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2 Autour de la langue anglaise

2.2 Le français et l'anglais : des influences réciproques

L'hégémonie de la langue anglaise (Sockett, 2011), comme nous en avons discuté précédemment, a entrainé l'adoption de mots anglais dans bon nombre de langues dans le monde et cette évolution continue et s'amplifie dans le temps. Le français n'est pas épargné. Dans beaucoup de sphères, notamment les sciences, la technologie, l'informatique, le sport, les affaires, l'éducation, pour en nommer certains, l'utilisation de termes techniques anglais devient incontournable. Ce phénomène affecte aussi le monde médiatique, politique et de plus en plus le parler ordinaire dans la société française. Force est de noter que l'usage de ces mots anglais est ubiquiste chez les jeunes qui s'y exposent tous les jours au travers de diverses activités (jeux, musique, films, etc.), pour lesquelles les technologies de l'information et de la communication (TIC) sont les principaux vecteurs (ordinateurs portables, tablettes, téléphones portables, consoles de jeux, etc.). En Europe, jusqu'à l'adhésion le 1er

janvier 1973 de la Grande-Bretagne à la CEE24 , le français était la langue de communication dominante entre les pays membres. Mais aujourd'hui l’anglais est devenu la langue la plus utilisée en matière de communication entre personnes ne partageant pas la même langue. C’est un renversement de situation que Buffon25

dénonçait avec véhémence. Dans le but de monter les influences entre l’anglais et le français, nous commencerons par les anglicismes dans la langue française, puisque c’est le premier aspect linguistique où se manifeste l’hégémonie de la langue anglaise. Nous traiterons ensuite les gallicismes en anglais.

2.2.1 L’anglicisme en français

« Anglicisme » est un terme linguistique qui réfère aux emprunts de la langue anglaise par une autre langue, notamment le français dans notre cas. Bogaards (2008, p. 20) le définit comme : « un

24 Communauté Économique Européenne, ex- Union Européenne.

25 Ancien secrétaire général du Comité international pour le français, langue européenne. voir Buffon (2003) au lien suivant http://www.langue-francaise.org/Articles_Dossiers/Dos_match_langue_europe.php, consulté le 13/16/2019

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élément du français qui a été emprunté à l’anglais ». Il y aurait plusieurs causes (calques, mots inexistants, mauvaise traduction, styles, mode, raccourcis, etc.) et il se manifeste dans divers domaines de la linguistique (sémantique, lexical, syntaxique, morphologique, phonétique, ortho- typographique, etc.). Nous ne développerons pas ces points, mais nous expliciterons deux situations : Une première où les mots anglais sont utilisés sans aucune modification (ex. brunch) et une deuxième où ils subissent des modifications (ex. checker, liker). Nous présentons quelques exemples de mots anglais dans leur orthographe d’origine.

Tableau 2 : Quelques exemples d’anglicismes en français26.

Anglicisme (mots français empruntés à l’anglais)

Marketing Coach Thriller Flyer Best-seller Cutter Gag Check-list Brainstorming Week-end (de)briefing Baby-sitting

Live Punch line

Les défenseurs de la langue de Molière, dont l'académie française, luttent farouchement contre ces usages et proposent des équivalents français à ces anglicismes (Walsh, 2013). En effet, c’est depuis la publication du livre « Parlez-vous franglais ? » par René Étiemble (1964), dans lequel il dénonce la menace de la langue française par l’anglo-américain, que les gouvernements successifs ont mis en place des mesures de protection pour lutter contre ce phénomène. Ainsi, Jacques Toubon, alors ministre de la culture (1993-1995) a fait voter une loi (Loi Toubon n° 94-665 du 4 aout 1994 suivant la loi Bas-Lauriol) visant à protéger et à enrichir la langue française. L’objectif était de rendre obligatoire l’emploi des équivalents français pour les termes étrangers au sein des administrations et services publics :

Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle (Article 2).

Les événements scientifiques ne sont pas épargnés :

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Tout participant à une manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française a le droit de s'exprimer en français. Les documents distribués aux participants avant et pendant la réunion pour en présenter le programme doivent être rédigés en français et peuvent comporter des traductions en une ou plusieurs langues étrangères. Lorsqu'une manifestation, un colloque ou un congrès donne lieu à la distribution aux participants de documents préparatoires ou de documents de travail, ou à la publication d'actes ou de comptes rendus de travaux, les textes ou interventions présentés en langue étrangère doivent être accompagnés au moins d'un résumé en français (Article 6).

Par contre, il y a des exceptions, comme par exemple les entreprises qui ont besoin de se vendre à l’international (Article 5). Il s’en suit des publications d’auteurs dans la même logique de protection du français, dans lesquelles des milliers d’équivalents français sont proposés en vue de remplacer les mots/termes/expressions étrangers, comme celle de Voirol dont nous soumettons ci- dessous un extrait de la quatrième de couverture :

Toutes les langues doivent quelque chose aux autres : le français a nourri l'anglais, l'anglais a enrichi le français. Mais depuis un demi-siècle, la " balance linguistique " est devenue lourdement déficitaire au détriment du français. […] Résister à l'anglomanie, ce n'est pas se laisser aller à l'anglophobie (ou à l'américanophobie). C'est défendre le droit de nous exprimer dans notre langue, avec des mots à nous, et d'être compris de tous ceux dont le français est la langue maternelle ou d'usage (Voirol, 2006).

Tout récemment (2015), dans une lettre ouverte adressée aux Français, la secrétaire d’État chargée du Développement et de la Francophonie Annick Girardin demande de ne plus répondre « ASAP » mais « dès que possible », de ne plus « checker » les mails mais de les « vérifier » et de ne plus « débriefer » mais de faire un point27

. Aussi, d’autres pays « francophones » comme le Canada, ont aussi mis en place des politiques de protection et d’encadrement de la langue française contre les emprunts linguistiques étrangers plus spécifiquement l’anglicisme. La création du Grand Dictionnaire Terminologique par l’Office Québécois de la Langue Française a été (il l’est toujours) une occasion de fixer les règles d’emploi et les interdits face aux anglicismes. Sur le site du Grand Dictionnaire Terminologique28

, on peut retrouver les équivalents des anglicismes (plus de trois millions de termes) et on peut également les trier par domaine professionnel (plus de 200), mais aussi dans d’autres langues (italien, portugais, espagnol, roumain, galicien, catalan et le latin)29

.

27 Lettre téléchargeable en ligne sur : https://www.france-canada.info/annick-girardin-denonce-les-anglicismes-du- monde-du-travail-francais/

28 http://www.granddictionnaire.com/ (consulté le 16/06/2019).

29 Ce site nous parait plus pertinent et efficace pour se documenter car accessible à tous, comparativement aux versions papiers. À notre connaissance il n’existe pas d’équivalents français (de France) de cet outil en ligne.

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Ces personnes parviendront-elles à sauver la langue française qui s'enrichit de plus en plus de mots anglais ? Réussiront-elles à décourager les Français dans l’utilisation des anglicismes ? Les équivalents proposés sont-ils vraiment utilisés ? Combien de Français disent « vacancelle » pour weekend, ou encore « syndrome d’épuisement professionnel » pour burnout ? Ce revirement semble difficile si l'on considère que naturellement, les langues s'influencent mutuellement et s'acclimatent (en termes d'acclimatation et d'acclimatement cf. Louis-Jean Calvet, 2010, 2013). Encore faut-il se rappeler que « le vocabulaire français dérive du latin à 80% » (Durand, 1999, p. 40). Même les politiques linguistiques ne pourraient inverser la situation, car nombreux sont les Français qui utilisent les anglicismes (Bogaards, 2008). Pourtant, une étude menée par Walsh (2014), montre que la majorité des Français, généralement les jeunes, perçoivent positivement l’utilisation des anglicismes. Certains auteurs pensent qu’ils constituent un enrichissement pour la langue française (Didienne, 2019). Ce phénomène touchant bon nombre de domaines professionnels en France, va à l’encontre des craintes des politiques de défense qui ont été mises en place. Tous les corps de métier sont ainsi concernés : les politiciens, les journalistes, les informaticiens, les commerciaux, les sportifs, les artisans, les enseignants et les étudiants prennent les mots ailleurs et en font les leurs, comme nous pouvons le retrouver dans la citation suivante :

Le Petit Robert définit le sens figuré d’emprunter comme un procédé en deux phases « Prendre ailleurs et faire sien ». La première phase, « prendre ailleurs », est celle qui pose problème à ceux qui mettent en question l’emploi des anglicismes en français (l’Académie française) ; la seconde phase, « faire sien », rend compte des procédés linguistiques utilisés dans la fabrique des anglicismes (Saugera, 2017, paragr. 1).

Si aujourd'hui, l’anglicisme est répandu et attesté en France comme nous venons de le voir, il serait intéressant, d’un point de vue phonétique et didactique, de voir comment ces mots, modifiés ou non, sont prononcés et utilisés par les français (Pillot-Loiseau et al., 2010). Nous nous demandons si ces mots sont prononcés selon les règles de la prononciation de l'anglais ou du français et s’ils ont gardé leur sens d’origine.

Nous venons de faire un bref tour d’horizon sur l’anglicisme en français et sur les avis partagés concernant son utilisation dans la société française. Ainsi, l'anglicisme en France reste toujours en débat et divise la société (Bogaards, 2008). Comme nous l’avons évoqué, le français n’est pas la seule langue à être influencée par d’autres. Nous allons maintenant traiter la situation inverse dans le monde anglophone, c’est-à-dire le gallicisme.

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2.2.2 Le gallicisme en anglais

Il est à rappeler que tout au long de son évolution, la langue anglaise a également subi des influences d’autres langues, notamment de la langue française. Ces emprunts lexicaux du français ou gallicisme impliquent l’utilisation de mots français avec ou sans modifications de formes et/ou de sens, comme le précisent Blanchard & Leven, (2007) :

It has become obvious to us that the English language is incorporating French vocabulary at an ever-increasing speed, and that, as it does so, some words are retaining their original French meanings, and some are not. Others have taken on totally new meanings and then been returned to France, where they have completely replaced the words from which they were derived (Blanchard & Leven, 2007, p. vii).

Parallèlement au cas de l’anglicisme, le gallicisme aurait plusieurs causes (calques, mots inexistants, mauvaise traduction, styles, mode, etc.) et il se manifeste dans plusieurs domaines de la linguistique (sémantique, lexical, syntaxique, morphologique, phonétique, ortho-typographique, etc.). Nous présentons dans le tableau suivant quelques exemples de mots français dans leur orthographe originelle.

Tableau 3 : Quelques exemples des gallicismes en anglais. Gallicismes (mots anglais empruntés au français)

Boutique Bourgeoisie

Déjà-vu Coup d’état

Café Crème de la crème

Chef d’œuvre Croissant

Foie gras Début

Cliché Flambé

Ballet Sabotage

Le gallicisme remonte au 11e

siècle, lors de l'occupation normande de la grande Bretagne par Guillaume le conquérant (Male, 2010). Pendant trois siècles, la langue française a été parlée et enseignée dans la société anglaise, notamment à la cour, par les aristocrates, les nobles et les élites. Aujourd'hui encore, beaucoup de domaines comme la justice, la mode, la cuisine, l’administration, les sciences, etc. en gardent un certain nombre (ibid. p. 38), comme le précise Svartvik & Leech :

The greater part of the English legal vocabulary comes from the language of the conquerors. Although from 1362 English was established as the official language spoken in the court of justice, a curious mongrel, known as Law French survived, and was officially abandoned in 1731 by an Act of parliament. Many of the following words are today familiar to audiences

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round the world who watch American movies or British television series focusing on legal proceedings (Svartvik & Leech, 2016, p. 38).

Les auteurs fournissent quelques exemples ci-dessous (Svartvik & Leech, 2016) :

Mostly French in origin are: Legal roles, such as advocate, attorney, bailiff, coroner, defendant, judge, jury, plaintiff. Legal actions, processes and institutions: bail, bill, decree, evidence, fine, forfeit, jail, inquest, penalty, petition, plea, proof, punishment, ransom, sentence, suit, summons, verdict. The names of crimes: arson, assault, embezzlement, felony, fraud, larceny, libel, perjury, slander, treason, trespass. French word order is preserved in attorney general, court-martial, fee-simple, heir apparent, letters patent - with the adjective following the noun. The cry Oyez! Oyez! Oyez! has probably puzzled many people, especially if pronounced 'O yes'. Used in the past when an official or town crier called for silence, it is the Anglo-Norman form of the Old French Oiez! 'Hear!' Interestingly, Oyez! is still today the opening cry of the Marshal of the United States Supreme Court, where the phrase is sounded to bring the courtroom to order (ibid.).

Nous n’avons pas connaissance des lois officielles l’interdisant, il semblerait même au contraire que le gallicisme soit bien vu et qu’il soit très apprécié dans le monde anglophone. Dans un livre intitulé « Say Chic: A collection of French words we can't live without », Françoise Blanchard et Jeremy Leven (Blanchard & Leven, 2007) ont recensé des termes et expressions françaises couramment utilisés en anglais américain. Les termes et expressions sont souvent accompagnés de leur prononciation (transcription phonétique à l’aide de l’alphabet latin) et de leurs significations en anglais américain, et des différences de sens entre l’anglais et le français le cas échéant. Par exemple : au naturel [oh nah char rel/ oh nah tyoo rel] (p. 1), au pair [oh pear] (p. 3), Bête noire [bet nwar] (p. 4), bidet [bee day] (p. 5), boutique [boo teek] (p. 6). Ces exemples nous donnent une idée de la perception des gallicismes en anglais. Ainsi, certains linguistes estiment à plusieurs milliers de mots le répertoire lexical anglais provenant du français. Il y aurait au moins 25% de mots anglais contemporain qui sont d'origine française (Svartvik & Leech, 2016 : 37). Ce chiffre est variable selon les chercheurs, leurs méthodes de calculs et les facteurs pris en considération. Ainsi, Bogaards (2008, p. 20) estime à 2500 les mots d’origine française (sans compter les modifications). Faudrait-il alors imaginer que l'on parle français plutôt qu'anglais, « cette langue faite à 70% de mots français mal prononcés et plus ou moins déformés » (Buffon, 2003) ? L'anglais parlé aujourd'hui ne serait-il en fait que du français « revisité » ? À en croire Male (2010, 2015), certains anglicismes en français étaient à une époque donnée, des gallicismes en anglais. Pour tout résumer, nous soumettons cette citation à l’appréciation du lecteur.

It has become obvious to us that the English language is incorporating French vocabulary at an ever-increasing speed, and that, as it does so, some words are retaining their original

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French meanings, and some are not. Others have taken on totally new meanings and then been returned to France, where they have completely replaced the words from which they were derived, in an impressive display of foreign exchange (Blanchard & Leven, 2007, p. vii).

Nous venons de voir que l’anglais et le français s’influencent mutuellement, à différentes époques, à divers degrés et sous différentes conditions. Nous allons maintenant aborder brièvement les différents types d’anglais parlés dans le monde. Nous en profiterons pour discuter des divers accents au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous introduirons par la suite les deux accents qui nous intéressent et qui constituent notre objet d’étude dans ce travail.