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Le modèle du processus du design selon John Zeisel 32

Parmi les travaux de recherche sur le processus du design, John Zeisel nous propose un modèle qui permet de suivre le développement de ce processus en trois étapes cycliques qui consistent à imager, présenter et tester (imaging, presenting and testing). Il tente par la suite de démontrer le statut formateur du processus de design. (Figure 19)

7 - Nigel CROSS, “The coming of post-industrial design”, in Design studies, Vol 2, # 1, January 1981, p.4. 8 - BOUSBACI, ibid., p 39.

Figure 18: Schéma de l'évolution de la recherche en design (BOUSBACI 2008, p 38)

L’image est la représentation mentale que le designer se fait préliminairement de la situation. Elle se forme suite à la confrontation des informations que le designer reçoit sur la question de design posée avec ses idées préconçues et intériorisées.9

“Imaging is the ability to « go beyond the information given », as Bruner (1973) calls the process of seeing something where nothing seems to have been before.”10

“Images, however, are more than just a person’s internalized pictures. They represent subjective knowledge, used to develop and organize ideas in such areas as visual perception and learning (Bruner, 1973), language (Polanyi, 1958), child development (Piaget and Inhelder, 1969), and economics and politics (Boulding, 1956).” 11

La présentation est l’ensemble des choix que le designer fait en terme de supports de communication susceptibles de l’aider à extérioriser l’image, jusque là formée, et à la faire admettre par les tiers. Cette étape rassemble les choix des éléments présentés (images, croquis,

9 - John Zeisel, Inquiry by design, W.W. Norton and Company, New York – London, 2006, p. 22 10 - Ibid.

11 - Ibid, p.23.

Figure 19: Modèle du processus de design selon Zeisel (Zeisel, 2006, p. 26)

esquisses) ainsi que le choix du médium par lequel l’élément est présenté (dessin manuel, rendu informatiques, texte, présentation sur papier, projection, etc.).12

“Sketching, drawing plans, building models, and taking photographs are some of the many ways designers externalize and communicate their images. It takes skill not only to present an idea well but also to choose the mode of presentation best suited to a particular time in the design process.”13

Le test est l’étape de présentation de l’idée et de la « confrontation » de celle-ci au client ou aux tiers. Elle a comme mission de convaincre l’interlocuteur de la validité de l’idée et de la direction entreprise par le designer, ainsi que la réception des critiques de ces tiers. Suite à cela, le designer revoit son idée à la lumière des nouvelles données qu’il aurait reçues lors de cette étape.

“Appraisals, refutations, criticisms, judgments, comparisons, reflections, reviews and confrontations are all types of tests. After presenting a design idea in any form, designers step back with a critical eye and examine their products (Hiller et al., 1972; Korobkin, 1976), sometimes in groups and sometimes alone (Christopherson, 1963).”14 Dans ce modèle, le processus du design débute lorsque la première image mentale du projet prend forme, suite à la recherche entreprise par le designer, en rapport au projet (exemples précédents, inspirations, règlements, programme, contraintes, etc.). Cette image mentale sera appelée à prendre forme et le designer se verra dessiner cette forme ou la décrire sur un support extérieur que son imagination. Il prendra ensuite les décisions quant aux formules de présentation qu’il va adopter pour faire parvenir son idée et la rendre intelligible. Par la suite, le designer communique son idée du projet sous forme de présentation choisie aux clients ou autres personnes susceptibles d’y apporter leurs appréciations.

Lorsque le designer se confronte à toutes les critiques et suggestions en rapport à son idée primaire incarnée par son image, il prendra en considération ces suggestions et critiques et les utilisera comme apports enrichissant sa première image mentale. Ces apports

12 - Ibid, p. 24 13 - Ibid. 14 - Ibid.

enrichissants peuvent s’appliquer sur le concept général, ou la problématique générale du projet, comme ils peuvent s’appliquer sur les détails des choix de la formalisation de ce concept-là. En effet il se verra revenir sur son image mentale en la nourrissant des nouveaux éclaircissements apparus lors de la phase de confrontation afin de réenclencher le processus qui, à son tour, va régénérer l’image mentale une nouvelle fois. Une image mentale qui introduira de nouveaux détails à considérer et à spécifier. Pour Zeisel, ces deux types d’apports au processus du design font de celui-ci un champ d’apprentissage. Il appelle le premier type d’apport image information, et le second test information nous donnant des exemples de chacun.15

“Designers use “image information” heuristically as an empirical source for basic cognitive design decisions: What is the meaning of a school in a child’s life? What is life like for a person with disability? […] Image information conveys a feeling or a mood of some environment. It cannot be used to evaluate isolated specifics of design concept. Test information drawn from the same body of knowledge is useful to evaluate design alternatives. For example, is it easier for most older people who use wheelchairs to push themselves up from the toilet with a horizontal grab bar or to pull on a slanting grab bar?” 16

Ce que Zeisel nous révèle du processus de design est intéressant. Le processus de design est, selon ce modèle, un processus dynamique, perpétuel et en développement. Dynamique, car il engage un certain mouvement de la part du designer vers la résolution de problématiques de design relatives à des thèmes jusque-là inconnus ou peu connus par le designer. Perpétuel, car il reprend les mêmes étapes (image, presentation, test) de manière cyclique jusqu’à l’aboutissement du projet. En développement, car il permet au designer d’acquérir de nouvelles informations et tours de main, bénéfiques à son travail tout en lui permettant d’enrichir son savoir empirique.

Zeisel nous révèle aussi, une certaine caractéristique de la première étape de son modèle qu’est l’image. En développant cette première étape, il y fait référence en pointant l’absence des données empiriques relatives à la question et nous présente, quelques références dont le modèle de Jones, qui vient intéresser notre sujet davantage. (Figure 20)

15 - Ibid, pp. 25-26.

En effet, le modèle de la boite noire (rapporté par Jones) exprime clairement la présence d’une source intérieure de l’image, mais qui, jusque-là n’a pas encore révélé sa nature. Le designer dans ce modèle, reçoit une question ou une demande qui, traitée par le système nerveux par ce processus inconnu, donnera naissance à l’idée sous forme d’image.

“ How a designer’s first image is formed has been the topic of much discussion but little empirical research until the neurosciences focused on imaging in the brain. The concept is well expressed in Jones’s picture (1970, p. 46) « of black box designer », reflecting his interpretation of how Osborn (1961), Mantchett (1968), and Broadbent (1966) describe design.”17

Il est clair que Zeisel se questionne sur le processus de design une fois enclenché et se propose d’y répondre par l’intermédiaire de cette modélisation qu’il nous présente. Cependant, il admet que le processus de design est un processus qui ne débute pas avec l’image. Il est enclenché bien avant, au moment où la question de design est posée, lors d’un concours, d’un exercice ou encore, lors de l’apparition d’un besoin quotidien, et peut être même avant toutes ces considérations. Une fois la question posée, un processus inconnu de Zeisel prend en charge la production de l’image par laquelle débute son modèle. Il existerait donc un processus encore inconnu, entre le moment de la présentation du problème au designer et celui de l’apparition de sa première idée de la solution.

À ce propos, il est important de noter que, même avec l’avènement des apports les plus récents de la recherche en design, le processus de design a presque toujours été abordé dans

17 - Ibid, p. 23.

Figure 20: L'origine de l'image mentale. Référence au modèle de la

boite noire (de Jones, 1970)

ses aspects conscients, c’est-à-dire les aspects palpables de cette activité, comme les objets manufacturés, les constructions, les formes, les maquette, plans, formes ou les discours descriptifs, et ce à travers les nouvelles pistes de recherche introduite : herméneutique, poétique, rhétorique, etc. L’aspect inconscient, c’est-à-dire tout ce qui précède ou accompagne le processus conscient du design, comme la notion de la boîte noire de Jones, reste négligé par ces recherches.

Cette négligence survient par choix, par faute d’outils adéquats, ou tout simplement par persistance de la tradition rationnelle depuis la première génération. Une persistance observée malgré le fait qu’avec le développement de la recherche en design, il a été admis que des aspects subjectifs relatifs à la personnalité du designer, interfèrent et prennent place dans le processus du design. Ces interférences ainsi que leurs modes d’opérations restent aussi exclues ou très peu considérées par les recherches entreprises jusque-là. Des thématiques qui, pourtant, pourraient enrichir davantage nos connaissances du processus de design et nous permettre de franchir un pas considérable dans l’avancée théorique et pratique de cette discipline :

“This prevailing paradigm has been that of the Modern Movement, which characterizes design as a rationalistic, reductionistic and mechanistic – ‘hostile to every subjective speculation’. It has been an attempt to model design method on scientific method; but relying on what we now know to be a rather naïve view of science.”18