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Le "jump-to-contact" de surfaces liquides

La première manifestation remarquable du jump-to-contact sur surface liquide apparait en 1989 avec les travaux de Mate et al., qui s'intéressent à la répartition de lubriants sur les surfaces solides [Mate et al.,1989]. L'un des objectifs de l'étude consiste à mesurer l'épaisseur locale de la couche de lubriant par AFM. Pour cela, les auteurs réalisent des courbes de spectroscopie de force et supposent que l'épaisseur du lm est égale à la distance pointe- support au moment du mouillage. Ils constatent cependant avec surprise que les mesures de l'épaisseur des lms mesurées par AFM sont systématiquement plus grandes que celles mesurées par ellipsométrie. Or, la technique optique est able et reconnue pour ce type de mesure. L'écart est signicatif (il peut atteindre quelques nanomètres) et augmente avec l'épaisseur du lm de liquide. Ces observations seront conrmées par une autre équipe de chercheurs [Blackmail,1991].

Figure 4.4  Épaisseur EAFM d'un lm

de lubriant, le peruoropolyether, me- surée par AFM en fonction de l'épais- seur de référence mesurée par ellip- sométrie Eref. En trait plein, la va-

leur prédite par le modèle développé par [Forcada et al., 1991b]. La droite d'équation EAFM = Eref est représen-

tée en pointillés pour servir de guide visuel. Issu de [Forcada et al.,1991b]

Suite à l'article de Mate et al., une étude théorique [Forcada et al., 1991b] révèle que le "gonement" apparent des lms liquides observé par AFM provient de l'instabilité de jump-to-contact. Forcada et al. expliquent ainsi que le lm liquide est soumis d'une part, à l'interaction attractive de la sonde AFM et d'autre part, à l'attraction du substrat solide. Lors de l'approche de la pointe, l'interface liquide ne reste donc pas plane. Elle se déforme sous la pointe puis, lorsque la distance pointe-liquide est inférieure à la valeur seuil dmin, elle

"saute" en direction de la pointe et la mouille. La distance mesurée par AFM est donc égale à l'épaisseur réelle du lm liquide additionnée de dmin. Enn, la valeur de dmin est d'autant

plus petite que le lm est mince car l'attraction exercée par le substrat solide (également appelée pression de disjonction) est d'autant plus grande. Le modèle explique ainsi pourquoi la diérence entre les deux mesures expérimentales augmente avec l'épaisseur du liquide (voir Fig.4.4).

Des observations expérimentales ont conrmé par la suite que des matériaux mous se déforment s'ils sont approchés au voisinage de solides ou de liquides. Cela a été montré par des mesures AFM en milieu ambiant [Chen and Bhushan,2005,Ledesma-Alonso et al.,2012a] et liquide [Aston and Berg,2001]. Par ailleurs, un phénomène analogue au jump-to-contact a été observé entre deux lms liquides lors de mesures SFA [Chen et al.,2004].

Sur le plan théorique, plusieurs approches ont été proposées an de modéliser le jump-to- contact. La démarche la plus grossière, consiste à attribuer une raideur eective à l'interface liquide [Chen and Bhushan,2005,Chen et al.,2004]. La distance critique dmin en dessous de

laquelle se produit le jump-to-contact, correspond alors à la distance pour laquelle le gradient de l'interaction pointe-surface, dF/dd, devient égal à la raideur eective de l'interface liquide, supposée égale à la tension de surface3. Dans cette approche, la force de London F exercée

par une sphère solide diélectrique de rayon R sur un liquide non polaire situé à une distance ds'écrit, si la surface du liquide reste plane,

F =HplR

6 d2 , (4.3)

avec R  d et où Hpl est la constante d'Hamaker du système. Cette constante quantie

l'intensité des interactions intermoléculaires et sa valeur est généralement comprise entre 5×10−20 et 50×10−20 J pour les phases condensées [Israelachvili, 2011]. La résolution de

l'équation dF/dd = γ donne alors une estimation de dmin qui s'écrit, pour cette géométrie

particulière dmin'  HplR 3 γ 1/3 . (4.4)

Ce modèle a été employé dans le cadre des mesures SFA citées précédemment [Chen et al.,

2004]. Dans ces expériences, deux lms liquides de PDMS (γ = 30 mN · m−1, H

pl= 5× 10−20 J)

ayant une épaisseur de 25 nm sont déposés sur deux cylindres de mica de rayon R = 2 cm. Lors de l'approche des deux cylindres, les auteurs observent qu'une instabilité se produit à une distance de séparation d'environ 200 nm, ce qui est très proche des 220 nm prédits4 par

l'Eq (4.4).

I .De manière assez surprenante, ce modèle très simple, qui ne considère pas la déformation de la surface dans le calcul de dmin et qui assimile l'interface liquide-air à un simple ressort,

présente les bonnes lois d'échelle. Les calculs numériques que nous décrirons ultérieurement conrment en eet que dmin∝ (HplR/γ)1/3.

I . Il est important de garder à l'esprit que la raideur eective des interfaces liquides est de l'ordre de γ, soit environ 10−2 N · m−1 pour la majorité des liquides standards. Ainsi,

si la raideur k de la sonde AFM est largement supérieure à γ, on peut admettre que l'in- stabilité qui conduit au mouillage de la pointe provient de la déstabilisation de l'interface liquide (i.e du jump-to-contact). En revanche, si k  γ, l'instabilité du snap-in se produira avant que l'interface liquide ne se déstabilise. En conclusion, l'étude expérimentale du jump- to-contact nécessite de choisir des leviers ayant une raideur au moins supérieure à 0,5 N · m−1.

Une modélisation théorique plus exacte, nécessite de recourir au calcul numérique. A partir de 1991 et des travaux de Forcada [Forcada et al.,1991a,b], deux grandes approches sont proposées pour décrire la déformation d'une interface liquide au voisinage d'une pointe AFM. Dans les deux cas, l'objectif est de déterminer le prol de l'interface liquide-air qui minimise l'énergie libre du système. En fonction du problème considéré, cette énergie est la somme de trois ou de quatre composantes, à savoir : l'énergie capillaire, qui résulte de la 3. L'assimilation d'une interface liquide à un ressort de raideur γ avait déjà été employée par diérentes études de coalescence de gouttes [Attard and Miklavcic,2001,2002,Bhatt et al.,2001].

4. Les deux cylindres ayant le même rayon, l'expression donnée par l'Eq. (4.4) s'applique également pour cette géométrie [Israelachvili,2011]

tension de surface, l'énergie potentielle gravitationnelle, l'énergie attractive de vdW entre la pointe et le liquide, et éventuellement l'énergie attractive de vdW entre le lm liquide et le substrat solide. La minimisation de l'énergie du système revient alors à résoudre une équation de Young-Laplace étendue qui relie la déformation de l'interface liquide au champ de pression à l'intérieur du uide.

Les deux approches théoriques ne dièrent que par l'expression du potentiel d'interaction de vdW :

− Certaines équipes de chercheurs [Cortat and Miklavcic,2003,2004, Miklavcic and White,

2006,Wang et al.,2007] calculent l'énergie d'interaction entre une pointe AFM parabolique et une surface liquide dans le cadre de l'approximation de Derjaguin [Derjaguin,1934,Israela- chvili,2011]. Leurs modèles prédisent l'existence de deux états d'équilibres de l'interface (un stable, l'autre métastable) et fournissent de nombreuses relations empiriques qui décrivent l'impact des paramètres du système (Hpl, d, géométrie de la pointe) sur la déformation de

l'interface liquide. Toutefois, l'approximation de Derjaguin n'est valable que si les dimensions des objets en interaction sont très grandes devant leur distance de séparation [Bhattacharjee and Elimelech, 1997, Todd and Eppell,2004]. Ce n'est généralement pas le cas pour les ex- périences AFM où le rayon de courbure de l'apex de la pointe est typiquement de l'ordre de 10 nm.

− La deuxième approche, qui est adoptée dans cette thèse, calcule sans approximation géo- métrique les potentiels d'interaction de vdW entre la pointe et le liquide, et entre le liquide et l'échantillon, à partir de la théorie de Hamaker [Hamaker,1937]. Dans toute la suite, nous nous appuierons sur un modèle théorique récemment développé au sein de notre groupe par René Ledesma-Alonso. Ce modèle décrit l'interaction hydrodynamique d'un lm de liquide avec une sphère solide diélectrique [Ledesma-Alonso et al.,2012a, 2013, 2012b, 2014] ou un cylindre [Ledesma-Alonso et al.,2017]. Les résultats issus de ces modèles sont en accord avec les travaux d'autre équipes de chercheurs [Forcada et al.,1991a,b,Quinn et al., 2013,Wang et al., 2011]. Ils fournissent de plus des relations analytiques ou semi-analytiques précieuses pour l'analyse des données expérimentales. La suite de ce chapitre présente ainsi les équa- tions de base nécessaires à la compréhension de ce modèle ainsi qu'un résumé des principaux résultats obtenus jusqu'à présent.

4.3 Cadre théorique