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CHAPITRE 6 ANALYSE ET DISCUSSIONS

6.1 Un modèle d’explication

6.1.3 Le contexte institutionnel au cœur de la démarche

Le choix des valoristes d’entreprendre de façon informelle est aussi dû à une défaillance institutionnelle. En effet, la lenteur dans les démarches administratives comme explication au choix du secteur informel a été mis en lumière en premier par de Soto (2007). Il explique que certains citoyens choisissent de ne pas déclarer leurs biens car l’obtention des documents est trop lente. De Soto discute ici de la lenteur des démarches pour officialiser. Dans le cas des valoristes, la lenteur des démarches administratives est la cause du choix d’entreprendre l’activité et, aucun ramasseur n'ayant formalisé son activité à ce jour, la lenteur des démarches d’officialisation n’a pu être évaluée. Une comparaison peut toutefois être proposée car chacune aboutit à la même conséquence : le choix du secteur informel. Alors que les aides sociales sont nombreuses au Québec, y avoir accès est compliqué et l’obtention d’avantages peut être lente. Les citoyens se retrouvant alors à vivre avec soit moins de ressources financières soit des dépenses plus importantes que s’ils avaient obtenu les aides des programmes sociaux. Leur situation ne leur permettant pas de subvenir à leurs besoins, ils entreprennent l’activité de collecte de façon immédiate. Cependant, dès lors que les démarches administratives aboutissent et qu’ils obtiennent leurs avantages sociaux, certains ramasseurs vont arrêter l’activité. Puisque l’exercice de la collecte peut s’arrêter soudainement, il n’est pas intéressant pour eux de formaliser leur activité.

6.1.3.2 Les perceptions négatives des politiques publiques par certains valoristes

Alors que la lenteur des démarches administratives est une défaillance, les autres facteurs relevés sont issus des perceptions des valoristes des politiques publiques. À leurs yeux, le système de santé

québécois et les programmes d’aide sociale connaissent des limites. Comme cause au choix d’informalité, Williams et Youssef (2013) ont étudié les motivations des entrepreneurs anglais informels voulant le rester, deux résultats, entre autres, en sont ressortis : l’intermittence des revenus et la peur de perdre des avantages sociaux. Cette dernière assertion a également été proposée par Sinclair-Desgagné (2013) : les entrepreneurs choisiraient le secteur informel lorsque les possibilités d’obtenir un revenu parallèle sont intéressantes.

En effet, le système de sécurité sociale québécois semble être problématique. Beaucoup de valoristes ont des problèmes de santé importants, ils doivent alors payer des soins de santé. Ils ont droit au Régime d’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) mais celui-ci ne prend pas en charge tous les frais, comme ceux dentaires et d’ophtalmologie. Si les valoristes veulent pouvoir débourser moins d’argent dans leur frais de santé, ils doivent alors prendre une assurance privée. N’ayant pas toujours les ressources financières pour, ils sont contraints de payer leurs soins plein frais lorsqu’ils en ont besoin. Ils collectent alors les contenants pour gagner assez d’argent pour pouvoir se les offrir. Pour certains, dès lors qu’ils n’ont plus besoin de payer des soins, ils arrêtent l’activité. Ainsi, pour la même raison qu’évoquée ci-dessus, le choix du secteur informel est pertinent dans ce cas.

Il semble aussi que les programmes d’aide sociale imposent des conditions d’éligibilité particulières, ce qui influence le choix du ramasseur à, à la fois entreprendre l’activité et rester dans l’informalité. En effet, les montants attribués sont choisis en fonction des conditions de précarité du citoyen. Cela peut entraîner le démarrage de l’activité de collecte par les valoristes car, lorsque le montant n’est pas assez élevé pour subvenir à ses besoins, le valoriste ramasse les contenants. Au contraire, certaines aides requièrent des conditions d’éligibilité aussi simple que l’âge du citoyen (bien que des conditions de rentes s’appliquent également). Lorsque celles-ci apparaissent, certains valoristes ont alors assez d’argent pour arrêter l’activité. Ainsi, pour la même raison citée dans les paragraphes précédents, le choix du secteur informel est préférable. Les conditions d’éligibilité aux programmes d’aide sociale sont également basées sur les revenus des citoyens. Dans le cas des valoristes, leur revenu supplémentaire est issu d’un don de contenants consignés acquis grâce à la collecte. S’ils les déclarent, ils risquent d’avoir un revenu trop élevé pour être éligibles aux aides sociales. Cependant, ces revenus issus de l’activité ne combleraient pas forcément les aides. Ainsi, dans la peur de perdre ses bénéfices sociaux, le ramasseur va préférer

ne pas déclarer son activité. Cette explication valide la proposition de Sinclair-Desgagné (2013) dans le cas particulier du Québec et des aides sociales proposées.

La lenteur dans les démarches administratives et la perception négative des certains valoristes du système de santé québécois et des programmes d’aide sociale expliquent leur choix à entreprendre dans le secteur informel, suivant ainsi les trois propositions de de Soto, Williams et Youssef, et Sinclair-Desgagné. Pour plus de clarté, le processus de choix du secteur informel résultant des institutions est détaillé dans le schéma 6.2.

Aussi, ces défaillances sont source de perte de confiance envers les institutions. Les valoristes savent que les aides financières sont issues des gouvernements mais, face aux quatre limites identifiées ci-dessus, ils choisissent de se débrouiller par eux-mêmes et donc d’entreprendre dans le secteur informel. Cette explication a pu être observée également dans d’autre études de cas comme celle de Toledo Orozco & Veiga (2018). Puisque les valoristes ont l’impression de ne plus avoir foi dans les gouvernements, il serait légitime de penser que l’activité de collecte des contenants consignés s’imbrique dans le cercle vicieux de l’économie informelle décrit par Light (2013), qui peut être défini comme suit. Suite aux défaillances du gouvernement, certains citoyens vont perdre confiance en eux et décider de trouver leurs propres solutions. La demande en biens proposés par le secteur formel va alors baisser pour augmenter celle en biens informels. L’économie informelle va alors commencer à influencer négativement l’économie du pays en question. Pour résoudre le problème, des politiques rigoureuses seront mises en place pour tenter d’éradiquer les entreprises informelles. Face à cette situation, beaucoup d’entrepreneurs se retrouveront alors sans travail et le niveau de pauvreté augmentera. Le gouvernement devra alors être plus tolérant, ce qui engendrera à nouveau la création d’entreprises informelles. L’activité de valoriste est en effet issue d’une perte de confiance dans l’État canadien et le Québec et, face aux recettes avantageuses de l’activité, de plus en plus de citoyens en situation précaire décident de ramasser les contenants. Toutefois, l’activité est particulière et il n’existe pas de demande officielle pour les contenants consignés. Ainsi, le ramassage n’affectera pas l’économie du pays à première vue. Ceci est en adéquation avec le fait que lorsqu’une activité est entreprise par nécessité, elle n’a aucun effet sur l’économie (Acs & Varga, 2005). Cette assertion sera toutefois discutée dans la partie 6.2.2.