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ETUDE GENETIQUE DE L'ECRITURE SUR TRAITEMENT DE TEXTE D'ELEVES DE COURS MOYEN 2, ANNEE 1995-1996

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Texte intégral

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UNIVERSITE DE PARIS III – SORBONNE NOUVELLE U.F.R. DE SCIENCES DU LANGAGE

N° attribué par la bibliothèque ⊥⊥⊥⊥⊥⊥⊥⊥⊥⊥⊥

Thèse de Doctorat de l’Université de Paris III

en Sciences du Langage

C

LAIRE

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OQUET

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ACOSTE

Etude génétique de l’écriture sur traitement de texte

d’élèves de Cours Moyen 2, année 1995-96.

Thèse dirigée par Jacqueline Authier-Revuz Soutenue le 17 juin 2003.

Jury : Madame Jacqueline Authier-Revuz,Professeur Émérite de Sciences du Langage. Madame Sonia Branca-Rosoff, Professeur de Sciences du Langage.

Madame Claudine Fabre-Cols, Professeur Émérite de Sciences du Langage. Madame Sylvie Plane, Professeur de Sciences du Langage.

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Mon premier contact avec une science nommée « linguistique » remonte à une vingtaine

d’années : jeune étudiante en première année de Lettres Modernes, j’ai assisté à un cours d’initiation à la linguistique dont le caractère fastidieux à mes yeux d’alors

m’avait fait me promettre de ne plus jamais m’intéresser à la question de la langue.

Dix ans plus tard, salariée dans un mouvement pédagogique, l’Association Française

pour la Lecture, je travaillais à l’élaboration de Genèse du Texte,

un logiciel de traitement de texte qui permet l’observation chronologique des traces de l’écriture des scripteurs. Pour analyser ce matériau nouveau, j’avais besoin d’outils

aussi bien méthodologiques que linguistiques : j’ai sollicité Almuth Grésillon, qui m’a fort judicieusement conseillé d’entamer un DEA à l’Université de Paris 3,

sous la direction de Jacqueline Authier-Revuz.

Cette deuxième approche de la linguistique, dont les effets furent antagonistes à ceux de la première, m’a donné le goût de l’observation des mots de la langue

et de son système. Il faut croire que la passion de Pierre Le Goffic pour les termes en QW- fut communicative puisque je me pris à apprécier la syntaxe et la morphologie. Par son accroche opiniâtre à la langue, le regard des linguistes m’aida à forger des outils

d’analyse de ces corpus étranges et foisonnants que constituent les reconstitutions d’écriture en temps réel que Gilbert Saby, Instituteur Maître-Formateur au Vésinet,

m’avait permis de recueillir dans sa classe de CM2.

C’est encore dix années plus tard, après mon entrée dans l’Education Nationale

comme professeur d’IUFM, que je parviens à présenter le fruit de cette recherche, dont le cours a été bouleversé par un mariage, des enfants, une agrégation, en somme la réunion de faits qui, juxtaposés, ont infléchi le rythme de mon travail

tout comme ses directions.

Ayant quitté Paris pour Bordeaux, j’y ai été accueillie par Michel Brossard, dont le séminaire de psychologie de l’éducation m’a aidée à ne pas perdre pied dans les périodes

où les activités annexes à ma recherche m’occupaient presque entièrement. L’octroi d’un congé de formation d’une année a favorisé la progression de mon travail, et

cette disponibilité m’a permis de rencontrer des personnes ou de renouer avec certaines : Sylvie Plane pour la didactique, Almuth Grésillon, Irène Fenoglio et

Jean-Louis Lebrave pour la génétique textuelle ont soutenu à distance mes travaux,

suscitant leur publication partielle ou m’invitant à rejoindre des équipes de recherche existantes. Mais c’est bien entendu au soutien attentif et à la bienveillance critique de

Jacqueline Authier-Revuz que je dois principalement d’avoir mis de l’ordre dans un

matériau d’abord anarchique et d’être passée d’une vision idéologique de l’écriture comme activité productrice de sens à une conception théorique du retour sur le dire

comme rouage de l’énonciation.

Pour leur amical soutien, leur inébranlable confiance, leur opiniâtre résistance,

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S

OMMAIRE

Introduction générale

11

P

REMIERE PARTIE

:

CADRAGE THEORIQUE ET METHODOLOGIE

.

Chapitre I - Parcours des points de vue théoriques existants.

23

1. Le processus d’écriture : modèles psychologiques. 26

2. Mettre à jour l'écriture : la génétique textuelle. 58

3. L’enseignement / apprentissage de l’écriture : l’évolution didactique. 84

Chapitre II - Méthodologie et problématique de travail.

117

1. Constitution du corpus 119

2. La transcription : du film de l’écriture à sa représentation linéaire. 147

3. Cadre théorique et problématique. 186

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EUXIEME PARTIE

:

L

E DIRE DILATE DE L

ECRITURE

.

Chapitre III - Accumulation de souvenirs, écriture accumulative. 225

1 . Objet et axes de travail. 227

2. La textualisation : organisation sémique et part du langage dans l’écriture.245 3. D’un référent construit antérieurement à la construction du sens

intérieure à l’écriture : aspects de la planification. 273

4. Reformulations et reprises de mots : des marques de l’activité

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Chapitre IV - L’écriture au confluent du que dire ?

et du pour qui, pour quoi le dire ?

317

1 En quoi la consigne peut-elle induire un tâtonnement dans l’écriture ? 321 2. Marques de la prise en compte du destinataire dans l’énonciation. 335

3. Marques de l’adoption d’un type d’écrit particulier. 371

4. Le souci d’écriture : mise en place de postures d’écrivants. 391

Chapitre V - L’intertextualité à l’œuvre : contes (parfois) détournés.

Invention et réécriture.

421

1. Angles d’analyse du matériau. 424

2. Les règles du genre : implications sur l’écriture. 437

3. Reprises d’éléments des contes et trajets sémantiques. 479

4. Figures d’inversion et de détournement. 509

Chapitre VI - La forme et le sens : problèmes de mise en graphie

533

et travail du texte.

1. La forme de la langue : approches linguistiques et enjeux didactiques. 538 2. La mise en graphie : un angle de description des modes d’écriture. 555 3. Mise en graphie et mise en texte : séparation, intrication, interactions. 572

Conclusion générale

587

Bibliographie 597

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La manière dont écrivent les enfants qui apprennent à écrire reste un objet mystérieux pour les enseignants, et peu digne d’intérêt pour la plupart des gens : on comprend en effet le bénéfice que la recherche en littérature peut tirer de la lecture de manuscrits des écrivains, mais pourquoi s’intéresser à des balbutiements qui ne conduisent souvent qu’à des textes embryonnaires où les maladresses d’élocution gênent jusqu’à la perception des intentions de leur auteur ? A l’école, ce qui compte est encore souvent davantage l’ensemble des marques formelles de l’apprentissage – graphie, orthographe, correction langagière – que l’invention, la capacité créatrice offerte par l’écriture. Quand des parents exhibent fièrement une rédaction bien notée, c’est l’allure même de l’écrit – sans erreur ni rature, marge bien respectée, traits tirés au rouge et à la règle – qui les séduit en même temps que son contenu, censé correspondre à ce que pense et imagine un enfant de cet âge. Voilà posées par là les deux parties du discours scolaire : respect scrupuleux – parfois jusqu’à un maniérisme désuet – des formes qu’impose une norme à laquelle on consacre souvent la plus grande partie des apprentissages systématiques ; invention réglée – trop de débordements seraient sanctionnés – de contenus seyant au lieu et au statut des scripteurs. Voilà qu’émerge aussi la vieille opposition entre forme et contenu, dont chacun connaît le caractère douteux mais qui, dans le cadre scolaire, conserve toute sa vigueur.

Mais ce discours scolaire, comment se construit-il ? Cette rédaction réussie, comment s’est-elle écrite ? C’est autour de ces questions que va s’organiser la présente recherche, qui s’appuie sur un corpus à la fois original et matériellement neuf : le recueil systématique et exhaustif des opérations effectuées par des scripteurs lors de l’écriture sur

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traitement de texte. Le logiciel de traitement de texte Genèse du Texte, édité par l’Association Française pour la Lecture, a la particularité d’enregistrer et de restituer non seulement le texte final, mais le processus d’écriture lui-même. Imaginons qu’une caméra se soit trouvée, au moment de l’écriture, sur l’épaule du scripteur : elle aurait filmé tous les détails de l’écriture, ses hésitations comme ses fulgurances, ses avancées rectilignes comme ses repentirs. C’est ce que Genèse du Texte donne à voir. En situation scolaire, l’enseignant a ainsi un accès nouveau à la manière dont chaque élève a construit son texte. L’instrument permet aux élèves eux-mêmes de prendre conscience qu’écrire n’est pas seulement produire le résultat qu’est le texte final, mais aussi progresser, tâtonner, aller de l’avant, revenir en arrière, dans ce cheminement riche et intéressant par lui-même qu’est le processus d’écriture.

Le logiciel a été conçu à partir du postulat que les élèves, mis en situation de commenter « en direct » leur manière d’écrire, réinvestiraient leurs observations dans la prochaine écriture plus efficacement qu’ils ne le font lors du commentaire d’un texte fini. Ce n’est pourtant pas l’efficacité pédagogique de l’outil qui sera évaluée ici : au moment de son expérimentation dans des classes – je faisais alors partie, en tant que salariée de l’AFL, des expérimentateurs – s’est posé un problème qui n’est toujours pas résolu. Genèse du

Texte conserve tout ; tout, non du processus d’écriture mais des traces graphiques qu’à

laissées à l’écran la constitution du texte. C’est là que commence le travail de l’enseignant, qui va devoir, dans un « film d’écriture » d’une durée d’une, deux, voire trois heures (le présent corpus comporte des écritures de 4h15 !), sélectionner quelques passages qu’il juge pertinents pour aider les élèves à se centrer sur leur activité scripturale, à la commenter, à l’évaluer… C’est là – aussi – que commença, pour les quelques vingt-cinq enseignants impliqués dans l’expérimentation de l’outil , la désillusion : que choisir dans cette écriture ? En quoi ce passage-ci était-il plus intéressant – plus déterminant pour le texte, plus riche de traces de constructions de savoirs – que celui-là ? Bref : que travailler dans l’ensemble foisonnant que constitue un seul film d’écriture ?

L’étude présentée ici fait suite à ces premiers essais de travail dans des classes avec ce logiciel : passée la fascination pour l’effet « cinéma », passées les premières questions à l’auteur du texte : « à quoi pensais-tu pendant cette longue pause ? pourquoi as-tu redémarré

l’écriture comme cela ? », dont nous sentions bien de quelle richesse elles étaient porteuses,

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d’enseignants ont renoncé à l’utilisation de Genèse du Texte et, d’un même mouvement, à toute investigation dans les brouillons de leurs élèves.

Je n’ai, quant à moi, pas renoncé à voir s’élaborer des analyses rigoureuses de certains faits d’écriture qui, s’ils sont parfois le propre des enfants en apprentissage, sont souvent partagés par nombre de scripteurs, y compris les plus habiles. Il y a dans l’écriture quelque trace d’un rapport au langage qui se construit et que les films de l’écriture, retraçant bien mieux que les manuscrits le mouvement qui l’anime, donnent parfois l’impression de partager. C’est cet aspect, plus linguistique que didactique, qui va nous intéresser ici. Parce que toute élaboration didactique passe par la construction de savoirs propres à l’activité pratiquée et que ces savoirs, peu développés dans le champ scolaire, l’ont été par ailleurs, il nous faut élargir le propos pour nous recentrer ensuite sur le corpus disponible.

Depuis une trentaine d'années en France, le regard sur la production langagière particulière que constitue l'écriture s'est à la fois renouvelé et structuré. Renouvelé, parce que les affirmations des écrivains selon lesquels l’écriture est un travail laborieux, opiniâtre, dur parfois, ont fini par extirper des croyances le mythe du poète inspiré qu'avait construit le Romantisme :

« Ce qu’Hugo imaginait devoir le grandir démesurément et le mettre au rang des dieux, ne le rend que ridicule. C’est un mauvais calcul. Qui est poète doit confesser la poésie, avouer son travail, parler de versification, et non s’attribuer des voies mystérieuses. » (Valéry, 1960, p. 893-894).

Renouvelé aussi, parce que le fait que l'écriture devienne, tant bien que mal, une pratique de plus en plus largement partagée, conduit à s'interroger en termes de dialectique sur sa diversité et son unicité : quelles sont les caractéristiques communes entre l'écriture d'un roman, celle d'une lettre et celle d'une liste de courses ? L'écriture est-elle d'abord consignation, adresse à l'autre ou processus d'auto-engendrement ? C'est à travers des interrogations multiples que la vision monolithique d'une écriture avant tout littéraire à finalité théorico-esthétique s'est peu à peu effritée, pour faire place à la diversité des pratiques d'écriture. Décrire l’écriture, c’est par conséquent s’inscrire dans les problématiques ethnologiques, linguistiques, sociologiques et psychologiques qui l’ont déjà abordée et qu’il n’est pas question de décrire précisément ici mais pour lesquelles un balisage, même partiel, est nécessaire.

La structuration du champ des études scripturaires s'est produite en même temps que croissait l’intérêt des sciences humaines pour le langage. Après l’apport fondateur de

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Saussure, c’est la philosophie qui envisage les rapports du langage et de la pensée : « le

sujet pensant reste dans une sorte d’ignorance de ses pensées tant qu’il ne les a pas formulées pour soi, ou même dites et écrites, comme le montre l’exemple de tant d’écrivains qui commencent un livre sans savoir au juste ce qu’ils y mettront. » (Merleau-Ponty, 1945, cité par Albert, 1993, p.

189). Entre dire et écrire, peu de différences ici, les deux activités étant pensées comme mettant en jeu le langage sans qu’apparaisse la spécificité de l’écriture. Ce n’est plus le cas chez Sartre pour qui lire et écrire ouvrent un passage vers d’autres manières de penser et d'agir ; vingt ans plus tard, l'ethnologue Jack Goody (1979) considère l'écrit comme conditionnant les modes de pensée : la « raison graphique » gouverne nos sociétés, où « les contraintes immanentes à l’écrit sont à ce point incorporées au fonctionnement des institutions

et aux grands lieux de production intellectuelle que l’on a peine à reconnaître encore leur présence agissante » (Albert, 1993, p. 189). De leur côté, les sociologues imputent à l'écrit, dont la

maîtrise conditionne la poursuite des études et l'accès à la culture, un rôle crucial dans l'échec scolaire :

« alors que les sociétés « post-industrielles » vivaient sur l’idée que l’alphabétisation généralisées et la scolarisation avaient favorisé l’émergence d’une référence culturelle commune à la plus grande partie de la population, l’interrogation survient à présent sur l’homogénéité des pratiques culturelles singulièrement pour ce qui relève de la culture écrite. » (Besse, 1993, p. 207).

En 1985 sont traduits en français les écrits du psychologue soviétique Lev Vygotski selon lequel le langage et la pensée sont inséparables des interactions sociales dans lesquelles ils émergent ; à la même période s'imposent, venues d'outre-Atlantique, les recherches en psychologie cognitive (Hayes et Flower, 1980), centrées sur les processus mentaux de la production écrite. Ce dernier courant s'oppose à ceux précédemment cités en dissociant l’écrit des caractéristiques socio-historiques de sa production ; curieux de la "boîte noire", il envisage l'individu producteur de langage comme sujet expérimental représentatif de l'humain. Deux courants psychologiques antagonistes contribuent donc à ce regard sur l'écriture : le premier, qui ancre l’individu dans l’environnement et le social, la considère comme un mode spécifique de rapport au monde qui s'acquiert par l'expérience ; le second, considérant l’individu isolément, comme de l’intérieur, décompose l’acte d’écrire en différents sous-processus.

Parallèlement à ces approches centrées tantôt sur l'individu, tantôt sur le groupe socio-culturel auquel il appartient, la linguistique propose un regard sur l'être de langage que constitue l'homme et sur l'ensemble de ses pratiques langagières. Avec les travaux d'Emile Benveniste, le langage dépasse le cadre clos du structuralisme pour s'inscrire dans l'énonciation, et l'on s'intéresse à la production même. La traduction des travaux de

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Mikhaïl Bakhtine va alimenter cet intérêt en faisant émerger la notion de dialogisme. Dans le champ littéraire, le fait d’éprouver les limites de la clôture du texte posée par le structuralisme va aussi donner lieu à une nouvelle approche : la critique génétique. A travers les traces qu'il a laissées sur les manuscrits, c'est l'acte d'écriture qui est envisagé ainsi que son auteur, à la fois comme individu dont le rapport au langage est toujours singulier et comme énonciateur historiquement situé. De ces travaux, il ressort que l'écriture est toujours un processus infiniment complexe, non réductible aux schémas préexistants et mettant en jeu, crucialement, l'individu écrivant et le langage dans toutes ses dimensions. Valéry resurgit alors :

« Mon écriture me plaît. Elle me laisse une envie d’écrire. Je sors. Je vais. J’emporte une excitation à écrire qui se cherche une chose à écrire. Il vient des mots, un rythme, des vers, et ceci finira par un poème dont le motif, la musique, les agréments, et le tout, - procéderont de l’incident matériel dont ils ne garderont aucune trace. » (Valéry, 1933, p. 174).

A travers ce rapide survol des recherches portant sur l'écriture se dessine une double frontière : d'une part, celle qui sépare les travaux visant avant tout l'homme (champs ethnologique, sociologique ou psychologique), même si c’est à travers les formes langagières de son activité qu’il est appréhendé, des travaux visant avant tout le langage (champs linguistique et littéraire), même si cela implique l’activité des sujets parlants et les rapport des sujets au langage ; d'autre part, celle qui distingue l'écrivain (dont s’occupe la génétique littéraire) de l'écrivant (dont s’occupent par exemple la psychologie ou la didactique). Cette double frontière délimite les champs d’étude du brouillon et du manuscrit : c'est rarement le même traitement et la même méthode de recherche qui s'applique selon que l'on a affaire à l'écriture littéraire ou à l'écriture dite ordinaire. De l'écrivain à l'écrivant, il semble qu'on ne s'attende ni aux mêmes faits, ni aux mêmes effets : chez l’écrivain, on observe la langue à l’œuvre, l’écriture en acte, avec des outils littéraires et linguistiques ; chez l’écrivant, c’est le plus souvent un sujet qui est le centre des observations, sujet énonciateur certes, mais avant tout sujet psycho-sociologique aux prises avec son développement psychique bien plus qu’avec la langue. Les recherches centrées sur l'humain envisagent la production quotidienne, ordinaire, le plus souvent en termes de manques ou de difficultés à mettre en œuvre un processus déjà tracé. A l'opposé, les recherches qui s'appuient sur des théories de langage étudient des corpus littéraires où l'on traque le jeu de la reformulation et de l'invention, où ce qui frappe n'est pas le manque mais le foisonnement créatif. On peut le comprendre : explorant à fond les ressources de la langue, les écrivains en travaillent des aspects méconnus et surprenants,

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tandis que les scripteurs ordinaires, dont les élèves en apprentissage constituent un cas particulier, semblent trop occupés à résoudre les problèmes de formulation correcte et de recherche d’idées pour utiliser la langue comme un moteur de création. Le problème posé par la régularité de cette double frontière entre intérêt pour le langage et intérêt pour l'homme d’une part, observation des écrivains et observation des écrivants, c'est celui de la difficulté à considérer tout individu producteur d'écrit comme exerçant un rapport au langage aussi singulier et aussi riche que celui qu'exercent ces écrivants professionnels que sont les écrivains. Autrement dit, et compte tenu des spécificités indéniables de la littérature, les études sur l'écriture ordinaire se privent des moyens d'observation très fins forgés à partir de l'écriture littéraire. Julien Gracq affirme qu' "un

ouvrage littéraire est bien souvent la mise bout à bout et le tricotage intime dans un tissu continu et bien lié de passages appuyés à l'expérience réelle, et de passages appuyés seulement à la conformité au caprice de la langue." (Gracq, 1982, p. 666). En est-il toujours différemment pour les

textes non littéraires, ou cette différence que l'on peut croire de nature n'est-elle que d'échelle ?

C'est cet enjeu-là - auquel il n’est pas envisagé de répondre totalement mais pour lequel s'ébaucheront des pistes - qui a présidé au présent travail. Dans la lignée des analyses de Claudine Fabre-Cols, qui propose de lire les textes d’enfants

« en cessant de les croire simples et sans intérêt, en devenant curieux des problèmes qui s’y inscrivent, des systèmes en construction qui s’y posent, en donnant toute leur force aux indices matériels de chaque page, aux hypothèses qui pourraient sous-tendre les erreurs, aux ratures et aux abandons, aux conditions énonciatives de production, aux représentations et aux projets qui animent le sujet-scripteur, à son désir de dire qui bouscule toujours un peu le savoir-écrire… ainsi qu’on le ferait pour n’importe quel texte. » (Fabre-Cols, 2000, p. 14),

je vais tenter d'appliquer à l'écriture scolaire d'élèves de CM2 la méthodologie construite pour l'étude de manuscrits littéraires.

Cette application suppose une transformation, liée à la différence de support et à l'âge des scripteurs. Au contraire des écrivains, les scripteurs scolaires, même au CM2, sont au début de leur apprentissage de l'écriture : il en résulte évidemment des caractéristiques d'écriture bien différentes de celles des écrivains, qu'il s'agisse de la durée de l'écriture, de la longueur et de l'enjeu du texte, des opérations effectuées pendant les relectures, etc. Par ailleurs, l'écriture à l'école est presque toujours une réponse à une commande qui recouvre, pour l'enseignant, des enjeux d'apprentissage que les élèves ne partagent pas

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forcément : on y observe - par rapport cette fois à l'écriture spontanée, qu'elle soit ou non littéraire - une différence d'implication dans la tâche qui induit elle aussi des faits d'écriture différents. Enfin, je l’ai annoncé, les données analysées ici ne proviennent pas de manuscrits : elles ont été recueillies sur un traitement de texte qui a pour caractéristique d'enregistrer et de restituer, à la manière d'un film, l'ensemble des opérations de l'écriture. Au regard du matériau de la critique génétique, les manuscrits des écrivains, le support utilisé ici permet l’exactitude chronologique puisque les opérations sont données dans l'ordre où elles ont eu lieu, les pauses étant également signalées. Cette caractéristique a conduit à modifier la manière de transcrire les données élaborée par les généticiens travaillant sur manuscrits : ce nouveau mode de transcription sera explicité au chapitre 2, en même temps que le cadre méthodologique et la problématique de la recherche. Cette exposition fera suite à un panorama des principaux champs afférents à notre étude : la psychologie de l’apprentissage, la génétique textuelle et la didactique sont évoquées au chapitre 1, dans un balisage à la fois partiel et partial : il ne concerne que le strict objet de la production de texte et reflète, par son organisation, les choix théoriques qui ont été les miens.

A l’issue de cette première grande partie de l’étude seront posées les directions de travail. Ici comme dans toute analyse de corpus s’offraient deux directions : rassembler un corpus large dans lequel il faudrait faire des choix, ou bien limiter le corpus à quelques éléments qu’il serait alors possible d’analyser exhaustivement. La nouveauté du matériau et des données auxquelles il donne accès a conduit à constituer, pour cette première étude, un corpus quantitativement important. Il se compose de trois groupes d'écriture, correspondant à trois consignes d'écriture différentes, que nous étudierons successivement dans la deuxième partie du travail :

- le chapitre 3 est consacré à une écriture narrative de restitution (raconter un souvenir scolaire) ;

- le chapitre 4, à une écriture explicative de restitution et argumentative (à partir d'une émission vue en classe, les enfants doivent écrire un article de journal expliquant ce qu'est l'illettrisme et pourquoi ce phénomène mérite que l'on s'y intéresse) ;

- le chapitre 5, enfin, est consacré à une écriture narrative d'invention-reformulation (écrire un conte où apparaissent des éléments de contes existants).

Pour chaque groupe, les faits étudiés sont ceux qui ont paru les plus pertinents eu égard à la consigne et aux spécificités d'écriture décelables.

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Le problème posé par ce corpus est son foisonnement : la restitution chronologique de toutes les opérations d'écriture produit une masse de données qu'il a fallu organiser, et qu’il était impossible d’explorer complètement. De ce fait, même si ce sont les mêmes enfants qui écrivent, on pourrait avoir l'impression que chaque groupe constitué selon la consigne d'écriture a donné lieu à une étude autonome, sans lien avec les autres. C'est à la fois partiellement vrai, puisque ce ne sont en général pas les mêmes faits qui ont été observés dans un groupe et dans un autre, et faux, puisque l'objectif à terme est moins de dresser un tableau de la manière dont des enfants écrivent un texte narratif ou un texte explicatif que de relever des constantes de l'écriture, qui se font jour préférentiellement dans tel ou tel contexte mais qui existent toujours. C'est pourquoi j'ai choisi, à titre d'exemple de prolongements possibles à ce travail (chapitre 6), d'étudier de façon transversale une catégorie d'opérations d'écriture, celles qui témoignent du souci de se conformer aux règles du système de la langue écrite (orthographe et syntaxe). Ce type d'opérations, rare dans les manuscrits d'écrivains, est au contraire très fréquent dans le corpus étudié ici car les élèves apprenant à écrire apprennent, dans le même temps, les règles du système. Une analyse exhaustive de ces opérations m'a paru à la fois pertinente pour ce corpus-là et pour l'écriture en général, parce qu'elle permet de poser le problème du rapport entre la théorique liberté d'écrire et les règles auxquelles il faut néanmoins se conformer. La question de la place de l'orthographe dans l'apprentissage est centrale en didactique de l'écriture et le présent travail, linguistique, voudrait apporter, via les observations fines que permet le matériau recueilli, des éléments de réflexion dont la didactique pourra s'emparer.

C’est donc au confluent de la linguistique et de la didactique que s’ancre cette recherche. Linguistique en est le fondement, de l’élaboration de la problématique aux modes de vérification des hypothèses. Didactiques en sont les enjeux : bien que ne conduisant pas à des propositions concrètes, ce travail souhaite contribuer à promouvoir, dans l’analyse de l’écriture scolaire, des lectures dont l’école reste peu familière et qui parcourent, depuis plusieurs décennies déjà, la linguistique de l’énonciation.

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Parcours des points de vue

théoriques existants

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Comme explicité dans l’introduction générale à ce travail, le champ de l’écriture à l’école est traversé de préoccupations à la fois psychologiques et didactiques : c’est en effet aux psychologues que revient, pour l’instant, la tâche de mettre au jour les processus en jeu dans l’écriture ordinaire. Aux écrivains, la visée esthétique et la critique ; aux élèves, le projet pragmatique et l’analyse procédurale : tels semblent être les termes d’une opposition tenace et encore largement défendue.

C’est la raison pour laquelle le balisage des cadres théoriques qui traversent notre propos abordera la psychologie, même si elle n’est pas le champ dans lequel s’inscrit cette recherche et si, des trois grands domaines exposés ici, c’est à elle que nous aurons le moins recours dans les analyses qui suivent.

Nous traiterons ensuite de la génétique textuelle pour expliciter son émergence et sa raison d’être aujourd’hui, à la fois dans le champ littéraire et pour l’analyse d’objets qui ressemblent aux nôtres, des écritures ordinaires. Certains acteurs de la critique génétique préconisent en effet, depuis plusieurs années déjà, l’élargissement de leurs travaux à l’ensemble de la production écrite et l’émergence d’une véritable théorie de l’écriture. Enfin, la didactique de l’écriture sera envisagée, à la fois d’un point de vue historique, par un balayage des travaux des trente dernières années, et d’un point de vue conceptuel : quelle vision de l’écrit peut-on tirer des évolutions didactiques ? Comment rejaillit-elle sur les conceptions de l’écriture ? Nous verrons que les conceptions cognitivistes sont dominantes mais que des tentatives se font jour, certes isolées mais peut-être les plus fructueuses aujourd’hui, de concilier, à l’école aussi, le souci de la langue et celui de l’écriture.

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Il ne s’agit pas ici de dresser un panorama complet des approches psychologiques de l’apprentissage de l’écriture. D’abord, ce n’est pas l’objet de cette recherche dont la perspective est linguistique. Ensuite, le nombre important de travaux dans ce domaine rend difficile un recensement exhaustif. Le bref parcours que nous allons effectuer s’organise autour de la distinction la plus saillante : les études axées sur la cognition vs les études basées sur les interactions socio-cognitives.

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.

.

Les études de la cognition sont à la fois les plus nombreuses et les plus influentes à l’heure actuelle dans le domaine didactique. En ce qui concerne l’écriture, un modèle, celui de Hayes et Flower (1981) est nettement dominant : il va être exposé et discuté. D’autres travaux, plus récents mais dont le retentissement est moindre jusqu’ici, seront évoqués lorsqu’ils permettent d’éclairer des caractéristiques spécifiques à notre corpus.

1.1.1 La perspective modulariste : le premier modèle de Hayes et

Flower.

Forgé en 1981, ce modèle a été largement diffusé en France, en particulier auprès des enseignants, pour les aider à se représenter les différentes instances entrant en jeu dans la production écrite. Il analyse le processus d’écriture comme la conjonction de sous-processus modulaires :

(23)

Le processus d’écriture proprement dit, décomposé dans l’encadré principal, est replacé dans différents contextes :

« - le contexte de la tâche, qui intègre les traces graphiques (début d’un premier jet du texte, sans doute, mais aussi les diverses notes qui ne constituent pas à proprement parler le texte en fabrication) dès le moment où elles commencent à être produites,

- les connaissances disponibles en mémoire à long terme, dont les connaissances-représentations relatives aux paramètres de la situation de production,

- et le processus (mental) rédactionnel proprement dit. » (Brassard, 1989, p. 82)

Le processus rédactionnel lui-même se divise en trois parties : la planification, la mise en texte et la révision.

1.1.1.1 La planification :

Michel Fayol la définit comme

« cette activité au cours de laquelle on recherche des idées, on les organise et on essaye de concevoir ce que sait déjà le destinataire pour mieux adapter son message. » (Fayol 1996, p. 21).

Il semble alors que le terme de planification recouvre ce que l’on appelle traditionnellement faire un plan, c’est-à-dire, tout en réunissant des idées, les organiser en une progression qui servira de canevas au texte à écrire. Coirier et al. précisent que

« la planification est le processus réglant la construction et l’utilisation de plans, qui sont des représentations anticipatrices, d’empan plus ou moins important, précédant l’exécution et permettant de guider l’activité ». (1996, p. 172)

Le plan – ou les plans successifs – ne concernent donc pas forcément la globalité du texte mais des parties de texte. Les auteurs évoquent deux types de planification : la planification des contenus, « une opération mentale ayant pour objet d’organiser des contenus à

(24)

d’organiser l’ensemble des processus qui doivent être mis en œuvre pour réaliser une activité ».

L’interaction entre ces deux types de planification n’est pas évoquée par Coirier et al. Il semble que le terme de planification corresponde, dans son acception courante, à ce qu’ils nomment planification des contenus : Hayes et Flower parlant de planning conceptual content, il est clair que la planification est très axée sur le contenu à écrire, la manière de l’écrire n’apparaissant pas dans le modèle originel comme une préoccupation majeure. La planification comporte elle-même trois sous-processus : la génération (retrouver l’information pertinente pour la tâche), l’organisation (sélectionner les informations les plus pertinentes et les ordonner), le cadrage des buts (stocker les critères de pertinence en fonction de la situation de communication).

1.1.1.2 La mise en texte :

La phase suivant la planification originelle du texte, la mise en texte, est la transformation en mots et phrases séquentiellement organisés du contenu à écrire. Le mot transformation rejoint celui qu’utilise John Hayes et Linda Flower : translating ideas

into text. C’est donc en termes traduction d’idées en texte que s’est posé le problème en

1980 ; près de vingt ans plus tard, c’est ainsi que le repose Michel Fayol en intitulant son ouvrage Des idées au texte (1997). Les auteurs commentent peu – ce n’est certainement pas un hasard – cette partie de l’écriture, dont le principal problème paraît être la linéarisation, ou production de « phrases acceptables de la langue, qui correspondent à

l’information – stockée sous forme de propositions sémantiques – de la mémoire du rédacteur »

(Brassard, 1989, p. 85)1. M. Fayol propose de recourir à la théorie de Levelt (1989) qui traite précisément de la transformation des « résultats émanant de l’élaboration conceptuelle du

message » en une « forme linguistique » (Garcia-Debanc et Fayol, 2002, p. 41) :

« Le modèle construit d’abord une représentation fonctionnelle élaborant parallèlement une structure grammaticale abstraite (verbe / sujet de…) et des éléments lexicaux eux aussi abstraits (les lemmas). Dans un deuxième temps, la structure syntaxique et les formes lexicales « de surface » sont récupérées pour être « envoyées » au composant articulatoire. » (ibid.)

1

On ne voit pas bien comment des propositions pourraient être sémantiques sans être lexicales. Cette idée correspond à une conception du sens séparé de sa forme en langue, dont un des aboutissements est la notion de langage mental : c’est “le postulat cognitiviste dû à Fodor qu’il existe un langage de la pensée universel et

indépendant des langues, le mentalais. Il est inné, bien entendu. Comprendre un texte consiste à traduire ses énoncés dans ce langage mental (puis, si le besoin s’en fait sentir, à recourir à des postulats de signification pour en inférer des propositions nouvelles). Deux mots de langues différentes qui ont le même sens “sont simplement deux codes différents pour le même item (le même concept) dans la lingua mentis” (Putman, 1988,

(25)

Le cheminement est toujours le même : l’énonciateur a une idée à transmettre, il la formule ; on va des idées au texte. Cette manière d’envisager la production discursive s’inscrit dans ce que Jacqueline Authier-Revuz appelle la « stratégie communicationnelle » :

« L’option théorique fondamentale, concernant le rapport du sujet à la langue et au sens, y est celle d’un sujet source individuelle et intentionnelle d’un sens qu’il produit en tant qu’utilisateur de la langue, instrument de communication. » (Authier-Revuz, 1995, p. 67).

Elle s’oppose à ce que défendent, à la suite de Saussure, des linguistes soucieux de donner à la langue toute sa place dans l’énonciation :

« ce qui se joue dans la parole pour un sujet n’est pas qu’une affaire d’ « habillage » de pensée et de « masque de parole » qu’il interpose entre lui et les autres, mais, ce qui, en lui, le fait être, dans sa singularité de sujet, comme être de langage » (ibid., p. 73).

Ce clivage fondamental modifie la manière dont on va décrire ce qui se joue dans l’écriture : une pensée qui se traduit dans le premier cas, une pensée qui se crée, dans le second. Après Hegel affirmant que « c’est dans le mot que nous pensons »2, après le fameux « il n’y a pas de métalangage » lacanien, qui signifie qu’il n’y a pas de « position de maîtrise et

d’extériorité dans le langage »,3 la question de la mise en mots ne peut plus se poser, nous le verrons au chapitre suivant, en termes de simple linéarisation.

1.1.1.3 La révision :

Cette phase que Hayes et Flower nomment reviewing ideas and text est un concept assez flou puisque le terme de révision peut désigner, selon les auteurs, l’activité de relecture du texte en vue de modifications éventuelles, les traces de ces modifications ou la dernière phase de l’écriture.

M. Fayol distingue le retour sur le texte des modifications apportées au texte initial, signalant que

« si les changements apportés au texte restent assez rares et, surtout, varient considérablement, en nature et fréquence, d’un sujet à un autre et, chez le même individu, d’un moment à un autre, les retours en arrière sur ce qui a déjà été écrit apparaissent systématiques, quels que soient l’âge et/ou le niveau d’expertise » (Fayol, 1997, p. 130)

J.-D. Brassard le rejoint en déplorant que la révision soit trop souvent assimilée aux traces qu’elle laisse sur le papier, et, pour éviter cette assimilation, Sylvie Plane distingue la réécriture de la révision :

« La réécriture est un phénomène directement observable qui consiste en la production d’une nouvelle version du texte ou de variantes (changements locaux), dont l’analyse relève de méthodes

2

Hegel, Philosophie de l’esprit. Cité par Albert, 1993, p. 188.

3

(26)

linguistiques. La révision est le processus cognitif complexe mis en œuvre par un scripteur au cours même de la production et reconstitué par inférence par le chercheur à partir d’observables souvent composites, de mesures de performances et d’analyses des verbalisations. » (1996, p. 55).

Il est important de noter la précision au cours même de la production, qui interdit de réserver au terme révision une place à part, post-premier jet. Le terme de processus cognitif complexe suggère deux choses : d’une part, la révision ne peut être enfermée dans un cadre de corrections du déjà écrit4 ; d’autre part, cette activité n’est pas totalement observable on-line5 mais elle est l’objet, comme l’ensemble des processus cognitifs, de reconstitutions6. C’est dire si la révision nous sera peu accessible, puisque nous ne disposons ici que du film du texte en train d’être écrit ! Tout au plus pourrons-nous supposer si, en cas de pause longue d’écriture, cette pause a été ou non consacrée à la réflexion sur le texte, et ce, en fonction de ce qui la précède et de ce qui la suit. C’est donc par commodité que nous évoquerons ici la révision, ce terme appartenant au champ psychologique et sa nature de processus cognitif nous la rendant, tout comme la planification, difficile à déterminer. Si ces termes sont évoqués ici, c’est parce qu’ils posent des problèmes épistémologiques qui ne sont pas sans rapport avec des positions théoriques par rapport auxquelles il est nécessaire de se situer.

1.1.2 Le modèle de Hayes et Flower : mise en cause et

prolongements.

Le cognitivisme dit orthodoxe, qui préside à la construction du modèle de Hayes et Flower, a été largement critiqué par François Rastier (1991) comme reposant sur des

4

Fayol (1997, p. 130) parle de “retour sur le texte” et de “modifications apportées (ou non) au texte initial”. Si “les changements apportés au texte restent assez rares” chez les scripteurs novices, “les retours en arrière sur ce

qui a déjà été écrit apparaissent systématiquement. […] Ces retours ont lieu au cours même de la composition et se situent majoritairement sur le mot précédent et la proposition ou la phrase en cours.”

5

Aujourd’hui, des laboratoires ont mis au point des instruments de mesure des mouvements oculaires qui permettent de savoir, à tout moment de l’écriture, ce que regarde le scripteur. A partir de l’observation conjointe de ce qu’il regarde et de ce qu’il fait, observation éventuellement doublée d’entretiens avec le scripteur après sa tâche, on diminue le risque d’erreur sur les inférences concernant ce qu’il pense. A notre connaissance, les outils les plus performants ont été conçus au Département de Linguistique de l’Université de Lund (Suède) et au Laboratoire Langage et Cognition (LaCo, CNRS) de l’Université de Poitiers (France).

6

Selon M. Fayol lui-même, “les méthodes sont souvent perçues comme ayant une validité en elles-mêmes et

certaines d’entre elles sont conçues comme intrinsèquement supérieures aux autres. Ainsi, les études en temps réel permettraient une sorte d’accès direct aux processus sous-jacents. Il n’en est rien ! Les analyses des données comme la lecture des travaux antérieurs mettent clairement en évidence la nécessité de développements théoriques pour interpréter les observables.” (1997, p. 55)

(27)

postulats contestables et imprécis, qui ont surtout pour l’auteur le défaut de n’être jamais posés, ni discutés par les chercheurs cognitivistes. Rastier fait apparaître l’étroite parenté entre la vision du fonctionnement de l’ordinateur et de celui du cerveau humain, illustrée par la récurrence de termes à connotation informatique dans l’évocation cognitiviste du cerveau : « les individus sont supposés traiter de l’information en temps réel, en série ou en parallèle ; compiler du texte, puis l’exécuter ; stocker des informations […] » (Rastier, 1991, p. 41). Ces critiques essentielles, qui s’accompagnent chez Rastier de bien d’autres non moins cruciales concernant en particulier la place de la sémantique (Rastier, 1991, chap. 3), pourraient être reprises ici. Ce n’est pas la voie que j’ai privilégiée, à cause de l’importance des travaux des psychologues cognitivistes dans le champ scolaire : tout en souscrivant aux critiques de fond, je vais examiner quelques points des propositions cognitivistes et leurs applications possibles dans l’analyse qui est la nôtre.

1.1.2.1. Contestations du modèle de Hayes et Flower et réponses.

Ce modèle, qui a influencé très fortement les recherches en didactique de l’écriture des vingt dernières années, est l’objet de critiques virulentes. La principale est que l’on peut assimiler ce modèle, que ses auteurs ont présenté comme novateur, à celui de la rhétorique classique déjà présent chez Cicéron. Cependant, pour Sylvie Plane, une telle comparaison néglige

« le fait que J.R. Hayes et L.S. Flower s’attache à décrire et expliquer des processus cognitifs récursifs, alors que la rhétorique classique cherchait à rationaliser l’enseignement de l’art oratoire en prescrivant un ordre immuable d’étapes successives que l’apprenti orateur se devait de respecter. Mais, c’est notamment à cause de cette assimilation hâtive entre deux systèmes qui n’ont ni les mêmes visées, ni les mêmes fonctions, que certains pédagogues condamnent aujourd’hui sans appel le modèle de J.R. Hayes et L.S. Flower. » (Plane, 1996, p. 52).

A ses yeux, ce modèle ne peut être soumis aux critiques dont il est l’objet parce qu’il s’applique à des processus que l’on ne peut observer directement : il n’a donc rien à voir avec les consignes traditionnelles de rédaction et dissertation. De la même manière, tout en évoquant « l’inspiration rhétorique marquée de ces recherches », J.-L. Lebrave (1987, p. 63) rappelle que Hayes et Flower eux-mêmes se sont démarqués des modèles séquentiels7 :

7

Fayol oppose le “modèle linéaire de production écrite”, celui de la rhétorique classique, aux recherches de Hayes et Flower qui “marquent l’abandon de ce modèle et le passage d’une approche normative à une approche

descriptive de la production” (1997, p. 130), ce qui semble signifier qu’il considère, comme S. Plane, les tâches

de planification, mise en texte et révision comme récurrentes et non séquentielles. Pourtant, le même décrit en 1996 l’écriture comme un processus comportant la planification, la mise en texte et la mise au point finale (p.33). C’est dire la difficulté d’emploi du terme de révision et l’ambiguïté du modèle, qui a tout de même du mal à se départir de l’ancienne rhétorique.

(28)

« Les auteurs anglo-saxons sont très conscients de ce caractère intégré, interactif, non séquentiel de l’écriture et rappellent constamment que les processus décrits ne sont pas des phases successives discrètes. » (1987, p. 57)

Ainsi considéré, ce modèle ne fait qu’éclairer la complexité de l’activité d’écriture qui comporte, à tous les moments, des tâches diverses, récursives, pouvant être ramenées aux trois processus que sont la planification, la mise en texte et la révision8. Autrement dit, un scripteur, tout en inscrivant des mots sur le papier, pense à ce qu’il a écrit et prévoit ce qu’il lui reste à écrire.

C’est en ce sens que les termes de planification, mise en texte et révision seront employés ici : quand on lira que le scripteur révise son texte, on ne devra pas en conclure que la planification est exclue mais seulement que l’activité de révision domine probablement à ce moment-là. Dans cette acception, les termes de planification, mise en texte et révision sont en quelque sorte – comme je lai dit plus haut – des commodités de langage9. L’utilité du modèle est alors simplement de représenter l’acte d’écrire, mettant spatialement en évidence la concomitance temporelle des tâches et situant cet acte dans son contexte d’effectuation.

1.1.2.2. Le nouveau modèle de Hayes et Flower.

C’est justement sur la distinction entre le contexte et la part individuelle de l’écriture que repose le nouveau modèle proposé par Hayes et Flower (Hayes, 1995). Celui-ci s’organise en deux parties :

8

Dans les travaux basés sur le modèle de Hayer et Flower, qui ont souvent une vocation pédagogique, Lebrave note “la persistance des antiques recettes d’écriture proposées par l’enseignement rhétorique traditionnel. ” (Lebrave, 1987, p. 62), ce qui fait tout de même penser que l’un n’est pas étranger à l’autre. Il ajoute que “ les

points de contact avec des faits attestés dans les brouillons de Heine tendraient à montrer l’importance de cet apprentissage dans le travail ultérieur de l’écriture.” Ce constat devient un argument pour les chercheurs

français hostiles au modèle : Foucambert (1992) avance que Hayes et Flower ne font que modéliser un comportement qui a précisément été inculqué à l’école, avec le tryptique plan – rédaction - correction. S’appuyant sur les nombreux témoignages d’écrivains qui affirment procéder autrement, il considère que l’on observe à l’école ce que l’on y a enseigné, mais que d’autres modalités d’écriture domineraient si l’enseignement avait d’autres priorités. On ne peut pas adhérer totalement à cette vision mécanique, qui ne prend pas en compte l’ensemble des travaux des psychologues puisque les trois sous-processus de planification, mise en texte et révision ne sont pas toujours clairement observés, loin s’en faut, dans leurs expérimentations.

9

N’oublions pas que l’observable disponible n’est pas l’activité (de planification, de révision…) mais ses traces. En observant le remplacement d’un mot par un autre, on peut simplement dire que le curseur s’est déplacé dans le texte, que le mot X a été effacé, que le mot Y y a été substitué ; le fait que l’activité dominante soit la révision, ici reconstituable à travers sa manifestation concrète, la réécriture, est probable mais il n’est jamais certain.

(29)

- le contexte de production, où l’on trouve « l’élément composantes sociales, représentées par

le professeur et le destinataire et l’élément composantes physiques, soit le texte que le scripteur est en train d’écrire, les autres textes et une aide à l’écriture comme le traitement de texte »

(Hayes, 1995, p. 52) ;

- l’individu, où l’on trouve « la motivation et l’affectivité, les processus cognitifs et la mémoire à

long terme qui va emmagasiner des connaissances de nature différente telles que la connaissance du sujet, connaissances linguistiques, connaissances sur les destinataires auxquels le texte s’adresse, planification, stratégies, etc. » (ibid.).

Les processus cognitifs ont été retravaillés :

“la révision a été remplacée par la lecture, la planification a été intégrée dans une catégorie plus générale – celle de la résolution de problème – et la mise en texte a elle-même été intégrée dans un processus encore plus général, celui de la production du langage.” (Hayes, 1995, p. 54).

La réorganisation du processus planification – mise en texte – révision en résolution de

problème – production du langage – lecture me semble intéressante, en particulier sur le plan

de la révision : Hayes propose de « concevoir la révision comme une activité constituée de

plusieurs processus de base, plus particulièrement la lecture, la planification et la mise en texte. »

(1995, p. 58). Selon lui,

« le lecteur qui lit pour réviser lit différemment de celui qui lit simplement pour comprendre ; non seulement il s’aperçoit des problèmes de surface, mais il s’engage également dans une activité d’amélioration qui ne provient pas uniquement des problèmes de surface rencontrés à l’origine. »

(ibid., p. 57).

Cette activité d’amélioration suppose une activité de micro-planification et de (re)mise en texte. Ici, l’intrication de la planification, de la mise en texte et de la révision trouve une illustration évidente. La planification, dont Hayes dit lui-même qu’elle « jouait un rôle

prédominant dans nos conceptions de l’activité d’écriture et de la pédagogie » au moment de

l’élaboration du premier modèle en 1980, se trouve de fait minorée, au profit des autres processus :

« Un grand nombre de chercheurs ont rapporté des corrélations positives et statistiquement significatives entre un effort soutenu de planification et la qualité des textes produits. Toutefois, ces études montrent également une très forte corrélation positive entre le temps consacré à la tâche et la qualité des textes produits. Quand le temps consacré à la tâche est pris en considération, les relations significatives déjà observées entre la planification et la qualité des textes disparaissent. […] En fait, l’absence de corrélation partielle significative suggère plutôt que la planification n’est ni plus ni

moins importante que les autres processus d’écriture. » (Hayes, 1995, p. 61 – je souligne)

Sur le plan procédural, on observe donc une insistance sur la récursivité et l’intrication des différents processus entrant en jeu dans la production du texte, ainsi qu’une plus grande prudence quant à leur importance respective. Aux critiques les plus fréquentes, assimilant leur modèle à la rhétorique ancienne, Hayes et Flower répondent donc en

(30)

minorant l’aspect séquentiel de la procédure. Les points de rupture avec d’autres approches, psychologiques ou didactiques, n’en demeurent pas moins :

« Le modèle énonce clairement que les processus cognitifs activés lors de la production écrite ne sont pas spécifiques à l’écriture : ils entrent en jeu également à l’oral, mais aussi dans d’autres tâches non langagières. De ce point de vue, l’écriture n’est qu’un cas particulier du traitement de l’information.

[…] Dans ce nouveau modèle, la notion de rapport à l’écriture ne trouve plus de sens. » (Barré-de-Miniac, 2000, p. 37).

La place de la langue et de ses usages, écrits ou oraux, demeure minorée, sinon ignorée.

1.1.2.3 A côté du modularisme : la perspective interactive.

Le modèle de Hayes et Flower, comme d’autres10, repose sur « une conception modulaire de l’activité de production » et postule

« des composantes relativement autonomes […] de trois types : celles qui traitent les concepts, leurs interrelations et l’impact des dimensions communicative et énonciative ; celles qui concernent les aspects proprement linguistiques (i.e. accès lexical, production syntaxique, marques de cohésion, etc.), et celles enfin qui ont trait à la réalisation physique (phonologique ou graphique) des différents aspects du message. » (Fayol, 1996, pp. 25-26).

Sans renoncer à ces trois types de composantes, les modèles connexionistes envisagent des liens éventuels entre les différentes tâches. Cette perspective est intéressante pour notre propos car elle permet d’analyser des phénomènes tels que les corrections orthographiques en lien avec des modifications sémantiques11.

La réflexion a été engendrée par les problèmes que pose le biais lexical, ou prononciation d’un mot pour un autre, les deux mots ayant des caractéristiques communes. Selon M. Fayol,

« on voit mal comment les biais lexicaux et les influences phonologiques seraient possibles si la forme des mots était récupérée après la signification sans rétroaction possible. » (1997, p. 69).

10

Dans sa présentation des différentes approches cognitivistes, Fayol cite, parmi les modularistes, Levelt sur l’oral et Van Galen sur l’écrit. Je ne détaille par ici leurs travaux parce que, d’une part, ils n’ont pas eu en didactique un écho similaire à celui de Hayes et Flower ; d’autre part, ils travaillent à une échelle encore plus restreinte : Levelt dans la production du langage, postule les instances de conceptualisateur, formulateur et articulateur ; Van Galen s’attache à la dernière étape de la production écrite, la réalisation graphique du message. Il n’est pas de mon ressort de présenter ni commenter ces modèles, dont la compréhension en profondeur nécessite un travail que je n’ai pas jugé prioritaire pour mon étude.

11

Houdé et Wynnikammen (1992) décrivent les systèmes connexionnistes en termes de “réseaux de processeurs

élémentaires (nœuds) soumis, par le biais de connexions pondérées (arcs), aux jeux d’activations et d’inhibitions interactives. […] Lorsqu’un système connexionniste est activé par l’environnement (entrée du système), tous les processeurs élémentaires calculent en même temps le niveau d’activation du nœud où ils se situent.” C’est cette

simultanéité qui fait la spécificité de l’approche connexionniste. “De plus, les représentations de

l’environnement ne sont pas stockées en un endroit précis d’une mémoire permanente et instanciées en mémoire de travail, mais elles sont au contraire distribuées sur toute la structure du système et activées avec celui-ci – d’où la possibilité d’un phénomène de résonance immédiate entre une structure de l’environnement et la structure du système.” (p. 88). Il semble donc que le connexionniste ait une approche plus souple, moins figée,

(31)

L’auteur évoque

« l’existence d’un lexique unique comportant des interrelations entre significations et formes des mots. Dans un tel lexique, l’excitation se répandrait parallèlement sur les deux dimensions. » (1997,

p. 69).

A partir des années 1980, plusieurs auteurs ont travaillé dans ce sens pour conclure que, lors de la récupération lexicale, on ne peut considérer indépendamment les processus phonologiques et sémantiques. On parle alors de connexion entre les différents modules, ceux-ci formant des réseaux organisant la signification à travers lesquels l’activation se propage. Par exemple, voulant dire parti, un sujet dit pardon ; le biais lexical est décomposé ainsi (Fayol, 1997, p. 70) :

- activation de la signification correspondant à parti

- activation des composantes syllabiques de l’item activé (par / ti)

- une fois activée, la syllabe par active en retour des items en relation phonologique avec elle (ici : parti et pardon)

- si la syllabe don a été activée récemment et se trouve être résiduelle, pardon peut se substituer à parti.

C’est la bi-directionnalité des relations (sens-item / item-forme) qui permet le biais lexical.12 Au contraire des modèles modularistes, le connexionnisme prend donc en compte le rôle possible des formes linguistiques sur l’émission des énoncés.

Dans le cadre qui nous intéresse ici, celui de la production écrite, il est vraisemblable qu’un biais lexical ne se produit pas si rapidement et à l’insu du scripteur, dont l’activité de production est ralentie par la scription elle-même. En revanche, on pourrait interpréter à l’aide de la notion de biais lexical le processus suivant (chez Antoine, 1h35 d’écriture, annexe p. 53) :

12

Tout à fait autre est le phénomène du lapsus, dont le contexte de production est analysé par Irène Fenoglio : l’auteur s’attache au lapsus comme “événement d’énonciation” qui “précipite la parole latente sur l’axe de la discursivité en cours de réalisation, [et qui] la matérialise en lui forçant place dans la chaîne discursive” (Fenoglio, 2000b, p. 223). I. Fenoglio se positionne justement contre le cognitivisme qui ôte au lapsus son caractère d’ “échappée de parole singulière” : “je prends fermement position face au développement d’un point

de vue cognitif qui viendrait aujourd’hui nous donner des leçons de mise en ordre en planifiant et aplatissant le vivant de l’usage du langage sur des modèles comportementaux bio-physiologiques pré-établis, autrement dit en rabattant le psychisme vivant sur des modèles comportementaux conditionnés et conditionnables.” (ibid., p.

223-224) .

(32)

Traces scripturales Interprétation possible A la suite de la phrase « Il vit pendant sa route un

bonhomme qui rentrait, qui sortait, qui rentrait, qui sortait », Antoine ajoute « je ma »

Activation de la signification et des composantes syllabiques correspondantes (je /mar /che), scription de « je ma »

Antoine ajoute un point après « sortait » et met une majuscule à « je ».

Interruption de la tâche principale, effectuation de tâches annexes.

Antoine complète « Je ma » en « Je maraita ». Biais lexical : le retour sur le mot en train d’être écrit provoque son association avec un autre mot, que le scripteur choisit finalement.

Antoine ajoute une apostrophe entre « m » et « araita ».

Confirmation de la modification avec la rectification graphique.

Cette interprétation est bien sûr très incertaine et elle n’est donnée ici qu’à titre d’exemple. L’important dans la notion de biais lexical est qu’elle repose sur la simultanéité d’appréhension du signe comme mot de la langue, dans sa matérialité, et du sens que le scripteur cherche à construire. Elle manifeste une prise en compte toujours présente – même si elle est latente – du signifiant. Cette propriété de l’énonciation a été largement étudiée par Jacqueline Authier-Revuz, et ce sont évidemment ses travaux qui nous seront utiles ici. L’entrée de la psychologie dans ce domaine, même si ce qu’elle propose n’est pas aussi utile que les travaux linguistiques pour l’analyse des traces langagières qui nous occupe, méritait toutefois d’être signalée.

Tous les modèles cognitivistes semblent s’accorder sur l’existence de différents niveaux de traitement : conceptuel, sémantique, morphologique, syllabique, phonémique et/ou graphémique. Les différences concernent d’une part l’aspect modulariste ou non-modulariste13 du modèle, d’autre part le degré d’automatisation des activités : d’après

13

Selon ces modèles connexionnistes, les réseaux sont capables d’apprentissage : le poids des connexions entre unités évolue en fonction de l’environnement. Fayol lie cette capacité d’évolution à l’influence de la zone proximale de développement (Schneuwly et Bronckart, 1985, p. 95-117). Les choses semblent donc moins figées que dans les approches modularistes. Néanmoins, Rastier se contente de renvoyer dos à dos ces modèles : “le

connexionnisme apparaît comme l’envers complice du cognitivisme : leurs tenants refusent, ne serait-ce que par des métaphores, d’admettre l’autonomie pratique et théorique du computationnel, car ils entendent trouver par l’implantation informatique une validation expérimentale de leurs présupposés philosophiques. […] La métaphore cognitiviste esprit → ordinateur et la métaphore connexionniste ordinateur → cerveau se laissent lire ensemble, pour peu que l’on convienne que la matière pense et que la dualité entre esprit et cerveau doit se réduire. Il reste alors la comparaison réciproque cerveau ↔ ordinateur : là réside la connivence secrète des

(33)

Levelt, les traitements lexicaux et syntaxiques sont automatisés ; selon Fayol, ceci est vrai pour les adultes en production orale mais ne peut être transposé chez l’enfant, qui plus est en production écrite, en raison du « coût cognitif » qu’impose cette tâche complexe et peu familière. Cette considération peut éclairer certaines caractéristiques du corpus travaillé ici, puisque les modifications portant sur la syntaxe, par exemple, y sont fréquentes.

1.1.3 Écriture et développement : la notion de « surcharge

cognitive ».

Le matériau étudié ici étant constitué de l’écriture d’élèves en apprentissage, il faut s’interroger sur les caractéristiques de ces scripteurs : quels savoir-faire sont déjà en place, lesquels sont à construire ? Quels comportements d’écriture peut-on s’attendre à trouver ? Sont-ils communs à tous les scripteurs ou spécifiques, et dans ce cas à quoi est liée cette spécificité (âge, niveau d’expertise, conditions de production du texte…) ?

1.1.3.1 La planification comme témoin du développement du

savoir-écrire.

Dans une de leurs études sur le développement des capacités d’écriture chez l’individu, les psychologues Bereiter et Scardamalia (1987) envisagent ainsi l’évolution de la planification : au cours du développement individuel, elle se sépare de la production de texte elle-même pour devenir une activité différente. Chez les enfants au contraire, il semble que la planification ne soit pas différenciable de la production de texte14 : elle est alors liée à ses besoins immédiats, les scripteurs planifiant le plus souvent par unités très courtes et recherchant en priorité ce qu’ils vont dire dans la phrase suivante ; c’est ce que Fayol et Schneuwly, dans leur revue de travaux de 1987, appellent micro-planification, par opposition à la macro-planification qui porte à la fois « sur le contenu thématique du texte, sur

la prise en compte de l’audience et sur l’objectif visé par l’auteur » (Fayol et Schneuwly, 1987,

p.224). Beaucoup de travaux convergent pour affirmer que

deux paradigmes, avec cette différence que le cognitivisme veut penser le cerveau à l’image de l’ordinateur, et le connexionnisme l’ordinateur à l’image du cerveau.” (Rastier, 1991, p. 43-44).

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Bereiter et Scardamalia arrivent à ce constat en mesurant le temps séparant le début de la scription de l’émission de la consigne : en général, ce délai n’excède pas une minute ; les enfants n’ont donc pas le temps de planifier l’ensemble de leur texte

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