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Le modèle de Karasek et Theorell (1990) comme modèle explicatif de l’absentéisme

3.3 L’approche médicale de l’absentéisme

3.3.3 Les modèles de la santé mentale au travail et l’absentéisme

3.3.3.1 Le modèle de Karasek et Theorell (1990) comme modèle explicatif de l’absentéisme

3.3.3.1.1 Présentation du modèle Demande-Latitude-Soutien de Karasek et Theorell

Le modèle « Demande psychologique-Latitude décisionnelle » de Karasek (1979) repose sur l’hypothèse qu’une situation de tension au travail est le résultat de la combinaison d'une exigence forte en termes de rapidité et/ou de qualité du travail et d'une faible latitude décisionnelle dans le travail (voir figure 4). Ces deux dimensions de l’organisation du travail sont mesurées par un questionnaire portant sur la façon dont les salariés les perçoivent. La demande psychologique renvoie à la quantité de travail à accomplir (« on me demande de réaliser une quantité excessive de travail »), aux exigences mentales (« mon travail nécessite de longues périodes de concentration intense ») et aux contraintes de temps liées à ce travail (« je dispose du temps nécessaire pour exécuter mon travail »). La latitude décisionnelle fait référence à la possibilité de choisir les modes opératoires, à la capacité de peser sur les décisions et à la possibilité d’utiliser et de développer ses compétences. Elle comprend deux composantes, l’une tenant à la possibilité de choisir les modes opératoires et à la capacité de peser sur les décisions (« j’ai la liberté de décider comment faire mon travail »), l’autre se situant sur le plan de l’accomplissement de soi au travers de la possibilité d’utiliser et de développer ses compétences (« je fais preuve de créativité dans mon travail »).

Figure 4 : Modèle Demande Psychologique-Latitude Décisionnelle de Karasek (1979) (Adaptation : Gollac et Volkoff, 2007)

Demande psychologique Faible Forte Fort Latitude décisionnelle Faible

La première diagonale oppose les situations passives (faible demande psychologique et faible latitude décisionnelle) aux situations actives (forte demande psychologique et forte latitude décisionnelle). La deuxième diagonale oppose les situations de faible tension mentale (faible demande psychologique et forte latitude décisionnelle) aux situations de forte tension mentale (forte demande psychologique et faible latitude décisionnelle).

Faible tension

Activité

Karasek et Theorell (1990) ont complété ce modèle en ajoutant une troisième dimension, le soutien social (des collègues et du supérieur), incluant deux composantes : soutien instrumental et soutien socio-émotionnel. Le manque de soutien social constitue un facteur de risque pour la santé. La situation d’iso-strain (Johnson et alii, 1989) définit une situation qui combine job strain et faible soutien social. Celle-ci accroît les risques de maladie cardio-vasculaire.

Le modèle de Karasek et Theorell (1990) est l’un des modèles les plus utilisés dans la littérature médicale pour expliquer les problèmes de santé (troubles cardio-vasculaires…), mais est-il pertinent pour expliquer l’absentéisme ?

3.3.3.1.2 Le modèle de Karasek et Theorell et ses relations contestées avec l’absentéisme

La littérature médicale, surtout scandinave, sur l'absentéisme mobilise particulièrement le modèle de Karasek et Theorell (1990) pour expliquer l’absentéisme. Nous analyserons cette littérature qui s’intéresse aussi bien aux liens entre une des dimensions du modèle de Karasek et Theorell et l’absentéisme qu’aux relations entre l’interaction des composantes du modèle et l’absentéisme.

a) Des relations paradoxalement négligeables entre la demande psychologique et l’absentéisme

Plusieurs études, portant sur des échantillons importants et contrôlant l’effet des variables démographiques (âge, niveau d’éducation, genre), ont testé la relation entre la demande psychologique et l’absentéisme (Bourbonnais et Mondor, 2001; De Jong et alii, 2001; Moreau et alii, 2004 ; Niedhammer et alii, 1998 ; Nielsen et alii, 2004 ; North et alii, 1996, Smulders et Nihuis, 1999 ; Vahtera et alii, 1996). Aucune de ces recherches ne conclut à une relation positive entre une forte demande psychologique et l’absentéisme. Et deux d’entre elles démontrent, contrairement aux résultats attendus, qu’une forte demande psychologique est associée à un absentéisme faible (North et alii, 1996 ; Smulders et Nihjuis, 1999).

Pour Smulders et Nihjuis (1999), la demande psychologique serait interprétée différemment en fonction de la catégorie socio-professionnelle d’appartenance. Elle serait, par exemple, associée à un travail valorisant pour les cadres. Cette hypothèse semble confirmée par les résultats de North et alii (1996). En effet, dans leurs recherches, ces auteurs montrent que,

pour les cadres supérieurs, une forte demande psychologique est associée à un faible absentéisme tandis que, pour les cadres intermédiaires et employés, une forte demande psychologique est liée à un fort absentéisme.

b) Les relations fortes entre la latitude décisionnelle et l’absentéisme

Toutes les recherches mentionnées ci-dessus (Bourbonnais et Mondor, 2001; De Jong et alii, 2001; Moreau et alii, 2004 ; Niedhammer et alii, 1998 ; Nielsen et alii, 2004 ; North et alii, 1996, Smulders et Nihuis, 1999 ; Vahtera et alii, 1996) concluent à une relation significative entre une forte latitude décisionnelle (mesurée selon le Job Content Questionnaire, de Karasek et Theorell, 1990) et un absentéisme faible. La latitude décisionnelle est donc liée négativement à l’absentéisme. Ce résultat est convergent avec la méta-analyse de Fried et Ferris (1987), montrant que la dimension « autonomie » du Job Characteristic Model (Hackman et Oldham, 1976) et l’absentéisme sont corrélés négativement.

c) Les relations controversées entre le soutien social et l’absentéisme

L’influence du soutien social a été analysée dans les études mentionnées dans les paragraphes précédents. Cependant son effet sur l’absentéisme fait débat. De Jong et alii (2001), Niedhammer et alii (1998), North et alii (1996) et Moreau et alii (2004) concluent à une corrélation négative entre le soutien social et l’absentéisme. Toutefois, Bourbonnais et Mondor (2001) n’ont trouvé aucun lien significatif entre soutien social et absentéisme. De manière contre-intuitive, Rael et alii (1995) démontrent qu’un soutien social élevé (socio-émotionnel et instrumental) est associé à une augmentation de l’absentéisme. Enfin, Unden (1996) étudie séparément les effets du soutien socio-émotionnel et du soutien instrumental sur l’absentéisme. Il ne conclut à aucun lien significatif entre, d’une part, l’une ou l’autre forme de soutien social et, d’autre part, l’absentéisme.

d) La faible relation entre les combinaisons des dimensions du modèle de Karasek et Theorell et l’absentéisme

La relation entre une situation de tension mentale (job strain) et l’absentéisme a été testée. Les résultats apparaissent assez mitigés. Bourbonnais et Mondor (2001) ont trouvé une relation significative entre le job strain (conjonction d’une forte demande psychologique et

d’une faible latitude décisionnelle) et l’absentéisme de courte durée (< 5 jours). Cependant, North et alii (1996) ont démontré une relation significative entre le job strain et l’absentéisme de courte durée (< 7 jours) uniquement pour les salariés peu qualifiés. En outre, pour Niedhammer et alii (2008) la relation entre une situation de tension mentale (job strain) et l’absentéisme n’est pas significative. La relation entre, d’une part, la situation d’iso-strain, qui définit une situation qui combine un job strain et un faible soutien social (Johnson et alii, 1989) et, d’autre part, l’absentéisme est significative selon Moreau et alii (2004).

Pour Karasek (1979), les variables de latitude décisionnelle et de demande psychologique ont un effet sur la santé mentale des salariés au travers de leur interaction. Des recherches d’interaction (De Jonge et alii, 2000 ; Niedhammer et alii, 1998 ; Smulders et Nihuis, 1999 ; Vahtera et alii, 1996) ont été menées en incluant les termes d’interaction d’ordre deux (demande x latitude, demande x soutien social et latitude x soutien social) et le terme d’interaction d’ordre trois (demande x latitude x soutien social). Aucune de ces recherches ne démontre une relation significative entre l’interaction de ces variables et l’absentéisme. De plus, Vahtera et alii (1996) n’ont pas trouvé un effet modérateur du soutien social (effet suggéré par Karasek et Theorell, 1990), sur la relation entre les variables de latitude décisionnelle et de demande psychologique et l’absentéisme.

Plusieurs études, portant sur des échantillons importants et contrôlant l’effet des variables démographiques (âge, niveau d’éducation, genre) ont testé les relations entre l’une des dimensions (et/ou leur interaction) du modèle de Karasek et Theorell (1990) et l’absentéisme (Bourbonnais et Mondor, 2001; De Jong et alii, 2001; Moreau et alii, 2004 ; Niedhammer et

alii, 1998 ; Niedhammer et alii, 2008 ; Nielsen et alii, 2004 ; North et alii, 1996, Smulders et

Nihuis, 1999 ; Vahtera et alii, 1996). Toutefois, les résultats apparaissent parfois mitigés. Le modèle de Karasek et Theorell comporterait-il des limites ?

3.3.3.1.3 Discussion du modèle de Karasek et Theorell

Le modèle de Karasek et Theorell (1990) a été critiqué par certains auteurs (Bakker et Demerouti, 2007 ; De Jonge et alii, 2000 ; Kasl, 1996 ; Karnas et Hellemans, 2002 ; Kristensen, 1995).

Il a ainsi été reproché au concept de Latitude Decision de Karasek et Theorell (1990) son caractère trop hétérogène (Kasl, 1996 ; Karnas et Hellemans, 2007 ; Kristensen, 1995). Ce concept combine en effet une dimension liée aux compétences mobilisées dans le travail et développées par le travail et une autre dimension liée à la marge de manœuvre (De Jonge et

alii, 2000 ; Kasl, 1996). Cette dimension « marge de manœuvre » de la latitude décisionnelle

est elle-même hétérogène, puisqu’elle englobe deux concepts. Elle englobe en effet une facette liée à l’autonomie procédurale (possibilité pour le salarié de choisir comment faire son travail) et une autre facette liée au contenu cognitif (possibilité de prendre soi-même des décisions). Ajoutons que Kasl (1996) affirme qu’il existe plusieurs types d’autonomie et recommande ainsi de distinguer différentes facettes de l’autonomie.

De plus, l’opérationnalisation de certaines variables du modèle de Karasek et Theorell (1990) pose problème du fait de leur manque de cohérence. Ainsi, la variable « demande psychologique » combine des facteurs organisationnels explicatifs (ou inputs) du stress au travail, tels que « je reçois des ordres contradictoires de la part des autres personnes » (item mesurant le conflit de rôle ou role conflict) et des facteurs descriptifs (ou outputs) de la charge cognitive : « mon travail nécessite de longues périodes de concentration intense ». En outre, certains auteurs reprochent au modèle de Karasek et Theorell son caractère faiblement opératoire du fait du caractère trop abstrait de ces concepts (Kasl, 1996 ; Kristensen, 1995).

Enfin, Niedhammer et alii (2006) ont démontré, à partir de l’enquête Sumer 2002-2003, que seuls respectivement 24% des hommes et 37 % des femmes se déclarant fortement stressés sont en situation de job strain. Ce qui montre que d’autres facteurs organisationnels, non pris en compte par le modèle de Karasek et Theorell, jouent sur le stress au travail. En outre, Niedhammer et alii (2008) ont testé, à partir de l’enquête Sumer, la relation entre une situation de tension mentale (job strain) et l’absentéisme. Celle-ci n’est pas significative. Ces auteurs montrent aussi que la relation entre la demande psychologique et l’absentéisme se situe à la limite de la significativité. Dans cette étude de Niedhammer et alii (2008), seule la relation entre, d’une part, la latitude décisionnelle et le soutien social et, d’autre part, l’absentéisme, est significative. Ceci souligne la nécessité de s’intéresser à des variables organisationnelles différentes de celles proposées par Karasek et Theorell.

Il a été reproché au modèle de Karasek et Theorell (1990) de ne pas tenir compte des différents types de personnalité, ainsi que de ne pas intégrer les effets négatifs de l’insécurité de l’emploi. Siegrist (1996) propose un modèle complémentaire de celui de Karasek et Theorell qui intègre ces différents éléments.