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Chapitre 3 : Articulations interpersonnelles et intermédiales; une exploration des relations

3.1 Introduction

Tel qu’exploré lors du chapitre 2, ce projet repose sur un sentiment d’appartenance/différence qui nourrit l’exploration que je fais de ma propre identité. Pour cette raison, je propose d’entamer ce dernier chapitre par l’exploration critique des relations de pouvoir entre les intervenant.es et moi-même dans la tradition de la démarche autoethnographique et de l’histoire orale. Dans le chapitre qui suit, je m’intéresserai aux diverses rencontres présentes dans ce projet : les rencontres méthodologiques, intermédiales, interpersonnelles, conceptuelles et émotives. Je m’intéresse d’une part à la dimension de pouvoir soutenue dans les « rencontres » avec les intervenant.es, mais aussi dans un exercice de recherche et de transformation, comme le documentaire. Finalement, d’importantes questions se sont manifestées au fil du projet, par exemple : « comment donner la parole à l’autre? » (Nichols, 1985).

De plus, je considère qu’il est nécessaire de tenir compte de l’impact des émotions sur la recherche puisque, tel que le mentionne Sullivan :

It now seems that the non-linear relationship between sensory experience of the world and the neutral networks puts in place a sequence where emotional responses precede more rational reasoning. In other words, “we begin to respond emotionally to situations before we think them through” (Barry, 1997, p. 18 emphasis in the original). (Sullivan, 2010, p. 130)

Ce constat est intimement lié à la méthodologie de ma recherche-création tout comme à la conception du « documentaire » comme pratique cinématographique. C’est-à-dire que l’appareillage entourant la rencontre, qu’il soit technique ou théorique, affecte les processus techniques et interpersonnels. De plus, le genre documentaire ne peut prétendre exister en dehors de ces relations de pouvoir :

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There is no such thing as documentary – whether the term designates a category of material, a genre, an approach, or a set of techniques. This assertion – as old as fundamental as the antagonism between names and reality – needs incessantly to be restated despite the very visible existence of a documentary tradition. In film, such a tradition, far from undergoing a crisis today, is likely to fortify itself through its very recurrence of declines and rebirths. The narratives that attempt to unify/purify its practices by positing evolution and continuity from a period to the next are numerous indeed, relying heavily on traditional historicist concepts of periodization. (Trinh T., 1991, p. 29)

Trinh T. développe cet argument en retournant au fondement de la pratique documentaire, qui avait comme objectif d’informer le peuple (en référence à Vertov et ses films Kino-Pravda ou Camera-Truth). Se faisant, le cinéma documentaire s’imposait contre l’industrie du divertissement. Trinh T. affirme qu’ainsi, le documentaire s’est défini comme un médium idéal d’endoctrinement :

[…] whose virtues lay in its capacity for “observing and selecting from life itself,” for giving cinema “power over a million and one images,” as well as for achieving “an intimacy of knowledge and effect impossible to the shimsham mechanics of the studio and the lily-fingered interpretation of the metropolitan actor” (John Grierson). Asserting its independence from the studio and the star system, documentary has its raison d’être in a strategic distinction. It puts the social function of film on the market. It takes real people and real problems from the real world and deals with them. (Trinh T., 1991, p. 33)

Cette critique de Trinh T. est fondamentale puisqu’un des dangers du documentaire est de s’approprier une « réalité » et la transformer en « vérité » au moyen des codes formels du cinéma. En plaçant l’autoethnographie au centre de ma démarche, j’ai cherché à éviter cette dogmatisation cinématographique en stimulant des moments d’autoréflexion. Toutefois, il importe de reconnaître une dimension persuasive à mon documentaire, résultat directement lié à ma démarche autoethnographique, qui contribue à me situer en tant que chercheure et réalisatrice. Bien sûr, mon film correspond malgré tout à la catégorie du film documentaire, ce qui peut nous amener à la question des « genres » de documentaire.

Nichols parle de six formes de documentaires permettant de répondre aux codes et conventions du cinéma. Bien entendu, il n’y a pas de science exacte délimitant ce qu’est un

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documentaire, ni combien de « genres » existent au sein de ce genre cinématographique. Cela étant dit, je me suis intéressée au documentaire autoréflexif ainsi qu’au documentaire « performatif » de Nichols, qui semblent tous deux davantage correspondre à ma propre démarche documentariste. Ces catégories soulèvent des considérations épistémologiques et politiques importantes quant à la position située (Haraway, 1988) et au caractère persuasif du documentaire. En effet, ces formes documentaires, plus spécifiquement le documentaire performatif :

[…] raises questions about what is knowledge. What counts as understanding or comprehension? What besides factual information goes into our understanding of the world? Is knowledge best described as abstract and disembodied, based on generalizations and the typical, in the tradition of Western philosophy? Or is knowledge better described as concrete and embodied, based on specificities of personal experience, in the tradition of poetry, literature, and rhetoric? Performative documentary endorses the latter position and sets out to demonstrate how embodied knowledge provides entry into an understanding of the more general processes at work in society. (Nichols, 2001, p. 130-131)

Inévitablement, ces questions se sont manifestées tout au long de mon processus, et le constat de Nichols contribue à la reconnaissance de mon documentaire comme performatif. D’ailleurs, je considère que le documentaire autoethnographique peut être compris dans cette catégorie, que Nichols décrit ainsi :

These new self-reflexive documentaries mix observational passages with interviews, the voice-over of the film-maker with intertitles, making patently clear what has been implicit all along: documentaries always were forms of re- presentation, never clear windows onto « reality »; the film-maker was always a participant-witness and an active fabricator of meaning, a producer of cinematic discourse rather than a neutral or all-knowing reporter of the way things truly are. (Nichols, 1985, p. 260)

Cette forme d’expression documentaire permet, selon moi, une grande réflexivité qui ne cherche pas à fixer le sens mais plutôt à le réfléchir et à l’explorer de façon pluridimensionnelle. Ce genre de documentaire permet plusieurs rencontres qui produisent, en soit, une appréhension critique d’un même sujet. Plus spécifiquement, je m’intéresse aux enjeux de pouvoir ainsi qu’aux enjeux

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affectifs impliqués dans les rencontres interpersonnelles, intersubjectives et intermédiales déployées dans ma recherche. Ces considérations me permettent de tisser des liens entre la réflexion sur la voix et le pouvoir, à savoir qui parle? Au nom de qui?