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Chapitre 2 : Une rencontre méthodologique entre l’autoethnographie et la recherche-

2.3 Articulation médiatique

2.3.1 Le circuit de la culture

Le circuit de la culture élaboré par Paul du Gay, Stuart Hall, Linda Janes, Hugh Mackay et Keith Negus (1997) permet, entre autres choses, d’articuler une réflexion sur la représentation comme processus cinématographique. Dans le cadre de cette recherche-création, le circuit de la culture propose une méthodologie enrichissante afin d’aborder les films du corpus et de les reconnaître comme objets culturels. Du Gay et al. arguent qu’un objet culturel donne un « aperçu » des pratiques sociales et des signifiances communes (shared meanings) à une culture. Cet objet permet de faire sens d’un quotidien, mais aussi des codes culturels partagés entre individus et groupes sociaux. En développant le concept du circuit de la culture, du Gay et al. permettent de comprendre comment le sens est encodé à l’objet, mais aussi comment il circule dans les pratiques sociales. Tout d’abord, les auteur.es rappellent que le circuit de la culture correspond à une série de moments relativement autonomes, mais articulés. De plus, chaque moment étudié est articulé avec les moments suivants (du Gay et al., 1997, p. 4).

Richard Johnson a d’ailleurs contribué à l’élaboration de certaines bases, qui ont été récupérées par du Gay et al. Ici, l’auteur mentionne un premier circuit qui relie la production, la circulation et la consommation d’un produit culturel :

The diagram is intended to represent a circuit of the production, circulation and consumption of cultural products. Each box represents a moment in this circuit. Each moment or aspect depends upon the others and is indispensable to the whole. Each, however, is distinct and involves characteristic changes of form. It

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follows that if we are placed at one point of the circuit, we do not necessarily see what is happening at others. (Johnson, 1986-1987, p. 46)

Il est important de rappeler que l’articulation est centrale au circuit de la culture, qui sera par la suite développé par du Gay et al. D’une part, elle reconnaît l’existence unique et entière de chaque moment. Toutefois, par l’articulation de ces moments se produit une relation contextuelle et évolutive – processuelle, même. Ce sont ces liens qui permettent d’articuler un discours soumis à des conditions ou à des structures de pouvoir sociales, sans non plus s’y restreindre. Dans cette conceptualisation de l’articulation au sein du circuit de la culture, Slack mentionne que l’articulation est :

[…] not just a thing (not just a connection) but a process of creating connections, much in the same way that hegemony is not domination but the process of creating and maintaining consensus or of co-ordinating interests. (Slack, 1996, p. 115)

L’auteure poursuit en évoquant le fait que l’articulation devient le signe de nouvelles possibilités, de différentes façons de mettre en relation des éléments de positionnement social ou culturel.

However, articulation works at additional levels: at the levels of the epistemological, the political and the strategic. Epistemologically, articulation is a way of thinking the structures of what we know as a play of correspondences, non-correspondences and contradictions, as fragments in the constitution of what we take to be unities. Politically, articulation is a way of foregrounding the structure and play of power that entail in relations of dominance and subordination. Strategically, articulation provides a mechanism for shaping intervention within a particular social formation, conjuncture or context. (Slack, 1996, p. 113)

L’articulation permet le déplacement de sens, où la connotation est un processus de négociation en soi, étroitement associé aux rapports de pouvoir culturels. J’ai d’ailleurs mobilisé l’articulation à plusieurs moments de ma thèse-filmique, sans me restreindre au circuit de la culture. J’y reviendrai notamment lors du troisième chapitre, dans lequel je me pencherai sur l’articulation des différences et des rapports de force qui se sont manifestés tout au long de ce projet.

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Afin d’intégrer le circuit de la culture à ma méthodologie, j’ai choisi d’aborder chacun de ses moments pour par la suite approfondir leurs articulations dans le contexte québécois. Tel que mentionné précédemment, le moment de représentation constitue un moment de construction de sens par l’entremise d’une représentation. Cette notion, approfondie dans le chapitre 1, fait notamment référence au régime de la représentation, au fait que des images sont porteuses d’un sens qui réfère à l’imaginaire collectif. Le moment de production, quant à lui, témoigne d’une mobilisation de moyens, de codes et de discours afin de mettre en place une représentation s’inscrivant dans ce que du Gay (2006) appelle la « culture de production ». Du Gay et al. arguent que l’analyse de la production d’un artéfact culturel permet non seulement d’en comprendre la production technique, mais également de comprendre comment cet objet est produit culturellement : « […] how it is made meaningful – what we term ‘encoded’ with particular meanings – during the production process » (du Gay et al., 1997, p. 4). De plus, du Gay affirme que la production d’artéfacts culturels ne peut être :

[…] divorced from economic processes and forms of organization. At the same time as making this point, however, we have also been keen to indicate that the production of culture cannot be reduced to a question of ‘economics’ alone. Processes of production are themselves cultural phenomena in that they are assemblages of meaningful practices that construct certain ways for people to conceive of and conduct themselves in an organizational context. These are the cultures of production referred to in the title of this book. (du Gay. 2006, p. 7)

De plus, Caldwell renchérit sur cette affirmation en mentionnant que les producteurs culturels : […] are cultural expressions and entities involving all of the symbolic processes

and collective practices that other cultures use: to gain and reinforce identity, to forge consensus and order, to perpetuate themselves and their interests, and to interpret the media as audience members (Caldwell, 2008, p. 2).

Cette discussion me permet, parallèlement, de penser la culture de production comme une inscription dans une signification culturelle et industrielle; j’y reviendrai sous peu.

Le moment d’identité retrouvé au sein du circuit de la culture consiste à saisir comment un objet culturel construit les identités qui y sont rattachées par la rencontre qui s’opère dans le

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circuit de la culture. Une distinction se produit dans la conception de « moi » et de « l’Autre », rendue possible notamment par la rencontre entre ce moment et le moment de représentation (mais également avec les autres moments du circuit). Quant à elle, Woodward argue que les identités sont produites, consommées et régulées à l’intérieur du circuit de la culture, elles « […] create meanings through symbolic systems of representation about identity positions which we might adopt » (Woodward, 2002, p. 2). La notion de différence permet l’émergence d’une identité, puisque c’est grâce aux distinctions entre le « je » et « l’Autre » que l’identité prend son sens. Toutefois, il importe de ne pas chercher à fixer ce concept mais plutôt d’y réfléchir comme un processus continu de transformation :

The concept of identity deployed here is therefore not an essentialist, but a strategic and positional one. That is to say, directly contrary to what appears to be its settled semantic career, this concept of identity does not signal that stable core of the self, unfolding from beginning to end through all the vicissitudes of history without change; the bit of the self which remains always-already 'the same', identical to itself across time. Nor - if we translate this essentializing conception to the stage of cultural identity - is it that 'collective or true self hiding inside the many other, more superficial or artificially imposed “selves” which a people with a shared history and ancestry hold in common' (Hall, 1990) and which can stabilize, fix or guarantee an unchanging 'oneness' or cultural belongingness underlying all the other superficial differences. It accepts that identities are never unified and, in late modern times, increasingly fragmented and fractured; never singular but multiply constructed across different, often intersecting and antagonistic, discourses, practices and positions. They are subject to a radical historicization, and are constantly in the process of change and transformation. (Hall, 1996, p. 4)

Un quatrième moment du circuit se développe suite à cette réflexion sur l’identité : le moment de consommation. Ce moment suggère que le faire sens (meaning-making) est un processus continu au centre du circuit et, alors que la production tente d’encoder le sens dans un objet culturel, que la représentation tente de le fixer et que l’identité en émerge, la consommation permet l’implication active des « utilisateurs/trices/spectateurs/trices » dans l’intégration de l’objet culturel dans leur quotidien (du Gay et al., 1997, p. 5).

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Finalement, le moment de régulation vient clore le circuit (Hall, 1997b). Ce moment vient inscrire le circuit de la culture dans un contexte plus large. En considérant entre autre la culture comme une industrie, de par son produit (objet culturel) qui se consomme, il importe de considérer que : « […] the market itself regulates. It allocates resources, rewards efficiency and innovation, punishes inefficiency and lack of innovation, and above all, as we noted above, creates winners and losers » (Hall, 1997b, p. 229). Il est possible d’observer cette régulation à travers notamment l’industrie cinématographique québécoise. En effet, tel que mentionné en introduction de mon documentaire par le directeur des Rendez-vous du cinéma québécois, Dominique Dugas : « Le cinéma, c’est deux choses. C’est d’abord et avant tout une industrie, c’est un produit de consommation mais c’est aussi une façon de s’exprimer, donc une démarche artistique, donc c’est aussi une forme d’art » (Dugas, 2015). Pour Hall, ce constat provoque des questionnements sur les relations de pouvoir en place autour de la culture :

What is the relationship between ‘culture’ and other forces which exert a controlling, shaping or determining force over culture? Is it primarily politics, the economy, the state, the market which is the determining factor in relation to culture? Is it the state which, through legislative policies, determines the shape of culture? Or is it economic interests or market forces whose ‘hidden hand’ is really determining the patterns of cultural change? Is it the legislators, the moral guardians or the ‘ruling classes’ who determine the switch from one mode of regulation at a certain period to another […]? What forces should exercise cultural regulation? (Hall, 1997b, p. 227)

Dans le cas de l’industrie cinématographique québécoise, cette régulation peut se constater notamment par la reconnaissance sociale et culturelle d’un film dans son contexte : par les remises de prix et les articles de journaux, ou encore par les pratiques de subventions et de financement cinématographiques. En effet, le financement de futurs projets cinématographiques dépend, en partie, d’une certaine reconnaissance du travail précédent. En outre, tel que le mentionne Sylvain Corbeil dans mon documentaire, c’est cette reconnaissance qui contribue aux

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développements des liens entre producteurs/trices et réalisateurs/trices et qui permet à une relève artistique de joindre les rangs professionnels.