fournir des effectifs ou des densités pour des Chiroptères, certains s’y sont essayés. Ainsi, la Grande Bretagne hébergerait près de 100 000 individus, alors qu’il y aurait jusqu’à 20 individus par kilomètre carré en Bavière, avec de grandes disparités locales entre massifs forestiers.

6.2. Habitats de chasse et comportement alimentaire.

Les habitats du Murin de Natterer sont variés, mais marqués par la présence d’arbres. Il peut s’agir de grandes forêts, dans lesquelles il va exploiter tous les grands types d’habitat (chênaie, hêtraie voire peuplements purs de résineux comme l’épicéa, les sapins ou les pins), sinon les vergers, les parcs et jardins, plus rarement les prairies (quand elles viennent d’être fauchées) à proximité des forêts (Siemers et al. 1999; Meschede & Heller 2003; Kanuch 2005; Dietz et al. 2006). Certaines colonies forestières montrent néanmoins une prédominance pour les pâturages en activité de chasse (Lundy et al. 2012), alors que les plantations résineuses sont évitées (Smith & Racey 2008). Quand elle utilise la forêt, cette espèce exploite plutôt l’intérieur des peuplements que les bordures ou les habitats ouverts (Ceľuch & Kropil 2008). Elle semble inféodée aux forêts avec des arbres âgés d’origine naturelle où elle chasse principalement le long des allées forestières et des lisières, des allées et couloirs en sous-bois ou dans la végétation (Kanuch et al. 2008), sinon aux forêts à caractère humide très marqué, comme les ripisylves (Meschede & Heller 2003; Smith & Racey 2008). Meschede & Heller (2003) ont mis en évidence un classement des types de peuplements utilisés par des colonies de reproduction en Bavière : perchis de pin sylvestre de 30 ans (36% du temps d’activité), peuplement mixte de chêne, pin sylvestre et bouleau sur graminées (17,5% du temps de chasse), pinède claire de 120 ans avec des feuillus en sous-étage feuillu mais aussi jeune perchis pur de pin et une peupleraie claire de 40 ans au sous-étage peu fourni (uniquement en été), peuplements mélangés de pins et bouleaux sinon vieille futaie de chênaie-hêtraie (Meschede & Heller 2003). Dans la majeure partie des cas, les habitats de chasse sont principalement composés de pins et de bouleaux. L’espèce doit ainsi y adapter son mode de chasse principal par glanage au profit de la poursuite aérienne des proies. Les femelles en colonie de reproduction peuvent aller chasser plus loin que les mâles, plus opportunistes, qui sélectionnent des biotopes plus riches (Arthur & Lemaire 2009).

Le Murin de Natterer diffère du Murin de Bechstein dans son comportement alimentaire, permettant d’écarter la compétition un temps soupçonnée entre les deux espèces. Il chasse en effet exclusivement ses proies à l’aide de son sonar, alors que le Murin de Bechstein est capable de chasser à l’oreille les insectes se déplaçant sur les feuilles (Siemers & Swift 2006). Le Murin de Natterer peut se déplacer très lentement dans un espace restreint et très encombré, voire voler sur place, près de la végétation même au sol, pour y glaner ses proies sur les feuilles à l’aide de son uropatagium (les soies en bordure de l’uropatagium pourraient jouer un rôle tactile facilitant la détection des proies) après les avoir repérées par écholocation quand celles-ci se détachent du substrat, donc au plus proche des obstacles (Arlettaz

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1996; Swift & Racey 2002; Meschede & Heller 2003; Dietz et al. 2009), expliquant les signatures acoustiques si particulières à l’espèce (Melcón et al. 2007; Barataud 2012). Les individus sont alors capables de détecter les proies à 5cm sur les feuilles, et de les sélectionner selon leur taille (Siemers & Schnitzler 2000). Cette technique de chasse est néanmoins très dispendieuse en énergie, ce qui expliquerait que l’espèce met plus de temps que d’autres à accumuler des graisses avant d’entrer en hibernation, tard en saison (Meschede & Heller 2003). Le Murin de Natterer peut aussi chasser ses proies en vol ou au sol en marchant dans les prairies fauchées, voire par tâtonnements aux endroits prometteurs qu’il connaît bien (Dietz et al. 2006; Dietz et al. 2009). Les proies sélectionnées sont essentiellement non volantes (ou au repos sur les supports pour les insectes volants), à savoir des diptères, des archanides (parfois en fortes proportions), des opilionides, des coléoptères et des lépidoptères selon les saisons, mais aussi des dictyoptères, des nevroptères, des chilopodes, voire à proximité des points d’eau des centipèdes, des cloportes, des trichoptères et des plécoptères, mais aussi des hyménoptères, des dermaptères, des orthoptères, des planipennes et des lithobiomorphes (Gregor & Bauerova 1987; Shiel et al. 1991; Swift 1997; Andreas et al. 2012). Il peut aussi capturer des chenilles et des araignées pendues à un fil. Parmi les lépidoptères, les lymantridés peuvent se développer dans des peuplements résineux jusqu’en décembre, au profit de températures plus élevés que dans les autres peuplements forestiers ouverts suite à la chute des feuilles. Le Murin de Natterer peut encore profiter de cette ressource alimentaire avant l’hibernation (Meschede & Heller 2003) et aussi en plein hiver, quand les conditions météorologiques le permettent, les périodes de torpeur hivernale n’excédant pas 20 jours (Hope et al. 2014; Hope & Jones 2012). Son régime alimentaire très large indique que cette espèce s’adapte à la disponibilité alimentaire du moment, sans être spécialisée sur un type de proies en particulier (Meschede & Heller 2003). Il lui arrive de chasser en petits groupes.

6.3. Gîtes.

Le Murin de Natterer gîte principalement dans les arbres creux (surtout les fissures hautes dans les arbres, sur les branches) et les gîtes artificiels en forêt (Park et al. 1998; Siemers et al. 1999; Pénicaud 2000; Meschede & Heller 2003; Kanuch 2005; Smith & Racey 2005; Pénicaud 2006; Dietz et al. 2009; Dodds & Bilston 2013). Il peut gîter dans les vergers (Siemers & Swift 2006), dans les zones urbanisées, notamment dans les briques creuses des bâtiments (Dietz et al. 2009). En zone méditerranéenne, il exploite surtout les fissures dans les falaises et dans les murs de maison (Dietz et al. 2009). Mais s’agit- il alors vraiment du Murin de Natterer ? Des études génétiques très récentes montrent que ce taxon représente un complexe d’espèces (Ibáñez et al. 2006; Mayer et al. 2007; Evin et al. 2009; Puechmaille et al. 2012). Il est relativement peu exigeant quant aux températures nécessaires dans le gîte, même s’il profite d’une augmentation des températures en période de reproduction, notamment pour l’élevage des jeunes (Smith & Racey 2005; Otto et al. 2013). La fidélité aux gîtes est intra-annuelle et inter-annuelle par les colonies (Smith & Racey 2005; August et al. 2014), même s’il change de gîte presque quotidiennement (Siemers et al. 1999). Il arrive qu’une colonie occupe le même gîte qu’une colonie de frelons (Vespa crabro) (Siemers et al. 1999). La proportion de surfaces forestières à proximité des gîtes estivaux semble déterminante pour cette espèce (Boughey et al. 2011; Lundy et al. 2012). Quel que soit son gîte, le Murin de Natterer est lucifuge et sort tardivement, entre une demi-heure et une heure après le coucher du soleil. Le retour au gîte peut s’effectuer 80mn avant le lever du soleil, parfois plus tard (Swift 1997; Siemers et al. 1999). Le Murin de Natterer est donc une espèce discrète, difficile à détecter en forêt.

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Les gîtes d’hibernation correspondent à des fissures dans des grottes, des falaises, des caves et autres galeries souterraines, rassemblant jusqu’à plusieurs centaines d’individus dans les grands sites, plus rarement dans des arbres creux (Dietz et al. 2009). Néanmoins, Meschede & Heller (2003) rapportent les résultats d’une étude menée par Červeny & Horáček en 1981 qui ont montré qu’un marronnier utilisé en gîte estival avait été réutilisé en hiver par au moins 32 individus de l’espèce (dont 13 étaient morts). Les Murins de Natterer peuvent hiberner dans des cavités souterraines distantes de plus de 75 km des gites estivaux (Meschede & Heller 2003). La surface de forêts à proximité des gîtes d’hibernation influence leur sélection par le Murin de Natterer, les effectifs de cette chauve-souris augmentant dans ces gîtes avec la proximité de forêts (Lesinski 2009).

6.4. Reproduction et comportements.

Le sexe ratio est généralement équilibré sinon à l’avantage des femelles chez cette espèce (Park et al. 1998). Quand ils utilisent les arbres, les individus vivent en petits groupes de 20 à 50 femelles alors que les mâles sont généralement seuls, parfois avec les maternités (Park et al. 1998). Ces groupes peuvent atteindre plus de 120 femelles dans les bâtiments (Fiedler et al. 2004). Les mâles peuvent composer des colonies comptant jusqu’à 25 individus (Dietz et al. 2009). Les changements de gîtes sont fréquents, de 1 à 5jours, avec des tailles de groupe variant presque chaque jour (même si des associations relativement stables dans le temps (>100jours) sont observables entre la moitié des individus d’une méta-colonie), comportement typique de la fission-fusion décrite chez le Murin de Bechstein (Meschede & Heller 2003; August et al. 2014). Un groupe de femelles peut utiliser jusqu’à 15 gîtes différents par km², sinon au moins 19 gîtes différents pendant la durée d’un suivi sur une colonie en Allemagne (Meschede & Heller 2003), voire 32 gîtes différents dans l’année (cas d’une colonie dont 75% des gîtes se limitaient à un boisement de seulement 30ha). Dans les bâtiments, la fidélité au gîte est plus marquée, mais implique un changement du point d’accroche chaque jour (Dietz et al. 2009). Quel que soit le type de gîte, les individus se regroupent en vol devant ce dernier chaque matin (Swift 1997; Dietz et al. 2009). Si tous les individus quittent habituellement le gîte durant l’intégralité de la nuit, des femelles restent avec les juvéniles au moment de l’allaitement (Swift 1997). Les femelles donnent naissance à un seul jeune entre juin et début juillet (les premières naissances françaises étant notées dès le 21 mai), qui s’envolera à partir de 20 jours et prendra son autonomie à partir de 4 semaines, facilitant à nouveau les changements fréquents de gîtes (Meschede & Heller 2003). La dispersion des jeunes de la colonie s’effectue à partir de 6 semaines. Les mortalités sont importantes la première année (70 à 80%), puis elle chute à 40% les années suivantes.

Les rassemblements automnaux ont lieu en septembre et octobre, drainant des secteurs de plus de 4 000 km², les mâles y étant plus nombreux que les femelles. Les sites sélectionnés peuvent se trouver dans des paysages agricoles et bocagers, mais avec une forte proportion de forêts feuillues (Parsons & Jones 2003). C’est là que se déroulent les accouplements, même si certains ont lieu pendant l’hibernation ( Rivers et al. 2006; Glover & Altringham 2008; Dietz et al. 2009).

6.5. Menaces, rôles et impacts de la gestion forestière ?

Une compétition entre le Murin de Natterer et le Murin de Bechstein a été suspectée, au profit de ce dernier dont le comportement territorial est très marqué, même contre des congénères d’une autre

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colonie (Dawo et al. 2013). Pourtant, l’étude du comportement de chasse et alimentaire en font deux espèces pouvant cohabiter, les proies consommées n’étant pas les mêmes (Siemers & Swift 2006; Andreas et al. 2012). La cohabitation avec d’autres espèces (ainsi que le partage des zones de gîtes) reste possible pour cette espèce (August et al. 2014). Le maintien de zones forestières diversifiées semble indispensable au maintien du Murin de Natterer en forêt (Dietz et al. 2009), en particulier la conservation des zones de gîtes avec le maintien de vieux arbres (Smith & Racey 2005). Il convient aussi d’éviter au maximum le morcellement parcellaire lors de la planification des coupes forestières, ainsi que l’utilisation des pesticides (Dietz et al. 2009), notamment autour des sites de rassemblements automnaux (Parsons & Jones 2003).