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Le développement/ la destruction de la région, 1770-1840

I. L aube de conflits anglo-américains en Oregon, 1770-1842 1770-1842

I.1. La genèse de la question de l Oregon, 1770-1820

I.1.1.6. Le développement/ la destruction de la région, 1770-1840

Peu d’importance est accordée aux dégâts écologiques et aux conséquences du commerce de la fourrure sur les populations indigènes et sur l’écosystème de l’Oregon.

L’époque historique associée à la « conquête de l’Ouest » semble demeurer une période de croissance. Or, avant d’être une histoire de développement, le Nord-Ouest est une histoire de

159 James R. Gibson, Maritime Fur Trade, op.cit., p. 13.

160 James R. Gibson, Imperial Russia, op.cit., vii.

161 Richard W. Van Alsyne, The Rising American Empire, op.cit., p. 93.

162 Barry M. Gough, Distant Dominion, op.cit., p. 1.

163 Frederick Merk, Albert Gallatin and the Oregon Problem, A Study in Anglo-American Diplomacy (Cambrigde: Harvard University Press, 1950). p. 17.

164 Richard W. Van Alsyne, American Diplomacy in Action, op.cit., p. 560.

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destruction. La source principale du développement de la région a causé l’extermination des castors par la surexploitation de ces animaux à fourrure :

“While historians have heralded and vilified the fur trade for opening the region [the Pacific Northwest] to non-Indians, they have paid little attention to the effects of trappers on the land”.165

L’Oregon est l’histoire de la destruction des ressources naturelles et des populations locales.166 La population des castors avant l’arrivée des Européens est estimée à dix millions d’animaux167 et se réduit à quelques-uns à la fin des années 1840. De nombreuses sources témoignent de la destruction des castors :

“It might have been just a century ago, when the country was rich in furs; but as the present time, when the wild animals are completely swept away, the country ruined […]”.168

“In 1832 and up to 1838 there were constantly five or six hundred, but now that beaver is scarce, there are only about fifty”.169

Pour chasser, les trappeurs suivent les cours d’eau, le principal habitat des castors. Pour certains, les trappeurs ont permis le développement de l’Ouest, et pour d’autres, sa destruction :

“From Montreal in a great arc, the linking streams and lakes of the Canadian Shield provided a natural highway and at the same time the habitat of myriad fur-bearing animals”.170

Les castors ont une valeur insoupçonnable à cause de leur fourrure, d’où leur condamnation à une destruction imminente,171 surtout avec la politique d’extermination des

165 Jenifer Ott, «‘Ruining’ the Rivers in the Snake Country: The Hudson’s Bay Company’s Fur Desert Policy », Oregon Historical Quarterly (Summer 2003, Vol. 104, Number 2), p.166.

166 De Toqueville résume ainsi la lecture duale du développement/ destruction de l’Ouest en parlant de la destruction des tribus indiennes par les États-Unis: « On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité ». (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (Paris : le club français du livre, 1979), p. 217).

167 Harold A. Innis, op.cit., p. 4. Selon Innis, la population animale augmente à hauteur de 20% par an. Les animaux sont chassés pour leurs fourrures, et en outre, la destruction de leur habitat augmente leurs pertes.

168 Alexander Ross, The Red River Settlement, Its Rise, Progress, and Present State, with Some Accounts of the Native Races and its General History of the Present Day (London: Smith, Elder & CO, 1855), p. 220. Ross fait ce constat dès les années 1810.

169 B.223/e/4: Fort Vancouver, Report, 1845, Fo. 1.

170 Marjorie W. Campbell, op.cit., p.7.

171 Harold Innis, op.cit., p. 5.

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animaux à fourrures de la HBC en 1823-1841, qui vise à chasser le maximum de castors pour contrer la compétition américaine. 172

“The Indians were overjoyed when they found this band of white men intended to return and trade with them. They promised to use all diligence in collecting quantities of beaver skins, and no doubt proceeded to make deadly war upon that […] ill fated animal”.173

De plus, les trappeurs traquent les castors le long des rivières. Une fois les ressources à l’Est épuisées, ils poussent toujours plus vers l’Ouest, détruisant sur leur passage l’écosystème de la région nord-Amérique :

“With destruction in the easterly part of North America came the necessity of pushing to the westward and northwestward to tap new areas of more valuable furs”.174

De manière surprenante, l’explorateur Ross n’associe pas les développements de l’Ouest à un progrès, mais à une dévastation. Ross remet en doute l’idéal du pionnier nord-américain qui défriche une parcelle :

“When sitting on the lot, the occupier generally builds a log-hut, and sometimes cultivates a few roods of the land for his convenience, till he finishes destroying the timber; and this is what he calls his improvements, and what he claims remuneration for. Thus he is virtually paid, not for improving, but for destroying the lot! And yet the farce is carried still farther: the squatter may be on his second lot; the first, having become useless to him, is thrown away; nevertheless, the new comer has to pay him for his improvements”.175

1I..2. « Découverte » et vacuité, 1770-1820

Une découverte présuppose un espace, vide, à conquérir, dans la thématique de la colonisation euro-américaine, où s’emparer du sol est un principe d’expansion territorial. Pour justifier son appropriation des terres, l’explorateur « découvre » une terre « vide », c’est-à-dire dénuée d’habitants. Cet esprit conquérant n’est pas propre au Nord-Ouest mais s’inscrit dans l’attitude des explorateurs européens et dans leur vision ethnocentriste du monde. Dans l’usage du mot « découverte », sont inscrites toutes les représentations non-européennes de la

172 Jenifer Ott, « Ruining’ the Rivers in the Snake Country », Oregon Historical Quarterly, p.166.

173 Washington Irving, op.cit., p. 444.

174 Harold Innis, op.cit., p. 6.

175 Alexander Ross, Red River Settlement, op.cit., pp. 199-200.

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« sauvagerie ». Une région jusqu’alors inconnue du monde atlantique est « découverte » ou plutôt redécouverte.176 La région « découverte » doit être forcément dépourvue d’habitants et les ressources naturelles doivent correspondre aux attentes préalables et imaginées intellectuellement par les explorateurs et par le gouvernement qui finance l’exploration. Cette attitude peut expliquer l’animosité des colons vis-à-vis des tribus indiennes. Une fois que les colons s’approprient une région, toute occupation par un peuple non-européen est inconcevable. Cette notion de « vide » et d’ignorance caractérise l’attitude arrogante des Européens. Telle a été la surprise des premiers explorateurs de découvrir que les tribus indiennes ne sont pas novices dans l’art du commerce. Les colons justifient la conquête par la force et l’avancée technologique.