• Aucun résultat trouvé

L’approche économique de l’absentéisme : l’intérêt comme déterminant de l’absentéisme

II L’approche universaliste de l’absentéisme : approches économique et sociétale

2.1 L’approche économique de l’absentéisme : l’intérêt comme déterminant de l’absentéisme

L’approche économique de l'absentéisme a été principalement développée en économie du travail (Allen, 1981 ; Barmby et Trebble, 1991 ; Barmby et alii, 1994 ; Brown et Sessions, 1996 ; Stephan, 1992) et en économie de la santé (Leigh, 1986, 1991). Cependant, elle est beaucoup moins élaborée que les approches individuelle et organisationnelle, quant à la recherche de déterminants de l’absentéisme. Deux tendances se détachent dans la littérature économique : la première tendance est une approche micro-économique néoclassique de l’absentéisme centrée sur l’arbitrage entre le travail et le loisir sous une contrainte de budget, la seconde tendance s’appuie sur le modèle du « tire-au-flanc » (Shirking Model) développé notamment par Shapiro et Stiglitz (1984).

2.1.1 Le modèle néoclassique de l’absentéisme : l’arbitrage entre travail et

loisir

Elle repose sur le postulat que tout individu est un Homo oeconomicus cherchant à maximiser son utilité. Le bien-être de ce dernier est fonction de deux composantes: la consommation (qui nécessite de travailler) et le loisir. La maximisation de son bien-être signifie qu'il lui faut trouver le volume de travail qui lui permet d'atteindre une combinaison optimale des deux composantes de son bien-être. Les modèles les plus simples, ne tenant pas compte de

l'indemnisation des absences par des systèmes d'assurance sociale, montrent que plus le nombre d'heures travaillées est important, plus l'absentéisme augmente. Dans ces modèles, le niveau de salaire exerce aussi une influence sur l'absentéisme, mais son effet reste incertain : toute augmentation de salaire entraîne un effet de revenu et un effet de substitution. L'effet revenu influence positivement l'absentéisme car l'individu peut atteindre un niveau donné de consommation pour un volume de travail moindre. L'effet de substitution influence négativement l'absentéisme car le coût d'opportunité des absences augmente lorsque les salaires augmentent. Des modèles plus élaborés montrent que les absences des individus sont fonction de leur arbitrage entre temps libre et consommation, du système d'assurance sociale, du salaire et de coûts de long terme, comme le risque de perdre son emploi. Le salaire constitue une variable clé dans ces modèles économiques. Allen (1981) montre ainsi que la corrélation négative entre niveau de salaire et absentéisme n’est plus significative lorsque les variables « âge », « sexe » « niveau d’éducation » et « conditions de travail dangereuses » sont introduites dans le modèle. L’effet de ces variables se confond alors avec l’effet du salaire sur l’absentéisme car les femmes sont en général moins bien payées que les hommes à niveau de qualification égale. De même, les jeunes salariés ayant peu d’ancienneté sont moins payés que les seniors. De plus, les mauvaises conditions de travail sont souvent liées à des métiers peu qualifiés et peu rémunérés. Lorsque l’effet de ces variables est contrôlé, la corrélation entre niveau de salaire et absentéisme n’est plus significative (Leigh, 1981, 1986). Nous pouvons donc conclure que « l’effet du niveau de salaire sur l’absentéisme est peu robuste » (Barmby et Trebble, 1991, p.165). De plus, cette approche privilégie fortement le côté offre de travail, en modélisant l’absentéisme comme une réponse optimale du salarié vis-à-vis des obligations contractuelles fixées par l’employeur et elle néglige le côté demande de travail (conception par l’employeur d’un contrat de travail attractif pour le salarié), selon Brown et Sessions (1996). Enfin, nous pouvons reprocher à ces modèles d’analyser l'absentéisme sous l’angle trop réducteur de la maximisation sous contrainte de la théorie économique néoclassique. L’approche économique repose en effet sur le postulat d’un Homo

oeconomicus possédant une rationalité parfaite, lui permettant d’arbitrer parfaitement entre

travail et loisir. Or cette approche de la rationalité a été fortement critiquée par Simon (1983), qui lui substitue le concept de « rationalité limitée ». L’objectif de l’approche économique est d’abord de chercher l’équation mathématique, sous la forme d’une maximisation d’une fonction d’utilité sous contrainte de budget, qui modélise le mieux les comportements individuels d’absence. La seconde étape consiste à vérifier que le modèle mathématique est conforme aux données empiriques. Cette approche est réductrice car, d’une part, elle repose

sur des conditions très spécifiques (rationalité parfaite de l’individu, transparence parfaite de l’information…) et, d’autre part, elle appréhende l’absentéisme comme un comportement individuel de maximisation sous contrainte. Si le modèle néoclassique se focalise sur le côté offre de travail, le modèle du « tire-au-flanc », que nous aborderons dans la partie suivante, privilégie au contraire le coté demande de travail.

2.1.2 Le modèle du « tire-au-flanc » : l’aléa moral et la sélection adverse en

question

Dans la théorie néoclassique du marché du travail, le travail est une marchandise homogène, la productivité est une donnée dépendante de la combinaison productive et de la quantité relative du facteur travail. Enfin, le salaire résulte de la confrontation de l’offre et de la demande de travail. En revanche, la théorie du salaire d’efficience (Akerlof et Yellen, 1984) considère que le salaire n’a pas pour seule fonction de rémunérer une contribution productive mais qu’il joue aussi un rôle incitatif. Il influence positivement la productivité du travail et négativement l’absentéisme des salariés. Une baisse de salaire peut entraîner une diminution de la productivité. Le salaire d’efficience est donc le salaire qui offre la meilleure combinaison entre le coût du travail et sa productivité. Il est donc dans l’intérêt de l’entreprise de maintenir un salaire supérieur au salaire d’équilibre qui permettrait le plein-emploi sur le marché du travail (Ménard, 1990). En effet, si les entreprises offrent une rémunération supérieure au salaire d’équilibre, les travailleurs craignent d’autant plus de perdre leur emploi (en cas de comportement de « tire-au-flanc », selon le modèle de Shapiro et Stiglitz, 1984) que la perte de revenu sera importante, de sorte qu’ils sont dissuadés de s’absenter (Stephan, 1992). C’est donc un moyen pour l’entreprise de combattre non seulement le risque d’aléa moral, c’est-à-dire le risque de ne pouvoir observer correctement l’ensemble des comportements des agents (Gazier, 1991), mais aussi le risque de sélection adverse. Car une entreprise appliquant de faibles taux de salaire risque de n’attirer que les travailleurs les moins productifs et les plus susceptibles de s’absenter. Offrir des salaires à l’embauche plus élevés, c’est espérer attirer les salariés les plus productifs ayant les salaires de réservation31 les plus hauts, en faisant l’hypothèse que le salaire de réservation reflète approximativement leur efficacité. Dans le cadre des recherches sur l’absentéisme, les auteurs s’intéressent exclusivement aux moyens de limiter les effets supposés de l’aléa moral sur l’absentéisme. La piste la plus étudiée est l’augmentation de l’écart entre le salaire et le niveau des indemnités

31

maladie (Barmby et alii, 1994). Nous développerons plus en détail les études portant sur cette hypothèse dans la partie suivante : « l’approche sociétale ».

Synthèse : Dans le modèle néoclassique de l’absentéisme, le niveau de salaire est générateur

d’absentéisme si l’effet revenu est supérieur à l’effet de substitution. A l’inverse, dans le modèle du « tire-au-flanc », le salaire d’efficience est un facteur de diminution de l’absentéisme.

Ces deux courants de l’approche économique ont une lecture très micro-économique de l’absentéisme et le considèrent comme un comportement rationnel. En cela, ils négligent l’importance du lien entre santé des salariés et absentéisme (Brown et Sessions, 1996), mais aussi des liens entre, d’une part, l’organisation et les conditions de travail et, d’autre part, l’absentéisme. Qu’en-est-il des liens entre les facteurs sociétaux et l’absentéisme ?

2.2 L’approche sociétale de l’absentéisme : les facteurs socio-économiques et le système d’assurance-maladie ont-ils une influence sur l’absentéisme ?

L’approche sociétale englobe les déterminants macro-économiques, juridiques et institutionnels de l’absentéisme. Nous présenterons un état de l’art des relations entre les déterminants sociétaux -taux de chômage, nature du contrat de travail, le système d’assurance maladie- et l’absentéisme (tableau 2).

2.2.1 Les liens contradictoires entre le taux de chômage et l’absentéisme

La relation entre le taux de chômage et l’absentéisme a été l’objet de plusieurs études. Ainsi, certaines études montrent que le taux de chômage national est corrélé négativement à l’absentéisme individuel (Leigh, 1986 ; Johansson et Palme, 1996) et au taux d’absentéisme global au sein d’une organisation (Markham, 1985). D’autres études attestent que le taux de chômage du bassin d’emploi (Markham et McKee, 1991) ou du secteur industriel (Leigh, 1985) est corrélé négativement à l’absentéisme au sein des organisations présentes dans le

bassin d’emploi ou le secteur industriel étudiés. Ces résultats s’expliqueraient par l’autodiscipline des salariés en période de récession et de chômage élevé (Shapiro et Stiglitz, 1984), ceci ayant partie liée avec la difficulté de retrouver un emploi après un licenciement en période de conjoncture creuse. Cependant, Johansson et Brännäs (1998) concluent à l’absence de lien significatif entre ces deux variables. Leigh (1991) reproche aux variables « taux de chômage national », « taux de chômage au sein du bassin d’emploi », « taux de chômage du secteur industriel » leur caractère « trop général et approximatif » (Leigh, 1991, p.135), et leur substitue la variable binaire « Y-a-t-il pénurie ou non de travailleurs dans votre domaine de compétence ? ». Leigh (1991) conclut à l’absence de relation significative entre cette variable binaire et l’absentéisme.

Les études sur la relation entre le taux de chômage et l’absentéisme aboutissent donc à des résultats contradictoires. En outre, ces études ne contrôlent pas l’effet de variables qui peuvent se confondre avec l’effet du taux de chômage sur l’absentéisme, comme par exemple l’augmentation du rythme de travail ou l’amélioration de l’état de santé général de la population en période de plein emploi et forte croissance (Allebeck et Masterkaasa, 2004b). Un autre facteur explicatif lié au marché du travail apparaît comme étant plus pertinent, bien qu’il fasse débat : la nature du contrat de travail.

2.2.2 Le lien reconnu entre la nature du contrat de travail et l’absentéisme

La nature du contrat de travail intègre trois composantes : la durée déterminée ou indéterminée du contrat de travail, le travail à temps partiel versus à temps complet et enfin le statut de l’emploi (l’alternative entre le contrat de travail privé ou le statut de fonctionnaire).

Virtanen et alii (2003), Benavides et alii (2000) ont ainsi montré que les salariés sous contrat à durée déterminée ont un taux d’absentéisme inférieur à celui des salariés sous contrat à durée indéterminée. Ceci pourrait s’expliquer par le présentéisme (se rendre à son travail bien qu’étant malade) des salariés sous contrat de travail précaire, ceci afin d’accroître leurs chances d’être recrutés pour une durée indéterminée. Virtanen et alii (2003) démontrent en effet que le taux d’absentéisme d’un salarié augmente lorsque la nature de son contrat de travail change (transformation d’un contrat à durée déterminée ou d’intérim en un contrat à

durée indéterminée). A l’inverse, Engellandt et Riphahn (2005), Schalk et Van Rickevorsel (2007) montrent que, toutes choses étant égales par ailleurs (c’est-à-dire à caractéristiques personnelles et organisationnelles identiques), la nature du contrat de travail (CDD ou CDI) n’est pas un facteur d’absentéisme. Par ailleurs, Zeytinoglu et alii (2004) observent, dans une étude qualitative dans le commerce de détail, que les salariés à temps partiel ont un taux d’absentéisme plus élevé car l’insécurité d’emploi des travailleurs à temps partiel est forte et les conditions de travail dans les emplois à temps partiel sont souvent mauvaises. A contrario, Schalk et Van Rickevorsel (2007), Benavides et alii (2000) démontrent que les salariés à temps partiel s’absentent moins. En outre, Feldman (1990) suggère de distinguer le travail à temps partiel du travail à temps complet, mais aussi de dissocier le travail à temps partiel choisi du travail à temps partiel subi. Les effets en termes d’attitude au travail et d’absentéisme ne seront en effet pas identiques en fonction du caractère choisi ou subi de l’emploi à temps partiel. Enfin, Riphahn (2004) montre que le statut de fonctionnaire est un déterminant significatif de l’absentéisme. Cependant, dans cette étude, l’auteur ne contrôle pas l’effet de l’organisation et des conditions de travail sur l’absentéisme.

Bien que les résultats soient discutés, la nature du contrat de travail semble avoir un effet sur l’absentéisme. Il serait donc pertinent de contrôler son effet sur les absences si l’on veut tester la robustesse d’un modèle explicatif de l’absentéisme.

2.2.3 Le lien peu probant entre le système d’assurance maladie et

l’absentéisme

Plusieurs études se sont intéressées à l’influence du système d’assurance maladie sur l’absentéisme (Arrelov et alli, 2003 ; Doherty, 1979 ; Depardieu et Lollivier, 1985 ; Englund

et alii, 2000 ; Geurts et alii, 2000 ; Frick et Malo, 2008 ; Henrekson et alii, 2004). Depardieu

et Lollivier (1985) montrent que l’augmentation du montant de l’indemnité journalière se traduit par une diminution de la durée des absences. Geurts et alii, (2000), Englund et alii, (2000) et Arrelov et alii (2003) ont montré que les réformes suédoises32 et néérlandaises33 de l’assurance maladie ont eu peu d’effet sur le nombre d’arrêts maladie. Seuls Doherty (1979) et Henreckson et alii (2004) ont montré que la diminution de la « générosité » du système

32 Cette réforme introduit un durcissement des conditions d’obtention des indemnités journalières.

33 Cette réforme s’est traduite par une augmentation de la responsabilité financière de l’employeur dans le financement des indemnités journalières

d’assurance maladie (augmentation du délai de carence ou diminution du taux de remplacement) s’était traduite par une diminution du nombre d’arrêts maladie, bien que les résultats de Doherty (1979) soient à relativiser, du fait de la faible taille de l’échantillon (n = 16). De plus, Henreckson et alii (2004) précisent que cette diminution de la « générosité » du système d’assurance maladie est susceptible d’avoir eu pour effet d’augmenter le nombre de retraites anticipées. Enfin, Frick et Malo (2008) montrent que si la nature plus ou moins « généreuse » du système d’assurance maladie a une influence significative sur le taux d’absentéisme, celle-ci demeure très modeste puisqu’elle se traduit dans le cas d’un système d’assurance maladie « généreux » par un nombre de jours d’absence supplémentaires inférieur à trois jours. Les deux auteurs concluent que les variables telles que le genre, la santé au travail et la nature du contrat de travail (CDD/intérim ou CDI) ont une influence beaucoup plus forte sur le taux d’absentéisme que la « générosité » du système d’assurance maladie.

L’effet du système d’assurance maladie sur l’absentéisme apparaît donc peu probant.

Synthèse : Le lien entre la nature du contrat de travail et l’absentéisme semble réel. A

l’inverse, les relations entre le taux de chômage, le système d’assurance maladie et l’absentéisme apparaissent peu probantes.