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2. Gestion forestière et conservation des Chiroptères : des lacunes de connaissance ?

4.1. La forêt de Tronçais (Allier, Auvergne)

La forêt de Tronçais est l’une des forêts de France qui concentre le plus les enjeux de production de bois de qualité, dans un contexte d’accueil du public lié à son histoire et de préservation de la biodiversité. Les quelques éléments proposés ici sont succincts et essentiellement issus d’une synthèse publiée par Jarret & Macaire (2012). Ils permettent simplement de resituer le contexte de cette forêt.

Historiquement, la forêt de Tronçais est le résultat d’un savoir-faire qui s’est mis en place progressivement, depuis les premiers cadrages de Colbert jusqu’à l’héritage direct de l’école forestière de Nancy. Différentes étapes amènent à lui donner la forme qu’elle a aujourd’hui :

• 1661-1735 : premières coupes rases avec maintien de réserves, 20 semenciers /ha : création d’une forêt de 1 à 50 ans dans laquelle sont maintenus quelques vieux arbres.

• 1735 : la forêt est exsangue. Il est décidé alors de la mettre au repos pendant 40 ans. • 1779 : reprise des exploitations sur 6 900 ha en taillis-sous-futaie avec rotation sur le

taillis sur 50ans, puis 40ans.

Le cœur du massif (3 700 ha) est alors destiné à la haute futaie. Le Chêne est favorisé devant les autres essences.

• 1832 : premier aménagement en futaie régulière, avec les premières régénérations par cantons entiers.

A cette période, il est possible d’imaginer les paysages intra forestiers de ce massif, avec des peuplements principalement jeunes, à l’exception de quelques futaies dont la futaie Colbert qui deviendra célèbre, et une biodiversité probablement appauvrie à cause des prélèvements systématiques exercés sur les arbres les moins beaux et sur le bois mort, notamment dans un objectif de permettre aux populations locales de se chauffer (phénomène qui se retrouve alors sur l’ensemble du territoire). Dans ce contexte, l’environnement paysager hors forêt était principalement composé d’un bocage très dense, proposant de nombreux vieux arbres, certainement riches en cavités, voire en bois mort, propices à la création de refuges pour la biodiversité saproxylique, Chiroptères compris. A cette période le peuplement de Chiroptères devait être appauvri.

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A partir des années 1950, alors que les forestiers ont laissé vieillir les futaies, gérées depuis longtemps en futaies régulières, l’environnement bocager du massif se dégrade. Le bocage est de plus en plus mité, les pâturages étant abandonnés progressivement au profit des grandes cultures (grâce à la mécanisation). De nombreux linéaires de haies et des vieux arbres initialement favorables eux aussi disparaissent (Fombonnat comm. pers.). Alors que la forêt présente enfin plusieurs cantons avec des peuplements de vieux arbres, ces derniers jouent sans doute un rôle de refuge pour les espèces dépendant des micro- habitats de ces vieux arbres, qui reviennent alors en forêt. Les Chiroptères ont alors probablement rencontré pour certaines espèces des habitats devenus très favorables. Ainsi, il est possible que les populations de Murin de Bechstein et d’oreillard roux aient largement profité de cette histoire au XIXe puis au XXe siècle.

Toutefois, le cœur de massif, géré de façon uniforme et équienne en futaie depuis près de 200 ans arrive à maturité économique. En 30 ans, ces peuplements sont exploités. Le cœur de ce massif présente alors des peuplements forestiers très jeunes sur de très grandes surfaces, déséquilibrant la distribution des classes d’âge et limitant la capacité des forestiers à aménager convenablement l’ensemble du massif pour la fin du XXe siècle. En 2001, l’état des lieux réalisé en prévision du nouvel aménagement met en évidence un cœur de massif principalement composé de très jeunes peuplements et de perchis, alors que les blocs présents à chacune des deux extrémités du massif présentent des blocs de vieille futaie de 175 à 225 ans. Deux Réserves Biologiques ont aussi été mises en place : la Futaie Colbert (13ha de RBD) et la Réserve de Nantigny (100ha de RBI). Inévitablement, une difficulté majeure s’impose pour la conservation de surfaces de vieux peuplements en continu dans le temps sur chaque canton forestier, considérant qu’il n’existe plus de refuge en dehors de la forêt.

Pourtant, ce massif forestier est aujourd’hui exceptionnel tant pour sa richesse biologique que pour son histoire et les peuplements forestiers qui le composent. Sur les 10 534 ha de cette forêt domaniale, 9 851 ha sont consacrés à un régime de futaie régulière pour produire des arbres à grain fin recherchés pour la tonnellerie. La récolte annuelle y est de 60 000 m3 de bois et, en fin de cycle (à 225ans), un chêne a une

valeur moyenne de 2 000 € la tige, avec des exceptions à plus de 30 000 € l’individu. L’hectare peut donc être estimé en moyenne à 150 000 €, parfois bien plus. Le document d’aménagement a tenté de rétablir un minimum d’équilibre des classes d’âges, au regard de l’état des lieux présentant une distribution des classes d’âge déséquilibrée (figure 5).

Figure 5 : Répartition des classes d’âges des différents peuplements feuillus (essentiellement du chêne) en 2001 en forêt de Tronçais (Allier, Auvergne, tiré de Jarret & Macaire 2012).

1174 ha 1130 ha 775 ha 643 ha 928 ha 1843 ha 1223 ha 1768 ha 734 ha 13 ha 0 ha 500 ha 1000 ha 1500 ha 2000 ha 0-25 25-50 50-75 75-100 100- 125 125- 150 150- 175 175- 200 200- 225 300- 325

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Depuis 2001, la gestion a commencé à rattraper le retard sur les vieux peuplements, leur surface totale est donc aujourd’hui réduite. Toutefois, il n’y a plus aujourd’hui de possibilité pour les espèces de se reporter vers des habitats potentiels à l’extérieur de la forêt. L’aménagement de 2005 introduit donc la nécessité de mettre en place un dispositif spécifique de conservation des vieux bois pour la biodiversité, via un réseau de vieux bois (entre des îlots de vieillissement, des îlots de sénescence, et des arbres à maintenir au sein des peuplements exploités). Avec 23 espèces de Chiroptères sur les 34 présentes en France, dont une dizaine de colonies de reproduction de Murin de Bechstein, plusieurs d’Oreillard roux et la plus grosse colonie de parturition de grand Murin (près de 3 500 femelles adultes avant mise-bas), la forêt de Tronçais revêt un site exceptionnel pour la biodiversité forestière en France. Entre conservation de ces espèces et les enjeux de production, là est tout l’enjeu de la conservation des espèces occupant cette forêt aujourd’hui !