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Complexe d’Œdipe et sexualité infantile 133

C’est donc âgé entre quatre et six ans que je devais grimper ces marches colossales et irrégulières pour pouvoir accéder aux chambres situées à l’étage où je pouvais dormir. Finissant de monter cet escalier, je ne marquais jamais d’arrêt pour reprendre mon souffle et me précipitais à parcourir la coursive qui menait aux dites chambres. Par contre, il m’était très fréquent, de jour, après mon réveil, ou quand il m’arrivait de remonter, de profiter de ma position dominante depuis la coursive, pour avoir une vue plongeante sur les ruines de l’ancienne maison abandonnée et transformée en jardin potager. Accroché au poteau, je contemplais longuement ce jardin qui se transformait chaque nuit en gouffre noir, demeure des monstres me menaçant chaque fois que j’entreprenais mon ascension nocturne. (Figure 43.)

D’après la persistance de ce souvenir de l’escalier, et par les autres souvenirs et détails qui surgissent en ce qui vient de précéder, nous pouvons admettre disposer d’un certain nombre d’éléments que nous pouvons d’ores et déjà mettre en perspective dans notre analyse, surtout après la considération d’un détail important. Il s’agit de l’âge auquel ces souvenirs appartiennent ou se rapportent, mes quatre à six ans, qui n’est autre que l’âge correspondant à l’entré en action du complexe d’Œdipe et le début de la période de latence qui s’en suit. En effet, ce souvenir d’ascension pénible date d’avant ma scolarité, l’effort et la peur y prenaient la forme d’un rituel qui précédait mon sommeil, chaque nuit. Ce n’est qu’une fois échappé aux

Figure 43: Reproduction de la vue

matinale sur la maison en ruine

monstres imaginaires qui habitaient la maison en ruine, dans laquelle l’escalier vibrant pouvait à tout moment me jeter, que je pouvais enfin dormir, mais surtout, dormir aux cotés de ma mère, après une journée de séparation.

À l’âge d’Œdipe freudien, tout enfant cherche incessamment l’exclusivité de l’amour maternel. Une quête que Freud évoque sous forme de « prédisposition perverse polymorphe »157 de l’enfant, qui cherche l’élimination de tout concurrent potentiel, à savoir le père et les autres membres de la famille : frères et sœurs, et ce par n’importe quel moyen. Cadet d’une famille de huit enfants, il n’est pas loin d’être juste de considérer que dans mon cas, ces vacances semblaient constituer le cadre idéal pour cette recherche, car elles m’offraient une économie d’énergie importante : mon père contraint à travailler restait à Alger, et un nombre de mes frères et sœurs y restaient aussi. Le nombre de concurrents sensiblement réduit, il m’était plus facile de mener à bien ma quête. Il est même très probable que ma solitude, à laquelle je fais référence dans mon récit, ne soit qu’une autre stratégie servant le même dessein. M’empêchant inconsciemment de me faire des amis, j’évitais toute relation avec d’autres enfants, qui ne ferait que m’éloigner de l’intérêt que j’éprouvais pour la proximité de ma mère et de l’amour qu’elle me vouait :

« Pour moi, solitaire au jeu, qui ne sortais presque jamais de

la maison, ces vacances étaient une occasion de remplir ma tête d’histoire à me raconter pour l’année. Mon imagination collait des

scènes à tout ce qui m’entourait. »

C’est donc à l’âge du complexe d’Œdipe, caractérisé par la convoitise de l’amour maternel, que le souvenir de cet escalier et la scène qui le comporte appartiennent. Débarrassé de mes concurrents potentiels, et des amis que je n’ai jamais eus, il ne me restait qu’à m’appliquer, par tous les moyens, dans le but d’un rapprochement complet et exclusif de ma mère. Il ne me restait qu’à fuir ces monstres qui me guettaient et gagner la sympathie de ma mère, sensible à ma situation, pour recevoir son intérêt, grandissant encore lorsque j’usais de ma sensibilité et de mon image fragile afin de retourner à mon avantage les moqueries dont j’étais sujet. Bien que le cheminement que je devais entreprendre m’était pénible, je me

consolais toujours du fait de retrouver ce confort suprême dont j’allais jouir, au bout, auprès

d’elle.

Si l’on considère ce rapprochement recherché de la mère, sous l’angle de vue de la psychanalyse freudienne, nous pouvons lui donner un caractère sexuel infantile. Nous pouvons admettre qu’il s’agit de pulsions sexuelles, apparaissant et accompagnant le développement de ma sexualité, qui me poussaient à ce type de comportement. À l’âge où la

censure n’était pas encore assez développée, ces pulsions prenaient avantage de chaque

situation favorable pour se satisfaire. Une satisfaction qui se cherchait désespérément dans ce rapprochement perpétuel de la mère qui devint une récompense qui valait au-delà de tous mes combats et combines. Elle fut aussi un exploit, celui de pouvoir vaincre les obstacles qui parsemaient mon chemin de quête de l’amour maternel telles les moqueries des autres membres de ma famille. Ce fut aussi une victoire sur le père et les frères et sœurs, avec lesquels je ne partageais plus cet amour, mais aussi une victoire sur ce gouffre noir, plein de monstres fantasmés, qui naissaient, chaque nuit dans la vielle maison en ruine, dans le seul but de me dévorer.