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L’objet étudié par le psychologue est qualifié par M. Brossard d’objet complexe, au sens où il fait intervenir trois instances : l’enfant qui apprend, les contenus à apprendre et « les

interactions communicatives entre le jeune enfant et ses partenaires humains au sein des contextes sociaux signifiants » (Brossard, 1999, p. 39). Dans ces interactions communicatives,

comment est envisagée la langue ? Simple véhicule d’idées ou lieu de conflits et de pouvoir, elle n’apparaît que très peu dans sa matérialité.

1.3.1 Le langage dans la perspective cognitiviste

Pour les courants modularistes de la psychologie cognitive, la planification, la mise en texte et la révision semblent constituer trois processus nettement séparés, les entités textuelles et conceptuelles étant, de fait, également distinctes. R. Kellog32 reprend le modèle de Hayes et Flower et détaille ainsi le processus d’écriture :

1 – Planning conceptual content : idea retrieval, idea organisation, goal setting. 2 – Translating ideas into text : sentence generation, establishing coherence. 3 – Reviewing ideas and text : reading, error detection at multiple levels of text.

Deux caractéristiques de ce modèle, la révision comme correction d’erreurs et la séparation des idées et des mots, vont retenir notre attention.

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On sait par ailleurs que ce type de situation induit des biais incontrôlables : le comportement de l’enseignant ne sera pas tout à fait le même, parce qu’il coopère à une expérimentation et se focalise par là sur certains aspects de l’écriture auxquels il ne ferait peut-être pas attention d’ordinaire. Il est de toute façon impossible d’éviter tous les biais. La position des socio-constructivistes – et je les suis sur ce plan-là – est de tenter de les réduire au maximum.

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Conférence à l’École Thématique Production de textes et processus de révision, Poitiers, LaCo-CNRS, juillet 2001.

1.3.1.1 Réviser, c’est corriger.

Avec les termes de error detection at multiple levels of text, la révision paraît centrée sur les défauts du texte, ce qui pose un problème théorique important quant à la conception de l’écriture qui sous-tend le modèle. M. Fayol estime lui aussi que

« les difficultés qui expliquent la rareté des révisions se situent à trois niveaux : percevoir que

quelque chose ne va pas, déterminer ce qui ne va pas, et, enfin, mettre en œuvre des moyens

spécifiques pour y remédier » (Fayol, 1996, p. 35 – je souligne).

Ceci sous-entend que la révision est à effectuer essentiellement pour corriger le texte dans le sens d’une amélioration33. C’est aussi l’idée de Hayes et Flower, résumée en ces termes par Brassard (1989, p. 86) : la fonction de la révision est

« d’améliorer la qualité du texte produit lors de la mise en mots. Ce processus consiste à détecter les faiblesses du texte et à les corriger selon les conventions de la langue et les exigences du sens et à évaluer la mesure dans laquelle le texte réalise les buts du rédacteur. »

Brassard s’empresse de signaler qu’il considère cette définition comme restrictive. Pourquoi ? Parce que la révision n’est pas identifiable à ses traces, parce que les retours dans le texte (cf. Fayol) sont plus nombreux que les corrections. Il ne creuse pas – c’est dommage – le rôle de ces retours : dans leur grande majorité, les psychologues cognitivistes négligent le fait que la révision puisse également servir à impulser la dynamique d’écriture. Pourtant, des travaux font état de cette caractéristique : « à la faveur

de la distanciation provoquée par la révision, certains scripteurs sont capables de faire bouger leur pensée et de découvrir l’idée qu’il n’ont pas réussi à trouver lors du premier jet. » (Lebrave, 1987,

p. 68). Si les cognitivistes ne semblent faire aucun cas de cette caractéristique pourtant fort importante et qu’il ne peuvent ignorer, c’est, me semble-t-il, parce qu’ils considèrent que les enfants ne sont pas capables de ces comportements, dont il est vrai que des adultes – en particulier écrivains – sont pratiquement les seuls à témoigner. Le rôle créateur de la révision ne résiste pas au double passage d’une écriture littéraire à une écriture ordinaire et d’une écriture experte à une écriture en devenir.

1.3.1.2 Les idées d’abord, les mots ensuite.

La lecture des trois tâches de planification, mise en texte et révision montre également que l’écriture commence par un travail sur des idées, que ces idées vont ensuite être

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Nous verrons la discordance de cette croyance avec les principes de la critique génétique, où l’on s’interdit précisément tout jugement sur les améliorations éventuelles qu’une modification apporte ou non au texte. Ceci s’explique bien sûr par la différence d’objets (écrits littéraires / écrits d’apprenants) mais aussi par une différence de conception de l’écriture.

traduites en mots et que le tout sera révisé « à de nombreux niveaux textuels », sans qu’un

retour (effet des mots employés sur les idées construites) ne soit envisagé. Pour les tenants de cette représentation, le langage n’a apparemment qu’un rôle de transmetteur : A. Piolat évoquait en 1987 la structure cognitive du récit (résultant de l’intégration de la structure canonique du type d’écrit récit ) comme un

« schéma de cases vides auxquelles seront affectés des contenus lors de la lecture / audition du récit. Etendue à la production, cette conception conduit à supposer que ce schéma facilite la composition de récit en permettant d’organiser les contenus activés en mémoire. » (Piolat, 1987, p. 286). 34

Cette conception de structures indépendantes de leurs contenus, le lien éventuel entre la convocation des unes et l’activation des autres n’étant pas cerné, va à l’encontre de celle dans laquelle s’inscrit ce travail : comme le souligne François Rastier,

« Notre tradition philosophique nous a habitués à une conception instrumentale du langage, comme simple véhicule d’une pensée autonome voire indépendante à son égard. Mais on peut douter qu’il existe des choses à dire indépendantes de toute verbalisation. » (1989, p. 15).

Il ne s’agit pas seulement de présupposer un effet de retour de la verbalisation sur le contenu à exprimer, retour facile à observer quand on s’intéresse au langage en acte35, mais de s’interroger sur l’existence de contenus non verbaux : si ce qui est dit ne traduit pas exactement ce qui était à dire, ce n’est pas parce que ce qui était à dire était hors-le-langage ; c’est parce que ce qui était à dire s’exprimait (déjà), dans ce que Vygotsky appelle le langage intérieur36, par une sorte de chevauchement paradigmatique37 qui ne peut s’insérer dans une chaîne syntagmatique : entre dix mots, on choisit le plus adéquat, même si cette adéquation n’est jamais totale.

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Fort heureusement, les choses ont l’air à présent plus ouvertes. A. Piolat, par exemple, déplorait en 1998 que les méthodes d’analyse de la production écrite en temps réel (méthode on-line) forgées à partir de 1980 aient négligé l’observation des différents niveaux linguistiques des textes rédigés.

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Dans son étude sur la paraphrase dans les brouillons, Catherine Fuchs remarque que c’est « par une série de

tentatives d’expression, qui constituent autant de reformulations à partir d’une intention de signification initiale, que l’auteur cherche à s’approcher de la formulation la plus adéquate et forge, ce faisant, sa propre pensée. »

(1982 b, p.87).

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« Les mots y fonctionnent comme des concentrés de sens ou des discours à eux seuls. Il est possible de se dire à soi-même, en quelques mots, ce qu’il faudra développer et expliciter aux autres par de nombreux énoncés. » (Alcorta 1996, p. 88)

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Claire Blanche-Benveniste observe également, à l’oral, un entassement paradigmatique : « Un écrivain, Régis

Debray, parlant à la radio, énumère, pour caractériser la naïveté, trois adjectifs successifs, entre lesquels il est visible qu’il ne choisit pas. […] L’entassement paradigmatique, qu’il fasse ou non un effet de réussite stylistique, est une des caractéristiques importantes de la production orale. » (1997, pp. 20-21) On peut considérer cet

entassement paradigmatique comme la trace de la distance entre ce qui était à dire, contenu pour lequel le langage intérieur avait peut-être trouvé un mot, et ce qui est dit, le même mot perdant, en étant prononcé pour d’autres, la caractéristique de concentré de sens que lui conférait le langage intérieur.

Le cognitivisme, qui a permis des avancées considérables quant au fonctionnement micro-procédural lors des activités de lecture et d’écriture, ne s’est pas donné les moyens pour l’instant de prendre en compte le langage dans sa dimension spécifique « en deçà de

l’évidence du sens »38, dimension qui interdit de le considérer comme un simple véhicule de pensées déjà là et tout à fait là avant d’être énoncées, tant il est difficile, comme le réaffirment les linguistes qui travaillent dans ce que C. Fuchs (1981, p. 42) appelle « l’énonciation au sens étroit », d’imaginer une idée sans forme d’une part, une énonciation sans effet sur l’idée qu’elle devait énoncer, d’autre part.

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