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Différences phonétiques et phonologiques entre l'anglais et le français

2 Autour de la langue anglaise

2.4 Différences phonétiques et phonologiques entre l'anglais et le français

Travaillant avec des locuteurs français, la prise en compte du système phonétique de cette langue nous parait importante. En effet, une comparaison des deux langues ferait certainement ressortir des éléments permettant de mieux comprendre et expliquer les productions de nos locuteurs francophones cibles. Nous utilisons le terme « comparaison », mais un tel projet est bien ambitieux dans la mesure où il s’agit de deux systèmes distincts, donc techniquement non- comparables. Sans entrer dans les détails articulatoire et acoustique du système phonétique du français, nous allons essayer de discuter les quelques principaux points de divergence (et de convergence s’il y en a) entre les deux langues.

Tout d’abord, le système phonétique de l’anglais est plus « complexe » que celui du français. Cette « complexité » se traduit sur plusieurs plans. En effet, l’inventaire phonétique de l’anglais comporte 44 sons (24 consonnes et 20 voyelles) contre 36 (20 consonnes et 16 voyelles) en français : il possède par conséquent plus de sons que le français, soit 8 de plus (4 voyelles et 4 consonnes). D’office, cela présuppose qu’un apprenant français devrait s’adapter à de nouvelles « cibles » perceptives et articulatoires en vue de pouvoir percevoir et prononcer les sons de l’anglais. Selon Viel (1981), les spécificités articulatoires permettant de discriminer les sons les uns par rapport aux autres sont moins contrastées en anglais qu’en français. Cela fait de l’anglais l'une des langues possédant le plus de sons difficiles à prononcer. Comme le souligne Viel (1981, p. 11) : « On s’accorde volontiers à reconnaitre la simplicité de la grammaire, mais cette simplicité serait largement compensée par la difficulté de la prononciation ». Nous nous permettons toutefois d’émettre des réserves quant à cette notion de difficulté de prononciation de sons, de façon absolue. Tout semble dépendre de la « distance » ou du degré de la différence du système phonologique entre L1 et L2.

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Tableau 11 : les sons du français (adapté de Vaissière, 2006, p. 12). Son Transcription du mot Mot Consonnes Occlusives /p/ /t/ /k/ /b/ /d/ /ɡ/ /pɑ̃/ /tɑ̃/ /kɑ̃/ /bɑ̃/ /dɑ̃/ /ɡɑ̃/ Pan Temps Camp Banc Dent Gant Fricatives /f/ /s/ /ʃ/ /v/ /z/ /ʒ/ /ʁ/ /fɑ̃/ /sɑ̃/ /ʃɑ̃/ /vɑ̃/ /zɑ̃/ /ʒɑ̃/ /ʁɑ̃/ Faon Sang Chant Vent Zan Gens Rang Nasales /m/ /n/ /ɲ/ /mɑ̃/ /nɑ̃/ /aɲo/ Ment Nan Agneau Latérales /l/ /lɑ̃/ Lent Voyelles

Fermées orales /i/ /y/ /ø/ /u/ /o/ /e/ /ə/ /pil/ /pyl/ /pø/ /pul/ /po/ /ekɔl/ /lə/ Pile Pull Peu Poule Peau École Le Ouvertes orales /ɛ/ /œ/ /ɔ/ /a/ /ɑ/ /nɛʒ/ /pœʁ/ /pɔl/ /pat/ /pɑt/ Neige Peur Paul Patte Pâte Nasales /ɑ̃/ /ɔ̃/ /ɛ̃/ /œ̃/ /pɑ̃t/ /pɔ̃/ /bʁɛ̃/ /bʁœ̃/ Pente Pont Brin Brun Semi-voyelles / consonnes Spirantes /w/ /ɥ/ /j/ /lwi/ /lɥi/ /fij/ Louis Lui Fille

Les différences entre les deux systèmes peuvent se résumer par les points suivants :

 En plus des consonnes /p, t, k, b, d, g, f, s, ʃ, m, n, ɲ, l, ʒ, R/ qui existent aussi en français, l’anglais compte les consonnes suivantes : /θ, ð, ŋ, h, dʒ, tʃ/ ;

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 Contrairement au français, les plosives sourdes anglaises /p, t , k/ sont plus aspirées en positions initiales et en syllabes accentuées ([pʰ], [tʰ], [kʰ] comme dans pin, tin, kin, pertain,

contain etc. mais pas dans skin, spin, tomato) ;

 Le /h/ est prononcé partout en anglais (house_/haʊs/, home_/həʊm/, etc.) sauf à de rares exceptions (hour_/ˈaʊə/, honor_/ˈɒnə/, honest_/ˈɒnest/), alors qu’il n’est jamais réalisé en français (heure_/øʁ/, honneur_/ɔnøʁ/, honnête_/ ɔnɛt /) ;

Il y a deux /l/ en anglais (light_[laɪt]/ et pill_[pʰɪɫ]) alors qu’il n’en existe qu’un en français (lire_[liʁ]) ;

 Il vaut mieux partir de l’idée qu’aucune voyelle anglaise n’est identique à une voyelle française. En effet, certaines voyelles dans les deux langues se ressemblent perceptivement (/u, o, ɔ, a, ɛ, i/) mais n’ont pas de valeurs formantiques identiques voire proches. Pour la voyelle /ɛ/ par exemple, la moyenne des trois premiers formants est : F1=580 Hz, F2= 1799 Hz et F3=2605 Hz pour les hommes anglophones (Hillenbrand et al., 1995, p. 3103) et : F1=530 Hz, F2=1728 Hz et F3=2558 Hz pour les hommes francophones (Calliope, p. 84). La différence entre ces deux réalisations semble reposer davantage sur une différence du F1 ;

 Les diphtongues n’existent plus en français ;

 L’anglais ne possède pas les voyelles françaises /y, ø, œ/ et les voyelles anglaises /ʌ, ɒ, æ, ɜ, i, ɪ, ɑ, ʊ/ n’existent pas en français ;

 Le contraste voyelles courtes/longues n'entraîne pas d’oppositions phonologiques en français, tandis qu’il est phonologique en anglais (sit/sɪt/ vs. seat/siːt/) ;

 La place des syllabes accentuées varie en anglais alors qu’elle est le plus souvent sur la dernière syllabe du groupe rythmique en français ;

 Si nous considérons le français comme étant rhotique, puisque les <r> sont partout prononcés, l’articulation est différente : une approximante alvéolaire en anglais (/ɹ/) contre une uvulaire en français (/ʁ/).

Aussi, sur le plan suprasegmental, les deux langues se comporteraient de la même manière, à un niveau général, mais diffèrent considérablement dans des variables isolées et simples. Dans une étude que nous résumons, Grosjean et Deschamps (1975) ont analysé des variables temporelles de discours issus d'interviews radiophoniques de 60 locuteurs anglophones et francophones (30 de chaque langue). Les variables étudiées sont la vitesse d'élocution et le rapport temps d'articulation- temps de locution (RTATL), sur un plan global et la vitesse d'articulation, la fréquence et la durée des pauses (silencieuses, remplies, syllabes allongées, répétitions et faux départs), sur un plan détaillé. Ces chercheurs ont trouvé que les deux langues ont des valeurs moyennes presque identiques : 175,54 mots/min (soit un RTATL de 83,15%) pour l'anglais et 173,6 mots/min (soit un RTATL de 84,45%) pour le français. Mais à un niveau plus détaillé, la différence la plus importante est que les « Anglais » articulent plus vite. Ainsi, il présente 9,5 syllabes/suite sonore contre 12 syllabes/suite sonore pour le français. Les « Français » réaliseraient plus de répétitions liées aux erreurs grammaticales (accord de genre et de nombre des articles) alors que Les « Anglais »

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auraient davantage recours aux substitutions lexicales. Est-ce une preuve que la grammaire française est plus difficile ? Aussi, les « Français » feraient plus de faux départs que les « Anglais » et les pauses remplies seraient plus courtes. Les auteurs expliquent ces résultats par le fait que l'anglais comporte plus de mots grammaticaux et lexicaux plus courts (mono et dissyllabiques) mais effectue davantage de courtes pauses. À contrario, le Français a tendance à effectuer moins de pauses mais qui sont plus longues, malgré une longueur plus importante des suites sonores. Il en résulte que l'Anglais fournirait une quantité d'informations plus conséquentes que le Français avec le même nombre de mots. Il semblerait donc que les Anglais, pour des raisons physiologiques spécifiques, auraient besoin de respirer plus souvent que les Français, mais restent toutefois plus concis. Ils en concluent qu'il y aurait un mécanisme de compensation selon la tâche réalisée et selon chaque locuteur. Des différences individuelles notables ont été également constatées. Il serait toutefois intéressant de reconduire cette étude aujourd'hui, afin de vérifier s'il y a eu évolution dans la manière de parler l'une ou l'autre langue, sur le plan de la vitesse d'élocution et de la quantité d'informations fournie, en fonction des locuteurs des deux langues.

Ensuite, une autre différence entre les deux langues se situe au niveau de l’orthographe. En effet, l’anglais est une langue dont la prononciation ne correspond pas, dans la grande majorité des cas, à la manière dont il est orthographié. Le français non plus mais, à quelques exceptions, il possède une certaine cohérence entre la prononciation des mots et l’orthographe. Cette relation entre la prononciation et l’orthographe est appelée transparence grapho-phonémique (Deschamps, 1994). L’antagonisme entre écrit et prononciation en anglais s’observe principalement à deux niveaux. D’une part, certains sons ne correspondent guère à l’orthographe (ewe se prononce /juː/) et d’autre part, un même graphème (ou orthographe) peut se prononcer différemment selon le mot. <ou> se réalise /ʌ/ dans tough (/tʌf/), /əʊ/ dans though (/ðəʊ/), /ɔː/ dans ought (/ɔːt/), /uː/ dans ouzel (/ˈuːzəl/ et /aʊ/ dans bough (/baʊ/). Aussi, la voyelle /iː/ admet des graphies diverses : <ee> (see_ /siː/), <e> (obese_/əʊˈbiːs/), <ea> (meat_/miːt/), <ie> (believe_/biˈliːv/), <ei> (receive_/riˈsiːv/), <ey> (key_/kiː/), <i> (police_/pəˈliːs/), <ay> (quay_/kiː/), <eo> (people_/ˈpiːpəl/) et ae (Caesar_/ˈsiːzə/). Ou encore, la voyelle /ɛ/ représentée par des graphies <e> (bed_/bed/), <ea> (breakfast_/ˈbrek fəst/), <a> (many_/ˈmeni/), <u> (bury_/ˈberi/), <ei> (leisure_/ˈleʒə/), <eo> (leopard_/ˈlepəd/), ainsi que <ay> (says_/sez/) et <ai> (said_/sed/).En revanche, en français, on note très peu de ces discordances et elles relèvent plutôt des habitudes

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. Ainsi prononcera-t-on les graphies <un> de brun en /bʁœ̃/ ou /bʁɛ̃ / ; <o> en /pɔl/ ou /pol/ (Paul) et <a> en /pɑt/ ou /pat/ (pâte) ; <eu> en /ʒøn/ ou /ʒœn/ (jeune) ; <ai> et <es> en /lɛ/ ou /le/ (lait, les).

Dans le même ordre d’idée, pour confirmer ces discordances grapho-phonémiques, Trenité (1920) dénonce de façon amusante les incohérences de la prononciation anglaise à travers un long poème de 238 vers ; recensant environ 800 irrégularités grapho-phonémiques notoires en anglais. Le poème intitulé « The chaos » est apparu pour la première fois dans l’appendice de son livre Drop

Your Foreign Accent (Trenité, 1920) et a été publié depuis chez plusieurs éditeurs. En voici quelques

extraits (le début).

Tableau 12 : Extraits du poème de Trenité, The Chaos.

Vers Transcription large (IPA, version RP)

Dearest creature in creation ˈdɪərɪst ˈkriːʧə ɪn kri(ː)ˈeɪʃən Studying English pronunciation, ˈstʌdiɪŋ ˈɪŋglɪʃ prəˌnʌnsɪˈeɪʃən, I will teach you in my verse aɪ wɪl tiːʧ juː ɪn maɪ vɜːs

Sounds like corpse, corps, horse and worse. saʊndz laɪk kɔːps, kɔː, hɔːs ænd wɜːs. I will keep you, Susy, busy, aɪ wɪl kiːp juː, ˈsuːzi, ˈbɪzi,

Make your head with heat grow dizzy; meɪk jɔː hɛd wɪð hiːt grəʊ ˈdɪzi; Tear in eye, your dress you'll tear; teər ɪn aɪ, jɔː drɛs juːl teə; Queer, fair seer, hear my prayer. kwɪə, feə ˈsiːə, hɪə maɪ preə. Pray, console your loving poet, preɪ, kənˈsəʊl jɔː ˈlʌvɪŋ ˈpəʊɪt, Make my coat look new, dear, sew it! meɪk maɪ kəʊt lʊk njuː, dɪə, səʊ ɪt! Just compare heart, hear and heard, ʤʌst kəmˈpeə hɑːt, hɪər ænd hɜːd, Dies and diet, lord and word. daɪz ænd ˈdaɪət, lɔːd ænd wɜːd. Sword and sward, retain and Britain sɔːd ænd swɔːd, rɪˈteɪn ænd ˈbrɪtn (Mind the latter how it's written). (maɪnd ðə ˈlætə haʊ ɪts ˈrɪtn). Made has not the sound of bade, meɪd hæz nɒt ðə saʊnd ɒv beɪd, Say-said, pay-paid, laid but plaid. seɪ-sɛd, peɪ-peɪd, leɪd bʌt plæd. Now I surely will not plague you naʊ aɪ ˈʃʊəli wɪl nɒt pleɪg juː

Si nous revenons à un contexte d’enseignement et d’apprentissage des langues secondes et étrangères, force est de constater que ces discordances constituent la plus grande source de difficultés de prononciation pour les non-natifs (Krashen, 2013). Ceux-ci devront adopter une norme, notamment ceux qui apprennent la langue dans un contexte formel et qui passent inévitablement par l’orthographe. Selon Roussel & Gaonac’h (2017), les apprenants qui s’exposent aux activités informelles, sans passer tout de suite par l’orthographe, adoptent une meilleure

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prononciation. Plusieurs études ont montré les effets de l’orthographe sur la lecture et la prononciation, mais les récents travaux en neurosciences de la cognition montrent l’intervention des facteurs neurophysiologiques, environnementaux et individuels (Miras, 2016). En se reposant sur les quelques exemples de (non)correspondances phonie-graphie dans les deux langues, nous concluons que l’anglais est moins transparent que le français. Ceci n’est pas sans conséquences pour les apprenants, particulièrement en matière de prononciation.

2.5 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons parlé de l’importance de l’anglais en tant que langue mondiale, avec ses variétés connexes. Nous avons ensuite circonscrit le terrain en comparant les deux variétés les plus connues, à savoir la RP et le GA. Enfin, après avoir abordé les notions d’anglicisme et de gallicisme, nous avons également comparé l’anglais et le français, sur un plan phonétique et phonologique.

Au regard de tous ces éléments, nous pouvons faire deux observations : d’une part la difficulté de couvrir toutes les différences dans les variétés étudiées, surtout parce que certaines sont subtiles ; d’autre part, la multiplicité de facteurs intervenant dans la catégorisation de ces différences, induisant ainsi un système complexe à étudier et une variabilité accrue. Certes, tous ces facteurs constituent la matière à étudier, surtout dans un monde linguistique en pleine évolution, où les langues s’influencent mutuellement (la RP sur le GA et sur le français, et inversement). Nous nous posons ainsi quelques questions ouvertes par rapport au contexte d’enseignement et d’apprentissage des langues et de l’anglais en particulier. Quelle variété faut-il enseigner ou apprendre ? Comment s’en tenir à un seul accent lorsque nous sommes de plus en plus exposés à diverses variétés que celui que nous avons appris ? Comment juger/évaluer la prononciation des apprenants d’anglais L2, si toutes les variétés standard sont tout autant éloignées les unes des autres ? Peut-on plutôt dire que ce sont les normes qui sont déconnectées de la réalité ? La question de la norme et de l’enseignement-apprentissage des langues se pose ici. Dans ce cadre, il est pertinent de justifier le terrain d’étude de l’AIAL par des fondements théoriques, capables de soutenir et d’expliquer comment l’apprentissage se déroule chez l’individu. Nous allons aborder, dans l’ensemble suivant, notre cadre théorique qui se compose de trois théories globales : la théorie des systèmes complexes et dynamiques, la théorie de l’imitation

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phonético-phonologique et la théorie de la viabilité en production-perception de la parole. Outre la présentation de ces dernières, nous expliciterons pourquoi nous les avons choisies et en quoi elles sont pertinentes pour notre travail. Sans plus attendre, nous commençons par la présentation de notre première théorie principale, à savoir la théorie des systèmes complexes et dynamiques.

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