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Infériorité/ supériorité, 1770-1840

I. L aube de conflits anglo-américains en Oregon, 1770-1842 1770-1842

I.1. La genèse de la question de l Oregon, 1770-1820

I.1.2.3. Infériorité/ supériorité, 1770-1840

Ainsi, les Indiens sont des commerçants avisés.268 Les marchands européens se trouvent en position de faiblesse face à leurs techniques de vente, comme l’affirme Johnson :

“An Indian market is something like a Dutch auction; an inordinate price is put on everything at first, which descends gradually till a reasonable bargain is struck. The Indians are very keen bargainers, and very soon know the exact value of things, as well as the storekeeper himself”.269

Les Indiens connaissent la compétition commerciale entre les États-Unis et le Royaume-Uni et en tirent profit. Cela montre l’ignorance des marchands européens, car ceux-ci s’imaginaient être en position de force dans les échanges commerciaux avec les tribus :

“The first inquiry was, whether we were Boston or King George’s ships, by which term they distinguish Americans and English”.270

De plus, les tribus tirent avantage de la compétition entre les trappeurs, ce qui laisse entrevoir l’étendue du réseau de renseignement des nations indiennes :

“They also possess large sheath-knives, which they procure from the HBC, in exchange for furs, and from the same source they obtain blankets. For these articles the Company has a regular tariff of prices, which however, is not adhered to when a Boston ship arrives. The natives are sufficiently alive to the advantages they derive from competition, and boasted for articles that usually bring them only one”.271

I.1.2.3. Infériorité/ supériorité, 1770-1840

Dans la lignée de la conception du continent nord-américain en un espace vide, vacant, prêt à être colonisé, les populations locales sont perçues comme inférieures tandis que les Euro-américains sont supérieurs par leur civilisation et leur race.272

268 Shepard Krech III (ed.), Indians, Animals and the Fur Trade: A Critique of Keepers of the Game (Athens, Ca: University of Georgia Press, 1981), p. 49.

269 Byron R. Johnson, op.cit., p. 216.

270 Charles Wilkes, op.cit., p.20.

271 ibid., p.23.

272 Ce qui rejoint la théorie de l’évolution du naturaliste britannique Darwin, qui publie en 1859 The Origins of Species et les autres biologistes et anthropologues en racisme dit « scientifique » tels qu’Arthur de Gobineau, qui publie en 1855 Essais sur l inégalité des races humaines.

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I.1.2.3.1. Une supériorité d occupation

L’avancée des « découvertes » signe l’accroissement des rapports conflictuels avec les populations locales et la transformation de l’Ouest :

“A time when power relations between local societies and intrusive states were changing from negotiation to confrontation”.273

L’historien Francis Jennings, dans ses ouvrages The Founders of America et The Invasion of America, dresse un tableau remarquable sur le sort des tribus face à l’arrivée massive des colons. L’arrivée des colons par bribes ou en masse a les mêmes conséquences néfastes sur les populations locales : l’intrusion initiale se transforme inexorablement en domination.274 Le Nord-Ouest reste une région peuplée par les Indiens jusqu’aux premières vagues d’immigration de 1841.275 Selon Jennings, les Américains dépouillent les Indiens de leurs terres, car les Indiens ne sont pas jugés dignes d’occuper l’espace.276

“The savage creatures of the wilderness, being unable to adapt to any environment other than the wild, stubbornly and viciously resisted […] fate, and thereby incurred their suicidal extermination; that civilization and its bearers were refined and ennobled in their contest with the dark powers of the wilderness; and that it was inevitable”.277

Les Euro-américains justifient cette appropriation des terres dans la mesure où les tribus n’ont pas « dompté » leur environnement.278 D’après la conception d’un continent vide et qui n’appartient à personne, les colonisateurs tendent à percevoir leurs développements en une amélioration puisqu’ils transforment une terre laissée à l’abandon en un jardin fertile.279 La wilderness est un frein au progrès ; et donc à la « civilisation ».280 Cette conception repose sur le fait que toutes les tribus d’Amérique du Nord sont considérées comme nomades et n’occupent pas de territoire. Cette conception tant plébiscitée par Turner et par son disciple Walter Prescott Webb oppose les parties colonisées du continent et les zones « vacantes ».

Malgré les centaines de tribus d’indiens du continent, les colons utilisent seulement le référent unique « Indien ». Cette appellation générique transcrit un assujettissement. Par exemple, le

273 Richard White et John M. Findlay (ed.), op.cit., p. 23.

274 Francis Jennings, The Founders of America, op.cit., p. 311.

275 ibid., p. 346.

276 ibid., p. 336.

277 Francis Jennings, The Invasion of America, op.cit., p. 15.

278 ibid., p. 82.

279 John C. Weaver, op.cit., p. 135.

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capitaine américain Charles Wilkes, dans Life in Oregon before the Emigration, ne précise jamais le nom de la tribu qu’il rencontre et parle toujours « d’Indiens ». Cette terminologie véhicule l’impérialisme euro-américain.

Les tribus sont perçues comme indolentes281 ; ainsi elles ne méritent pas d’occuper leurs terres puisqu’elles les laissent à l’abandon en ne cultivant pas :

“Indeed, whenever an Indian of the upper country is too lazy to hunt yet is fond of good living, he repairs to the Falls to live in abundance without labor”.282

“The abundance of numerous roots which though they would not satisfy an European stomach to indulge their [sic] the natives content themselves with rather than labor to procure better —and the abundance of salmon which in short makes them perfectly independent of us for the means of procuring subsistence and the climate is so mild that the only covering they use is a Rat Skin Blanket”.283

Comme nous l’avons montré précédemment, la « conquête de l’Ouest » est une conquête victorieuse du continent. La Frontière est le lieu de transformation d’un gâchis désertique en un paradis civilisé.284 Comme le mentionne de Crèvecœur, les pionniers sont les agents de la civilisation : à force de travail, les pionniers défrichent des parcelles de terres et cultivent ensuite l’espace, ce qui sonne le triomphe de la civilisation sur la barbarie.285 De la même manière que le chasseur doit céder la place à l’agriculteur, l’Indien partage ce même sort, il doit partir pour laisser un peuple « supérieur » occuper et valoriser les terres :

“The Indian must have given up his hunting grounds and contented himself with progress into civilized life”.286

I.1.2.3.2. Une supériorité raciale

Les Euro-américains justifient l’appropriation des terres en prétendant que les peuples qui l’habitent sont dénués de qualités humaines. L’idéologie expansionniste propage des

280 Roderick Nash, op.cit., p. 40.

281 Paul B. Rich, Race and Empire in British Politics (Cambridge: Cambridge University Press, 1990), p. 12.

282 Washington Irving, op.cit., p. 262.

283 B.223/e/1: Vancouver Report, 1826-1827, Fo. 1.

284 Frederick L. Paxson, op.cit., p. 1.

285 J. Hector St John de Crèvecœur, op.cit., p. 54.

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stéréotypes négatifs et désobligeants pour les populations autochtones qui sont souvent considérées comme non-humaines :

“[…] the Frontier became identified as a combat zone in white minds […] and the various tribal peoples continued to be considered ‘Indian’ by white policy makers and settlers alike. Similarity, English and Americans in aggregate became a single oppressive entity in Indian relations […]. Historians came to see the Indian as being on one side and the whites on the other”.287

Même Howard Holman, un historien de renom, explique l’échec des efforts missionnaires dans le Nord-Ouest en s’appropriant la théorie des Indiens comme sous-espèce humaine :

“The failure to convert the Indians was because they were Indians. Their language was simple and related almost wholly to material things. They had no ethical, no spiritual words.

They had no need for such. They had no religion of their own, worthy of the name, to be substituted for a better or a higher one. They had no religious instincts, no religious tendencies, no religious traditions”.288

L’idée que les tribus sont « sauvages » alors que le monde atlantique est « civilisé » perdure et sert de justification à cette conquête jusqu’au XIXe siècle :

“Although the ideologists of conquest can no longer evoke admiration for holy wars […]. In it the Christian Caucasians of Europe are not only holy and white but also civilized, while the pigmented heathens of distant lands are not only idolatrous and dark but savage”.289 Cette conviction de supériorité stipule qu’une autorité doit dominer, et ce sont les valeurs euro-américaines.290 Les tribus deviennent un obstacle à surmonter dans la marche vers l’Ouest au même titre que des moyens de transports rudimentaires ou une chaîne de montagne :

“[…] the decline of the Indians drew upon and contributed to a racist ideology justifying subordination, dispossession, or even elimination of nonwhite peoples. Indians, especially, became the popular prototype of the inferior breed […]”.291

286 Frederick L.Paxson, op.cit., p. 15.

287 Howard Lamar et Leonard Thompson, op.cit., p. 17.

288 Frederick V. Holman, Dr. John McLoughlin, the Father of Oregon (Cleveland, Ohio: The Arthur H .Clark Company, 1907), p. 60.

289 Francis Jennings, The Invasion of America, op.cit., p. 6 (italique dans le texte).

290 John C. Weaver, op.cit., p. 135.

291 Thomas R. Hietala, op.cit., p. 134.

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La tradition orale des tribus exacerbe la dichotomie civilisation-barbarie. En effet, les colons transposent dans le nouveau monde leur jugement de valeur. La grandeur d’une civilisation se trouve dans l’écriture, qui a permis la conservation d’œuvres littéraires depuis l’Empire romain. En comparaison, la culture orale des Indiens de l’Amérique du Nord semble bien désuète et montre, du point de vue des colonisateurs, l’infériorité des tribus :

“There is probably no race in the world whose antecedents have created so much speculation as the aborigines of North America; […]. Of records these are none, and even the traditions of the various tribes seem to extend no further back than the last war with their neighbors”.292

292 Byron R. Johnson, op.cit., p. 83.

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