• Aucun résultat trouvé

4 Théorie de l'imitation vocale

4.3 Imitation générale et imitation vocale

L’imitation vocale est au cœur de notre présente étude. À ce titre, nous souhaitons apporter ici quelques éclaircissements sur les notions d’» imitation » et d’» imitation vocale ». Le terme imitation désigne simplement le fait d’imiter quelqu’un ou quelque chose de façon globale (Fagard & Lockman, (2010). Elle peut être immédiate ou différée et couvre un panel d’aspects que nous avons énumérés précédemment (notamment comportemental, lexical ou phonétique). Cependant, le terme de convergence vocale (remarquons l’ajout du mot vocale) se réfère à une catégorie bien spécifique de l’imitation propre à la manière d’imiter le parler d’un individu (accent et prononciation), une sous-catégorie qui prend uniquement en compte le langage (Pardo et al., 2012). Cela serait donc par simplification que certains auteurs emploieraient le terme « imitation »

82 Un input est une « entrée » de données, un ensemble d’informations auxquelles l’apprenant est exposé. Par opposition, un output est une « sortie » de données et rassemble toute production (orale et écrite) venant de l’apprenant. Les deux mots input et output existent aussi en français, par conséquent nous ne les mettons pas en italique.

102

pour ce qui devrait désigner « imitation vocale ». Précisons enfin que le phénomène opposé de l’imitation est appelé divergence, et peut être aussi consciente ou inconsciente.

Figure 7 : les types d’imitation et leurs sphères d’influence.

4.3.1 Imitation vocale

L’idée selon laquelle la convergence vocale serait aux fondements de toute acquisition de la phonétique et de la phonologie semble dorénavant un fait indéniable. De nombreux travaux l’ont amplement montré (Piske, MacKay & Flege, 2001 ; Pardo, 2006). Parler une langue avec un accent spécifique ne peut relever que de l’ordre de l’imitation vocale (Markham, 1997). Les théories centrées sur les phénomènes d’imitation vocale stipulent que deux individus quelconques qui s’engagent dans une conversation ou interaction auraient tendance à échanger mutuellement des phonèmes (Pardo & Jay, 2010 ; Pardo et al., 2012 ). Stuart-Smith et ses collègues (2011) définissent la convergence vocale comme : « shifts in speech production towards the accent of an interlocutor » (p. 1914), alors que Pardo et al. (2012) la qualifient de : « the ways in which a talker adjusts speaking style

to become more similar to an interacting partner » (p. 190). Remarquons dans ces définitions que les

moyens par lesquels se déroulent les interactions, pourtant centraux, ne sont pas explicités. Ces interactions, supposant la présence physique des agents, pourraient-elles aussi inclure les conversations téléphoniques ou par visioconférence ? Les moyens par lesquels l’imitation vocale serait possible seront traités plus loin (cf. section 4.5, p. 126). Dans le même ordre d’idées, Markham (1997) apporte, à l’aide de nombreuses études, des éléments permettant de cerner l’acquisition des caractéristiques phonético-phonologiques des langues et dialectes. Le point central des arguments

Imitation Imitation gestuelle regard, démarche, posture, expressions faciales Imitation lexicale vocabulaire, grammaire, syntaxe ... Imitation vocale phonétique, phonologie

103

de Markham repose sur le postulat suivant : l’acquisition et l’utilisation des caractéristiques phonétiques et phonologiques passent par l’imitation. Il pose que :

Given that the acquisition of language involves an assimilation of input, resulting in cognitive structures which describe and can reproduce the input, either as a true copy or as a functionally equivalent rendering, acquisition is regarded in this thesis as being a strongly imitative phenomenon (Markham, 1997, p. 39).

L’imitation vocale faciliterait sur le plan articulatori-acoustique, l’apprentissage du vocabulaire dès le plus bas âge. Elle permettrait d’enrichir le réseau lexical et entrainerait souvent l’acquisition phonétique et phonologique (Hodges et al., 2015). Ainsi, les travaux sur la lecture répétée de Han & Chen (2010), sur les exercices des productions orales de Hamada & Koda (2010), sur l’écoute de modèles phonologiques de Webb & Chang (2012), sur la subvocalisation83

de Zahar et al., (2001) et sur le shadowing84

de Commander & Guerrero (2013) confirment tous les conséquences positives de l’alignement vocal. Pour conclure cette section, nous considérons l’imitation vocale comme étant tout processus de convergence au cours duquel des éléments liés à la voix sont « copiés » par un individu. Cette copie concerne les aspects phonétiques mais aussi phonologiques. Nous présentons la différence entre ces deux notions dans la section suivante.

4.3.2 Imitation phonétique et imitation phonologique

Nous venons de mettre en évidence ce qui distingue l’alignement général et l’alignement vocal ainsi que les éléments qui caractérisent ce dernier. Nous présentons au sein de section les deux types d’alignement vocal : phonétique et phonologique. Certains chercheurs, sur la base de la différence entre la phonétique et la phonologie (Vaissière, 2015, p. 21), font la distinction entre la convergence phonétique et la convergence phonologique (D’Imperio, Cavone & Petrone, 2014). Selon eux, la première concerne essentiellement les aspects physiques des sons, c’est-à-dire les consonnes et les voyelles, sans tenir compte du sens qu’ils portent. Quant à la seconde, elle se rapporte non seulement aux sons par rapport aux fonctions qu’ils remplissent au sein d’une langue donnée (c’est-à-dire qui permettent d’opposer deux sons - ex. /l/ - loue et /r/ - roue), mais recouvre également des aspects prosodiques (durée, intensité, accentuation, intonation d’un son). Par exemple, Markham (1997) a étudié la convergence phonétique chez les enfants et chez les adultes

83 Lecture silencieuse : les participants prononcent dans leur tête ce qu’ils écoutent tout en regardant le texte. 84 Répétition imédiatement suite à l’écoute d’un énoncé.

104

et a trouvé que le phénomène y est plus important chez les enfants. Il en déduit que le développement du système phonétique est distinct du système phonologique. D’après son étude, le système phonologique des adultes serait déjà établi, d’où la non-nécessité d’imiter et, de plus, il s’agit de leur L1. Les résultats d’une étude similaire dans un contexte de L2 auraient été intéressants. Kail (2015) soutient le postulat de Markham en suggérant que : « les bébés sont

meilleurs que les adultes pour acquérir une L2 parce que le processus d’engagement neuronal est incomplet » (p.42). Si l’école de Prague, représentée par Troubetzkoy (1939) insistait sur la

séparation entre la phonétique et la phonologie, Malmberg (1990) propose son point de vue :

Sans l’analyse linguistique des systèmes et des unités fonctionnelles, l’expérimentateur ne saurait que faire. Et sans l’analyse physique et physiologique de tous les faits de prononciation, le linguiste ignorerait la nature concrète des oppositions établies. Les deux genres d’études sont interdépendants et se complètent (p.110).

Nous partageons l’avis de Malmberg et estimons qu’effectivement, dans la parole courante, non seulement les aspects phonétiques sont d’une grande importance mais également les facteurs phonologiques, en particulier lorsque l’on parle de prononciation, et de surcroit, de l’accent. Il est fréquent de rencontrer des ambigüités dans la littérature puisque certains auteurs utilisent l’imitation phonétique pour englober les deux aspects alors que d’autres emploient plutôt le terme imitation phonologique. Ceci est dû au fait que les frontières ne sont pas totalement étanches comme nous venons de le voir. Pour éviter ce débat terminologique, des auteurs utilisent tout simplement les termes « imitation vocale » (Pardo et al., 2012), « imitation de parole » (Gregory, Dagan & Webster, 1997) ou « imitation verbale » (Over & Gattis, 2010 ; Hodges et al., 2015). Dans notre travail, nous utiliserons les expressions imitation « vocale » ou imitation « phonético- phonologique » pour englober les aspects phonétiques et phonologiques. Lorsque, pour des raisons de détail, ces deux phénomènes sont distincts, nous le préciserons (c’est-à-dire imitation phonétique ou imitation phonologique). Comme tout acte imitatif, la convergence vocale peut être volontaire (consciente) ou involontaire (inconsciente) et c’est ce que nous allons aborder dans la prochaine section.