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A côté du modularisme : la perspective interactive

1.1.2 Le modèle de Hayes et Flower : mise en cause et prolongements

1.1.2.3 A côté du modularisme : la perspective interactive

Le modèle de Hayes et Flower, comme d’autres10, repose sur « une conception modulaire de

l’activité de production » et postule

« des composantes relativement autonomes […] de trois types : celles qui traitent les concepts, leurs interrelations et l’impact des dimensions communicative et énonciative ; celles qui concernent les aspects proprement linguistiques (i.e. accès lexical, production syntaxique, marques de cohésion, etc.), et celles enfin qui ont trait à la réalisation physique (phonologique ou graphique) des différents aspects du message. » (Fayol, 1996, pp. 25-26).

Sans renoncer à ces trois types de composantes, les modèles connexionistes envisagent des liens éventuels entre les différentes tâches. Cette perspective est intéressante pour notre propos car elle permet d’analyser des phénomènes tels que les corrections orthographiques en lien avec des modifications sémantiques11.

La réflexion a été engendrée par les problèmes que pose le biais lexical, ou prononciation d’un mot pour un autre, les deux mots ayant des caractéristiques communes. Selon M. Fayol,

« on voit mal comment les biais lexicaux et les influences phonologiques seraient possibles si la forme des mots était récupérée après la signification sans rétroaction possible. » (1997, p. 69).

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Dans sa présentation des différentes approches cognitivistes, Fayol cite, parmi les modularistes, Levelt sur l’oral et Van Galen sur l’écrit. Je ne détaille par ici leurs travaux parce que, d’une part, ils n’ont pas eu en didactique un écho similaire à celui de Hayes et Flower ; d’autre part, ils travaillent à une échelle encore plus restreinte : Levelt dans la production du langage, postule les instances de conceptualisateur, formulateur et articulateur ; Van Galen s’attache à la dernière étape de la production écrite, la réalisation graphique du message. Il n’est pas de mon ressort de présenter ni commenter ces modèles, dont la compréhension en profondeur nécessite un travail que je n’ai pas jugé prioritaire pour mon étude.

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Houdé et Wynnikammen (1992) décrivent les systèmes connexionnistes en termes de “réseaux de processeurs

élémentaires (nœuds) soumis, par le biais de connexions pondérées (arcs), aux jeux d’activations et d’inhibitions interactives. […] Lorsqu’un système connexionniste est activé par l’environnement (entrée du système), tous les processeurs élémentaires calculent en même temps le niveau d’activation du nœud où ils se situent.” C’est cette

simultanéité qui fait la spécificité de l’approche connexionniste. “De plus, les représentations de

l’environnement ne sont pas stockées en un endroit précis d’une mémoire permanente et instanciées en mémoire de travail, mais elles sont au contraire distribuées sur toute la structure du système et activées avec celui-ci – d’où la possibilité d’un phénomène de résonance immédiate entre une structure de l’environnement et la structure du système.” (p. 88). Il semble donc que le connexionniste ait une approche plus souple, moins figée,

L’auteur évoque

« l’existence d’un lexique unique comportant des interrelations entre significations et formes des mots. Dans un tel lexique, l’excitation se répandrait parallèlement sur les deux dimensions. » (1997,

p. 69).

A partir des années 1980, plusieurs auteurs ont travaillé dans ce sens pour conclure que, lors de la récupération lexicale, on ne peut considérer indépendamment les processus phonologiques et sémantiques. On parle alors de connexion entre les différents modules, ceux-ci formant des réseaux organisant la signification à travers lesquels l’activation se propage. Par exemple, voulant dire parti, un sujet dit pardon ; le biais lexical est décomposé ainsi (Fayol, 1997, p. 70) :

- activation de la signification correspondant à parti

- activation des composantes syllabiques de l’item activé (par / ti)

- une fois activée, la syllabe par active en retour des items en relation phonologique avec elle (ici : parti et pardon)

- si la syllabe don a été activée récemment et se trouve être résiduelle, pardon peut se substituer à parti.

C’est la bi-directionnalité des relations (sens-item / item-forme) qui permet le biais lexical.12 Au contraire des modèles modularistes, le connexionnisme prend donc en compte le rôle possible des formes linguistiques sur l’émission des énoncés.

Dans le cadre qui nous intéresse ici, celui de la production écrite, il est vraisemblable qu’un biais lexical ne se produit pas si rapidement et à l’insu du scripteur, dont l’activité de production est ralentie par la scription elle-même. En revanche, on pourrait interpréter à l’aide de la notion de biais lexical le processus suivant (chez Antoine, 1h35 d’écriture, annexe p. 53) :

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Tout à fait autre est le phénomène du lapsus, dont le contexte de production est analysé par Irène Fenoglio : l’auteur s’attache au lapsus comme “événement d’énonciation” qui “précipite la parole latente sur l’axe de la discursivité en cours de réalisation, [et qui] la matérialise en lui forçant place dans la chaîne discursive” (Fenoglio, 2000b, p. 223). I. Fenoglio se positionne justement contre le cognitivisme qui ôte au lapsus son caractère d’ “échappée de parole singulière” : “je prends fermement position face au développement d’un point

de vue cognitif qui viendrait aujourd’hui nous donner des leçons de mise en ordre en planifiant et aplatissant le vivant de l’usage du langage sur des modèles comportementaux bio-physiologiques pré-établis, autrement dit en rabattant le psychisme vivant sur des modèles comportementaux conditionnés et conditionnables.” (ibid., p.

223-224) .

Traces scripturales Interprétation possible A la suite de la phrase « Il vit pendant sa route un

bonhomme qui rentrait, qui sortait, qui rentrait, qui sortait », Antoine ajoute « je ma »

Activation de la signification et des composantes syllabiques correspondantes (je /mar /che), scription de « je ma »

Antoine ajoute un point après « sortait » et met une majuscule à « je ».

Interruption de la tâche principale, effectuation de tâches annexes.

Antoine complète « Je ma » en « Je maraita ». Biais lexical : le retour sur le mot en train d’être écrit provoque son association avec un autre mot, que le scripteur choisit finalement.

Antoine ajoute une apostrophe entre « m » et « araita ».

Confirmation de la modification avec la rectification graphique.

Cette interprétation est bien sûr très incertaine et elle n’est donnée ici qu’à titre d’exemple. L’important dans la notion de biais lexical est qu’elle repose sur la simultanéité d’appréhension du signe comme mot de la langue, dans sa matérialité, et du sens que le scripteur cherche à construire. Elle manifeste une prise en compte toujours présente – même si elle est latente – du signifiant. Cette propriété de l’énonciation a été largement étudiée par Jacqueline Authier-Revuz, et ce sont évidemment ses travaux qui nous seront utiles ici. L’entrée de la psychologie dans ce domaine, même si ce qu’elle propose n’est pas aussi utile que les travaux linguistiques pour l’analyse des traces langagières qui nous occupe, méritait toutefois d’être signalée.

Tous les modèles cognitivistes semblent s’accorder sur l’existence de différents niveaux de traitement : conceptuel, sémantique, morphologique, syllabique, phonémique et/ou graphémique. Les différences concernent d’une part l’aspect modulariste ou non-modulariste13 du modèle, d’autre part le degré d’automatisation des activités : d’après

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Selon ces modèles connexionnistes, les réseaux sont capables d’apprentissage : le poids des connexions entre unités évolue en fonction de l’environnement. Fayol lie cette capacité d’évolution à l’influence de la zone proximale de développement (Schneuwly et Bronckart, 1985, p. 95-117). Les choses semblent donc moins figées que dans les approches modularistes. Néanmoins, Rastier se contente de renvoyer dos à dos ces modèles : “le

connexionnisme apparaît comme l’envers complice du cognitivisme : leurs tenants refusent, ne serait-ce que par des métaphores, d’admettre l’autonomie pratique et théorique du computationnel, car ils entendent trouver par l’implantation informatique une validation expérimentale de leurs présupposés philosophiques. […] La métaphore cognitiviste esprit → ordinateur et la métaphore connexionniste ordinateur → cerveau se laissent

lire ensemble, pour peu que l’on convienne que la matière pense et que la dualité entre esprit et cerveau doit se réduire. Il reste alors la comparaison réciproque cerveau ↔ ordinateur : là réside la connivence secrète des

Levelt, les traitements lexicaux et syntaxiques sont automatisés ; selon Fayol, ceci est vrai pour les adultes en production orale mais ne peut être transposé chez l’enfant, qui plus est en production écrite, en raison du « coût cognitif » qu’impose cette tâche complexe et peu familière. Cette considération peut éclairer certaines caractéristiques du corpus travaillé ici, puisque les modifications portant sur la syntaxe, par exemple, y sont fréquentes.

1.1.3 Écriture et développement : la notion de « surcharge

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