• Aucun résultat trouvé

a ) De l’introduction aux années 1980 : une dynamique paysanne

Avec une production estimée à 226 00 tonnes en 201320, le Tchad occupait le 26e rang parmi la quarantaine des pays africains producteurs de manioc, avec des rendements moyens de 6 tonnes par hectare. Les données statistiques sur le manioc doivent cependant être considérées avec quelques précautions. Contrairement aux autres productions vivrières, il n’a pas été conçu pour le manioc, des référentiels de mesure qui permettrait une estimation un peu plus précise de la production nationale.

Le manioc a été introduit au Tchad en 1930, à partir de la République centrafricaine, par l’administration coloniale suite à une famine causé par une invasion acridienne (Gaide, 1956). Cependant, Chevalier (1908) avait déjà signalé en 1903, la présence de la plante et son usage

70 dans l’alimentation humaine à l’extrême Sud du Tchad. L’adoption et la propagation de la culture au Tchad ont été assez rapides. En 1940, la culture était solidement implantée dans les districts de Fort-Archambault21, Moïssala, Koumra, et sur une partie du district de Doba. Selon Gaide (1956), le manioc a atteint les pays Moussey et Moundang vers 1948-195022 (Carte 8).

Carte 8 : zones d’extension de la culture du manioc entre 1930 et 1950. Source : Gaide (1956) sur fond de carte CNAR

La fonction de « filet de sécurité alimentaire » qui a justifié son introduction a été très vite dépassée et le manioc est devenu au fil des années non seulement l’aliment de base pour une bonne partie des populations de l’extrême Sud du Tchad, mais également une culture vivrière marchande.

21 Départements des actuelles régions du Mandoul et du Moyen-Chari 22

Les pays Moundang et Moussey sont situés dans quelques départements des actuelles régions du Mayo-Kebbi Ouest et de la Tandjilé

RCA Cameroun

71 Cette évolution s’est faite sans un appui des pouvoirs publics, car contrairement aux autres productions vivrières,23 le manioc est resté longtemps en marge des projets et programmes de développement agricole et rural. Ce fut d’abord l’administration coloniale, qui après avoir introduit le manioc et encouragé sa culture a émis dès 1950, des réserves face à l’engouement des agriculteurs pour la nouvelle plante. Le manioc avait commencé à ronger sérieusement les parts du sorgho et du mil qui étaient les principales sources de l’alimentation des régions où il avait été introduit. La préférence du manioc par rapport aux céréales fut considérée par l’administration coloniale comme une régression de la qualité des régimes alimentaires. En effet, le manioc était jugé moins nutritif que le mil et le sorgho. Il lui était également reproché de contribuer à la dégradation des terres (Cabot, 1964). En fait, la réticence à l’expansion du manioc serait due en réalité au peu de visibilité qu’il offrait en termes de production de surplus mobilisables par l’administration coloniale (Magrin, 2001). L’encadrement des agriculteurs de la période post coloniale avait également manifesté peu d’intérêt et le manioc est resté pendant longtemps « l’affaire du paysan ».

b ) Un nouvel élan à partir des années 1990

Les travaux de recherche et les initiatives de promotion en faveur du manioc ont relancé la culture qui avait commencé, dans les années 1980, à pâtir des effets des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Les nouvelles variétés introduites à partir des années 1990 ont été adoptées par les agriculteurs, et les termes utilisés dans les langues locales pour désigner ces variétés traduisent assez bien les attentes des agriculteurs et les fonctions qu’ils assignent au manioc dans leur système de production. On note entre autres appellations chez les Ngambaye « Tessem » qui littéralement signifie m’a sauvé, sous-entendu, de la famine, ou « Renda » qui signifie « arrivé au moment opportun ». Les variétés douces ont été particulièrement appréciées. Ces variétés, dont les racines peuvent être consommées simplement crues ou bouillies, constituent des ressources alimentaires très importantes, d’autant plus que leur récolte intervient durant la période de soudure. L’introduction des nouvelles variétés à cycle plus court que les variétés locales ont permis d’élargir la zone de culture du manioc bien au-delà des premiers bassins de production. On retrouve aujourd’hui le manioc dans les régions de la zone sahélienne et sur les rives du fleuve Chari dans une zone qui s’étend de la région du

23Les programmes d’appui aux productions vivrières d’envergure nationale ont été en fait peu nombreux. Seule l’arachide a bénéficié d’un programme d’envergure, avec pour objectif d’en faire une culture commerciale dans les zones où le coton ne pouvait plus être cultivé

72 Baguirmi jusqu’au Lac Tchad. Les variétés cultivées dépendent des régions et des objectifs des agriculteurs. Lorsque la culture est destinée à l’autoconsommation et à la vente, les agriculteurs cultivent à la fois les variétés douces et les variétés amères, ces dernières étant destinées à être transformées pour produire des cossettes, c’est le cas des régions de la zone soudanienne. Pour la zone sahélienne et les systèmes de production péri-urbains situés sur les rives du fleuve Chari, ce sont les variétés douces qui dominent. La majeure partie de racines produites dans ces systèmes de production sont destinées à une vente en frais dans les grands centres urbains. Dans tous les cas, les modes de production sont extensifs, caractérisés par l’absence des intrants modernes tels que les engrais et les produits phytosanitaires.

On peut dire donc qu’après le ralentissement des années 1990, la culture du manioc a repris un peu plus de vigueur dans certaines parties de la zone soudanienne. Néanmoins, la compétition pour l’espace et les ressources entre agriculteurs et éleveurs est toujours aussi forte, et les dévastations des champs accidentelles où délibérées n’ont pas baissé d’intensité. Le manioc demeure toujours une source potentielle de conflits.

73

Ch a p itre 2. Outils théoriques mobilisés

Comment mettre en évidence la contribution du manioc dans les revenus des agriculteurs et dans leur capacité à résorber l’insécurité alimentaire ? Le choix des concepts et des outils mobilisés pour nos analyses relève d’une approche méthodologique à double entrée :

‐ Une entrée par les pratiques des agriculteurs pour étudier des systèmes de production ; ‐ Une entrée par les pratiques de commercialisation pour étudier l’insertion des

agriculteurs dans la filière manioc.

Les outils théoriques mobilisés se rattachent aux deux axes thématiques explorés. Le premier axe se situe à l’intersection des sciences sociales et agronomiques : il est en rapport avec l’environnement immédiat des agriculteurs, il prend notamment en compte les mécanismes et les processus mis en œuvre pour la production du manioc. Le second axe mobilise les outils de l’analyse filière afin d’explorer les relations entre les agriculteurs et le marché, en vue d’évaluer l’impact du marché et celui de l’organisation des acteurs sur les stratégies de