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CHAPITRE 5 ÉTUDE DE CAS : LA COOPÉRATIVE LES VALORISTES

5.4 Le choix du secteur informel par les valoristes

5.4.2 Des facteurs explicatifs externes

La collecte de contenants consignés effectuée par les valoristes montréalais pour obtenir un revenu est entièrement informelle. Cela peut s’expliquer par certains facteurs externes comme la légalité de l’activité, le peu d’alternatives qui s’offrent à eux, une situation financière inadéquate à la formalisation de l’activité et un quotidien propice à l’instabilité.

Tout d’abord, l’activité entreprise par les valoristes est différente des autres activités informelles. L’activité de collecte des contenants consignés s’imbrique dans le système de consignation et est légale. En effet, elle est une déformation du système actuel et ne doit pas être taxée car l’a déjà été lors de l’achat des contenants consignés pleins. Lors du flux des contenants vides, la première étape est le retour des contenants consignés vides par les citoyens aux détaillants. Or, il arrive qu’ils ne les rendent pas mais les laissent soit dans leurs poubelles soit hors de leurs foyers. Dans ce cas, les valoristes vont alors récupérer les contenants et les retourner eux-mêmes aux détaillants. Ce transfert n’est qu’une étape de plus, non prévue initialement dans le système. En laissant les valoristes rendrent les contenants vides à leur place, les citoyens choisissent en réalité de leur faire un don financier. De plus, lors de l’achat des contenants consignés pleins, les citoyens paient les taxes de vente provinciale (TPS) et celle de vente du Québec (TVQ). Seule cette étape nécessite d’être taxée dans le système de consignation. Ainsi, si les valoristes n’ont pas à payer de taxes sur leur activité. En ce sens, l’activité de collecte est légale et ne nécessite pas d’être formalisée.

Alors que le Québec est en situation de plein emploi, certains répondants à notre étude ont également mentionné la difficulté à trouver un emploi car ils ne pouvaient pas exercer tout type de métier à cause de leur « santé qui [ne] veut pas ». Certains valoristes ont des difficultés à en trouver un, ce qui ne laisse pas d’alternative autre que d’entreprendre dans le secteur informel. Entre autres, beaucoup de ramasseurs ont des soucis de santé majeurs qui réduisent leur employabilité. Lorsque Bordeleau a interrogé des valoristes montréalais, 62% d’entre eux n’étaient pas employables à cause de problèmes de santé (Bordeleau & Batellier, 2015). Ainsi, seuls les métiers les moins physiques leurs sont proposés. Souvent des emplois assis et de bureautique, ils ne sont pas adéquats à leurs compétences. La plupart de ces emplois requièrent maintenant des connaissances en informatique. Âgés en moyenne de plus de cinquante ans, les ramasseurs n’ont généralement pas été formés en informatique durant leur jeunesse. Ils émettent des difficultés à travailler dans ce domaine, ne pouvant pas « s’engager [dans des emplois] en informatique » car ils ne sont pas assez performants dans le domaine et auraient donc « de la misère2 » à produire un travail correctement. Ainsi, ils n’ont d’autre choix que d’entreprendre une activité informelle.

Également, leurs conditions de vie sont précaires et ils dépendent des aides sociales des gouvernements. Celles-ci connaissent des limites, telles leur montant et leurs conditions d’éligibilité. Et, lorsqu’il est question d’optimiser les revenus et les dépenses, l’activité de ramassage de contenants ne vaut pas toujours le coup d’être formalisée. En effet, les valoristes ne travaillant pas officiellement sont récipiendaires d’aides sociales fournies par le Gouvernement du Québec – correspondants à un peu plus de six cents dollars canadiens pour un adulte en situation régulière (Ministère du Travail de l'Emploi et de la Sécurité sociale, 2019). Les plus âgés (plus de soixante ans) sont également éligibles à d’autres aides financières comme la Rente de Retraite délivrée par le Gouvernement du Québec s’ils ont travaillé au moins un an (Gouvernement du Québec, 2018) et, pour ceux ayant plus de soixante-cinq ans, à la Pension de la Sécurité de vieillesse du Gouvernement du Canada (Gouvernement du Canada, 2018). Certaines aides sont également prévues pour le logement, comme celle du Supplément au loyer qui propose, sous certaines conditions, de loger des citoyens en situation précaire à faible coût (Société d'Habitation du Québec, 2019). Toutes ces aides ont été mises en place pour que les citoyens canadiens en

difficulté financière puissent subvenir à leurs besoins quotidiens en attente de trouver un travail. Dans le cas des personnes non-employables, celles-ci ne sont pas suffisantes. Ceux effectuant la collecte ont entrepris cette activité car elle leur permet de « payer de la bouffe, de la bière, […] des petites affaires […] [qu’ils ne peuvent pas se] permettre parce qu’[ils n’ont] pas assez d’argent ». Face à cette situation qui est hors de leur contrôle et qui leur procure un pouvoir d’achat restreint, les ramasseurs se voient dans l’obligation de collecter des contenants consignés en vue d’un revenu supplémentaire. Alors que cette activité pourrait être entreprise dans le secteur formel, ces derniers refusent car cela réduirait leurs revenus: celui-ci encourrait la perte de ses aides sociales. La déclaration d’un revenu par le ramasseur pourrait le rendre non-éligible à certaines aides financières, il se verrait alors avec des revenus moindres que dans sa situation actuelle. Ainsi, dû à des aides financières limitées et à des conditions d’éligibilité strictes par les programmes d’aide sociale, il n’est pas dans l’intérêt du valoriste montréalais de formaliser son activité s’il veut conserver a minima ses conditions de vie.

Ainsi, le choix du secteur informel semble la meilleure solution pour les valoristes à plusieurs égards. D’une part car l’activité est légale et ne nécessite donc pas d’être déclarée, d’autre part car certains n’ont aucune autre alternative que celle d’entreprendre une activité dans l’informalité. Enfin, une autre explication est les programmes d’aide sociale avec leurs conditions d’éligibilité strictes et les montants versés parfois inadéquats, qui pourraient disparaître si le valoriste officialisait son activité.