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déterminants de l’évolution du manioc dans le sud tchadien :

3.3.3. Des agriculteurs plus réceptif à la diffusion des innovations

Dans un contexte où le manioc était source de conflits violents, il n'était pas évident de parvenir dans une période aussi courte (deux ans) que celle d’un projet, aux résultats qui ont été obtenus. L'environnement économique autour des agriculteurs de la zone soudanienne a grandement facilité l'action des vulgarisateurs. Le projet de diffusion de nouvelles variétés de manioc arrivait à un moment où les activités de production au sein des exploitations agricoles étaient complètement bouleversées par la crise survenue au sein de la filière cotonnière qui faisait fonction de principale locomotive du développement rural en zone soudanienne. Les producteurs qui avaient abandonné la culture du cotonnier avaient perdu leur principale source de revenus sans qu'il n'y ait eu d’autres

129 alternatives crédibles pour combler le vide ainsi crée. Les besoins monétaires des agriculteurs les obligeaient à vendre d’avantage de céréales, ce qui accentuait les déficits vivriers et les risques de disettes durant les périodes de soudure. C'est dans ce contexte particulièrement difficile que le manioc, une plante qui pourrait permettre non seulement de résorber les déficits céréaliers, mais aussi de générer des revenus a été proposée aux agriculteurs. À la recherche de nouvelles alternatives et de nouvelles sources de diversification des productions, les agriculteurs ont été réceptifs et favorables à l'adoption des innovations qui leur étaient proposées. Comparés aux difficultés causées par la baisse de revenus, les conflits avec les éleveurs sont apparus pour les agriculteurs comme une contrainte surmontable. Ils ont imaginé et mis en place des stratégies pour la contourner :

‐ Dans le village de Kamkoutou, la parade qui a été trouvé fut de regrouper toutes les parcelles de manioc, dans un même bloc et sur un espace spécifiquement réservé à cet effet durant le temps de culture qui dure généralement deux campagnes agricoles. L'endroit retenu peut être une terre non encore exploitée, une jachère ou des terres fraichement mise en valeur. Dans le premier cas, chaque agriculteur défriche une portion de terre correspondant à ses besoins. Dans les deux derniers cas, chacun occupe la parcelle qui lui appartient. S'il arrive qu'un agriculteur ne dispose pas de champ sur l'emplacement qui a été retenu, les autres lui cèdent une partie de leur terrain et en contrepartie ce dernier concède une autre surface équivalente située sur un autre emplacement. Selon les agriculteurs, la présence d’une grande étendue de manioc dissuade les éleveurs qui prennent toutes les dispositions pour éviter de s’en approcher avec leurs troupeaux. En effet, les éleveurs, même nombreux, se retrouveraient en cas de confrontation avec les agriculteurs, en situation d’infériorité et de faiblesse par ce qu’ils auraient en fasse non seulement tout le village mais probablement, solidarité et reflexe identitaire aidant, les populations des villages voisins. En cas d’arbitrage devant les tribunaux et les brigades de gendarmerie, l’importance du nombre de personnes impliquées dans les litiges oblige à plus de prudence, pour ceux qui seraient tentés de passer par la corruption ou de faire appel à leur réseau d’influence pour s’en sortir. Le regroupement de parcelle semble donc être une pratique relativement facile à mettre en œuvre. Mais on n’aurait certainement pas pu l’appliquer aussi facilement dans les zones à forte densité de population ou la gestion des parcelles est fortement individualisée.

‐ Dans le village de Béréo Kouh où les champs de manioc ne sont pas très éloignés des habitations, c'est plutôt la clôture des parcelles qui a été choisie. Dans ce village où l’élevage

130 de petits ruminants et de porcins est important, les risques de dévastation ne proviendraient pas seulement des animaux des transhumants, mais également de ceux du village.

L’introduction de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques autour de la culture du manioc dans les villages de Kamkoutou et de Béréo Kouh peut être considérée comme un exemple de diffusion d’innovations qui a permis d’obtenir des résultats importants sur une période relativement courte. Les conditions décrites par beaucoup de spécialistes comme favorables à l’adoption des nouvelles innovations par les agriculteurs semblent avoir été réunies (Everett, 1983 ; World Bank, 2006). En effet, le contexte socioéconomique, marqué par les difficultés de la filière cotonnière et l’absence d’alternatives pour remplacer le cotonnier rendaient les agriculteurs plus réceptifs. Les caractéristiques du manioc en faisaient une culture qui arrivait au bon moment. Les principaux éléments du paquet technologique qui était soumis aux agriculteurs pouvaient être mises en œuvre séparément. C’est ainsi que les variétés améliorées qui étaient proposées pouvaient être cultivées sans recourir à des investissements techniques et des moyens financiers supplémentaires de ce que les agriculteurs possédaient déjà. Par contre, l’utilisation des innovations proposées pour l’amélioration des procédés de transformation n’a pas été poursuivie au-delà de la phase des tests. En effet, le fonctionnement des équipements qui avaient été fournis aux agriculteurs exigeait non seulement de nouvelles compétences techniques dont la maîtrise n’était pas évidente, mais nécessitait de moyens financiers qui n’étaient pas toujours disponibles, et un mode d’organisation à bâtir. En outre, les nouveaux produits dérivés qui devaient être fabriqués (gari, et tapioca), étaient destinés pour un nouveau type de clientèle à susciter et pour un marché à construire. Les agriculteurs se sont donc concentrés sur la culture et ont mis en œuvre des pratiques qui leur ont permis de contourner la principale contrainte que constituait la divagation des animaux en saison sèche.

Le rayonnement des innovations s’est étendu bien au-delà de leur point d’entrée. Les surfaces cultivées en zone soudanienne ont augmenté et l’aire de culture du manioc s’est élargie. La culture du manioc semble correspondre aux besoins de l’ensemble des agriculteurs, du plus petit qui cultive à peine 2 ha à celui qui dispose de suffisamment de terre et de moyens. Cependant, les systèmes de culture actuels demeureront fragiles tant qu’ils auront pour objectif principal la satisfaction des besoins alimentaires des agriculteurs. Le maintien des performances sur le long terme et la capacité des agriculteurs à résister à des chocs accidentels, liés au climat surtout, ne peuvent être obtenus que si les systèmes de culture actuels évoluent vers des systèmes résolument orientés vers le marché. Ce qui suppose une profonde mutation dans les procédés de transformation actuels et une diversification des produits dérivés.

131 3.4.

Les pratiques culturales sur le manioc

Le terme de « pratiques agricoles » désigne L’ensemble des activités matérielles intentionnelles et régulières que les agriculteurs développent dans le cadre de la conduite des processus de production agricole (landais et al., 1988). Avec la relance de la culture de manioc dans les villages de notre zone d’étude, les anciennes pratiques des agriculteurs ont certainement été enrichies par celles qui résultaient de la mise en œuvre de nouvelles techniques de production contenu dans les paquets techniques introduites avec les innovations. La mise en œuvre concrète d’une technique culturale se fait non seulement en fonction du contexte de l’exploitation mais aussi de celui d'une société locale, caractérisée par son histoire, son territoire, son fonctionnement (Teissier, 1979). L’analyse des pratiques agricoles ne peut se faire indépendamment de l’agriculteur, de ses objectifs, de son environnement écologique, économique et social (Blanc-Pamard et al., 1992). Les travaux réalisés dans la zone d’étude ont permis d’identifier les pratiques agricoles développées autour de la culture du manioc, d’appréhender le savoir-faire développés par les agriculteurs à travers les modalités de mise en œuvre, et d’apprécier leurs effets sur les modes de production. L’analyse des effets et des conséquences des pratiques a été faite au regard des pratiques observées dans d’autres zones de production de manioc, des résultats des travaux de recherches et des recommandations techniques des spécialistes de la culture du manioc.