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LE CALME AVANT LA TEMPETE

Dans le document LE FILS PARALLELE, Lionel LANGLEUR (Page 147-153)

« David, je suis heureux que tu aies accepté ma proposition. J’ai vraiment besoin de main-d’œuvre supplémentaire au bureau pour aider Sophie, ma secrétaire. Crois-moi, tu ne seras pas de trop ! »

Les études de David ne lui permettaient pas d’avoir un poste à responsabilités ou de gérer personnellement des affaires, mais il était tout à fait apte à seconder Sophie. C’est donc ainsi, que de dossier en dossier, David rencontra des personnes de milieux complètement différents, sut se faire connaître et apprécier d’elles. Il sympathisa très rapidement avec

M. Boillat, client du cabinet et dirigeant d’une entreprise grossiste de vente de pneumatiques, située en Suisse. Lors d’une conversation, celui-ci proposa à David de s’engager dans cette voie. Il l’invita à venir quelques jours afin de voir sa Société et de se rendre compte par lui-même si cette activité pouvait l’intéresser.

« Vous savez, David, nous ne sommes absolument pas sur le marché français, je suis certain que vous arriveriez à y développer une affaire. Au début, je pourrais vous fournir les pneus, vous n’auriez qu’à vous occuper de trouver des clients. Il sera toujours temps de trouver d’autres sources une fois votre affaire bien lancée et, je vous le souhaite, viable. »

Devant l’enthousiasme de David à son retour de Suisse, Paul lui proposa de l’aider à financer son projet. De plus, il allait devoir trouver un entrepôt, faire un stock suffisant de pneus pour répondre aux premières demandes des clients…

« Vois-tu, David, tu pourrais utiliser le dépôt de beauvallon que j’avais acheté lors des grèves à Lempdes et qui me permettait ainsi d’avoir un deuxième point de production et de livraison de mes serres. Quand j’ai vendu le site de Lempdes, j’ai gardé celui-ci, mais je me demandais depuis quelque temps si je n’allais pas le mettre en vente. Le stockage de pneus d’occasion est une activité simple. Une étude de danger devra certainement être faite, mais la mise en conformité ne devrait pas entraîner de gros frais. »

Afin de finaliser et de conforter son projet, David contacta plusieurs garages dans un périmètre de trente kilomètres et il s’aperçut rapidement que la principale préoccupation de ses interlocuteurs était la proximité d’un dépôt. Ils pouvaient ainsi dépanner leurs clients très rapidement, sans avoir, eux, à supporter des coûts de stockage. David, encouragé verbalement, mais aussi financièrement par Paul, prit le risque de constituer une réserve de pneus la plus large possible et s’engagea à livrer ses clients dans des délais très courts. Au démarrage, il s’approvisionna auprès de la société de Monsieur Boillat, mais très vite, il trouva des sources en Allemagne. L’affaire se développa beaucoup plus rapidement qu’ils n’avaient osé l’imaginer. C’est ainsi qu’un jour où il déjeunait avec David (ils avaient pris l’habitude de déjeuner ensemble, chaque mercredi, afin de parler des affaires de David), Paul se décida à proposer son aide sous une autre forme à David :

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restes à ce niveau-là, ce qui est très bien pour le moment, mais il faut être conscient qu’elle peut s’affaiblir ensuite ; soit tu prends tout de suite de l’expansion. Nous savons que les quelques franchises ouvertes depuis ton démarrage en 1990 fonctionnent bien, même très bien. Il me semble donc que la création d’autres points de vente supplémentaires serait une bonne idée. Je te laisse prendre cette décision importante, mais je voulais que tu saches que, de mon côté, je suis prêt à t’aider encore plus. »

« Je comprends, dit François, après tes essais infructueux de travail avec ton père, tu voulais bien faire comprendre à David qu’il n’allait pas travailler pour toi, mais avec toi. Cela n’était pas un lien de subordination que tu lui proposais, mais un véritable accord d’association ».

« Exactement ! De plus, l’idée d’abandonner l’expertise judiciaire me trottait dans la tête depuis quelques mois et c’était donc là l’occasion rêvée. En 1992, j’ai donc quitté mon cabinet d’expertise et je me suis totalement investi dans la société. »

Paul expliqua très simplement à son ami le système de franchise qu’il avait mis en place, ne voulant pas l’assommer de détails trop techniques.

« Nous avions un intérêt majeur à augmenter le nombre de nos points de vente. En effet, cela nous permettait de grouper nos achats de pneus afin d’avoir un coût très bas. Nous les faisions livrer à Beauvallon directement d’Allemagne, de Hollande ou de Belgique. Là, ils étaient déchargés, triés, stockés et livrés ensuite par la SERNAM vers les différents points de vente. En effet, ces franchisés avaient deux obligations vis-à-vis de nous : acheter les pneus à 100 % de leurs besoins (nous avions instauré un nombre minimum par mois, car en dessous, nous savions que l’affaire ne serait pas rentable) et aussi vendre aux prix que nous leur communiquions. En contrepartie, ils bénéficiaient de notre nom – donc de notre renommée. Nous leur fournissions tout, ceci allant des locaux, de l’enseigne, des vêtements avec logo pour les employés que nous formions, à la publicité sous toutes ses formes. »

« Hum, cela me paraît être très intéressant pour quelqu’un qui cherche à s’installer sans trop de frais ou même sans trop de connaissances en droit ou autres pour créer sa société.

Tiens, nous nous serions connus à l’époque, je t’aurais peut-être suivi dans cette aventure ! lui dit François en riant. »

Ce moment de détente était le bienvenu. Paul se sentait encore envahi par ce trouble indéfinissable qui s’était installé en lui après avoir raconté à son ami tous ses problèmes avec ses parents. Par ce rire, François avait réussi à le libérer de ce poids. Ah, quelle bénédiction que de l’avoir à ses côtés. François ne le jugeait pas, il l’écoutait. Mais il savait aussi ne pas être qu’un confident. Il relançait, bousculait un peu Paul quand il le sentait trop absorbé ou abattu. Ces moments étaient rares, mais d’autant plus profonds.

« Ah, ah, reprit Paul, je te vois bien en effet avec notre casquette bleue sur la tête ! »

Puis retrouvant son sérieux, il raconte à François comment il en est arrivé à partir au Luxembourg, mais aussi, combien il était épanoui dans sa vie privée.

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Depuis sa rencontre avec Barbara, en avril 1987, Paul avait enfin le sentiment d’être heureux. Un heureux évènement n’arrivant jamais seul, son changement de voie professionnelle quelques années plus tard, lui donnait un nouveau défi à relever. Mais c’était aussi le développement de cette affaire avec son fils qui l’enchantait. Seul, Monsieur Tarage, son ancien psychiatre de Lyon, aurait interprété cela comme un retour en arrière :

« Voyez-vous, Monsieur Duquesne, vous voulez réécrire la situation vécue avec votre père. Et vous voulez surtout démontrer que l’échec venait de lui et non de vous. »

Oh, que Paul n’aime pas cette petite voix. Il n’avait pas trouvé en Monsieur Tarage une référence en psychiatrie et il ne voulait plus entendre ses allégations. Et puis, même si cela était vrai, où était le mal ? Paul s’était engagé dans cette nouvelle aventure avec toute la fougue qui le caractérisait. Il voulait réussir « pour lui » mais surtout « pour son fils ».

Une autre raison amenait Paul à être heureux. Barbara et lui préparaient leur emménagement dans leur nouvelle maison. Celle-ci n’était située qu’à quelques kilomètres de la maison où ils habitaient actuellement, mais correspondait à leur idéal. N’est-ce pas la raison pour laquelle il l’avait fait construire ? Paul en avait dessiné les plans, après avoir passé de nombreuses soirées à discuter avec Barbara de son agencement intérieur. Barbara avait une idée très précise de ce qu’elle désirait et Paul lui laissait, de toute façon, toute latitude à ce sujet. Sa préoccupation première était qu’elle se sente bien dans sa nouvelle maison. Cela n’était pas la première maison qu’il faisait construire, mais c’était celle dans laquelle il avait mis le plus son cœur. Il pensait de moins en moins aux années passées avec Sarah. Son seul souci était ses éternels refus de divorcer (malgré les demandes répétées de Paul) car ceci l’empêchait d’épouser Barbara. Il ne comprenait toujours pas cette obstination de la part de Sarah de rester liée à lui. Chacun menait sa vie de son côté, leurs enfants étaient grands maintenant, plus rien ne s’opposait donc à leur divorce. Il essayait de ne pas trop y penser et se laissait entraîner par tous ces changements des derniers mois ou années aussi bien professionnels que privés.

Dans cette période de sérénité, il ne se doutait pas que cette vie professionnelle bien remplie serait, quelques années plus tard, chahutée par des problèmes autres que commerciaux.

« Après quatre années d’exploitation, je ne sais pas si nous faisions des envieux, mais nous avons commencé à recevoir des lettres anonymes. Celles-ci nous menaçaient de nous dénoncer aux Impôts sur je ne sais quel prétexte de trafic, ventes sans factures. D’ailleurs, cela fut fait. Nous avons eu la visite de ce cher service peu de temps après la réception de ces premières lettres. Ils ont tout épluché ! Je peux t’assurer qu’ils savent ce qu’ils cherchent ou alors même s’ils ne savent pas, toi, leur cible, tu en as l’impression. Même si tu n’es pas fautif, tu te demandes ce qu’ils vont trouver. »

« Je pense, en effet, que l’on préfère que ces gens-là soient chez d’autres plutôt que chez soi. Mais, dis-moi, avais-tu une idée de l’auteur ou des auteurs de ces lettres ? Et as-tu eu des ennuis avec le service des Impôts ? »

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cela pouvait venir de concurrents comme de toute autre personne. Pour être franc, je n’ai pas vraiment cherché. Je pense que je ne voulais pas savoir ! Par contre, une fois que cette affaire a été réglée (les Impôts n’avaient rien trouvé)….

« Je m’en doute » l’interrompit François,

« Donc, une fois cette affaire réglée, et sur les conseils d’un ami expert-comptable, j’ai proposé à David de nous organiser autrement. Nous allions donner à notre société une autre dimension. Et internationale, maintenant !

Attention, François, excuse-moi d’avance, mais tu vas peut être avoir l’impression que je te donne une leçon de… »

« Ne t’inquiète pas, je ne crois rien de tout cela, mais je vais quand même prendre des notes au cas où tu m’interrogerais ensuite. J’ai l’impression de retourner sur les bancs de l’université ! » Railla François.

« Ok, ok ! Voilà, nous avons séparé nos activités. David allait s’occuper du marché local, avec une activité dite de vente de détail. Moi, j’allais prendre la direction commerciale de la nouvelle société, dite de commerce de gros, basée en Allemagne et au Luxembourg. J’allais louer des entrepôts dans ces deux pays pour stocker et nous livrerions ainsi les franchises de ces deux points différents. Ces stockages allaient nous permettre de faire des livraisons directement chez les clients en Allemagne ou au Luxembourg. Nous n’aurions plus de coût de rupture de charges (ah ! ah ! là, je vois que j’emploie un terme technique pour toi !). Cela signifie tout simplement que nous n’expédierions plus d’Allemagne en France pour décharger, stocker dans notre dépôt puis recharger et livrer nos clients. Nous allions optimiser nos livraisons et faire de réelles économies de transport.

David, lui, entité indépendante, deviendrait un de mes clients comme les autres. Le siège social de cette nouvelle société étant au Luxembourg, c’était la raison pour laquelle je devais déménager là-bas pour y travailler »

« Oui, je me souviens très bien. C’est lors de l’une de tes nombreuses allées et venues entre Le Luxembourg et la France que nous nous sommes rencontrés. Je voyageais également à cette époque entre la France et le Luxembourg et nos longues conversations ont agrémenté nos voyages très réguliers. Quelle vie nous menions à l’époque, mais j’aimais cela « dit François.

« Moi aussi. Je travaillais énormément. Je n’ai jamais su me modérer dans mes activités. Mais quel plaisir, une fois le travail terminé, de déambuler dans les rues tranquilles du Luxembourg. Le stress accumulé dans la journée disparaissait instantanément. De plus, l’appartement que j’avais trouvé était spacieux et je m’y sentais bien. Mon principal regret était de ne pas pouvoir être tous les jours avec Barbara, mais j’appréciais quand même beaucoup cette vie. »

François sait que la société de son ami a fonctionné sous cette forme jusqu’en 2000, date à laquelle le hasard des rencontres allait encore une fois agir dans la vie de celui-ci.

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« Tu m’avais déjà parlé, à l’époque de ce client dont l’activité, d’ampleur bien différente, était identique à la tienne. »

« Je vois que tu as bonne mémoire, François. J’avais en effet sympathisé avec un de mes plus clients au Luxembourg. Il était d’ailleurs aussi mon fournisseur pour certains pneus très spécifiques. Nos bureaux n’étaient pas éloignés l’un de l’autre et il nous arrivait très fréquemment de déjeuner ensemble. C’est lors d’un de ces déjeuners qu’il me fit sa proposition :

« Paul, vous savez que j’ai une grande confiance en vous et une grande estime pour tout ce que vous faites. Je sais que vous ferez honnêtement usage de ce que je vais vous proposer et sachez que cela se fera avec vous ou que cela ne se fera pas du tout. Je cherche quelqu’un qui apporte un souffle nouveau à ma société. Je vous apporte ma structure, mes locaux de stockage, mon personnel et vous, vous m’apportez votre enseigne commerciale, déjà très connue. Ensemble, nous allons développer le marché. Bien sûr, vous recevrez des royalties sur toutes les nouvelles créations d’enseignes qui seront ouvertes. Avec votre acquis et votre connaissance du marché, nous ne pouvons que réussir. Je sens et sais que vous êtes un commercial. Venez chez nous, nous mettons tout ce dont vous avez besoin à votre disposition. Ne vous embarrassez pas de toutes ces choses administratives, faites ce que vous aimez faire : achetez, vendez ! »

Cette proposition toucha profondément Paul. Il appréciait beaucoup cet homme avec qui il avait toujours fait des affaires en toute confiance. Par contre, Paul précisa tout de suite que devenir salarié ne lui posait aucun problème, mais qu’il ne voulait dépendre de personne.

« Je vous propose le titre de Directeur Commercial, salarié cadre et vous serez l’un de nos administrateurs. Vous serez votre propre chef. Vous allez être le lien entre ce que vous avez déjà développé et avec ce que nous avons fait de notre côté. Cela ne peut que fonctionner !

Qu’en pensez-vous ? »

C’est ainsi que David et Paul allaient toujours exercer dans le même domaine d’activités, mais mèneraient des carrières différentes dans des entreprises indépendantes.

« J’avais un contrat de travail en poche et je me suis acheté un appartement au Luxembourg. J’y résidais toute la semaine et ne revenais à Lattes que le week-end quand mon travail me le permettait. Barbara me rejoignait quelques fois et là, nous passions de très bons moments à visiter ce petit pays. »

Paul était conscient que cet éloignement pesait à Barbara autant qu’à lui, mais elle ne lui faisait aucun reproche, assumant sa vie dans le sud de la France, s’occupant des tracas de la maison. Lors des absences de Paul (mais sans jamais le lui cacher) elle faisait appel à Bertrand pour réparer des petits problèmes techniques dans la maison. À chaque fois, elle racontait ses rencontres à Paul, lui disant que Bertrand lui semblait redevenu « bien dans sa peau ». Paul put constater cela par lui-même lors de certains de ses week-ends à Lattes.

Afin de ne créer aucun problème, il se faisait un point d’honneur à dédommager le jeune homme après chaque intervention de sa part.

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C’est peut-être en raison de son éloignement que Paul ne ressentit ni joie ni crainte quand il réalisa que Bertrand et Marianne faisaient à nouveau partie de leur vie. Barbara et Marianne avaient repris des relations sereines depuis un certain temps déjà et Paul en était content pour elles. Elles avaient toutes les deux énormément souffert de ce temps de séparation. Petit à petit, les deux couples recommençaient à partager de longs moments ensemble. Barbara et Paul allaient diner chez eux lors des passages de Paul dans le sud. De temps en temps, Bertrand accompagnait Barbara au Luxembourg. Là, il se montrait curieux de la nouvelle vie de Paul, mais sans avoir l’air d’y apporter autre chose qu’un intérêt amical. Quant à Paul, il ne baissait pas tout à fait les armes vis-à-vis de Bertrand, mais pensait pouvoir faire abstraction de leur passé tumultueux, n’ayant plus aucune relation professionnelle commune.

Une nouvelle ère redémarrait pour eux quatre. Mais cela n’était que le calme avant la tempête. Le futur leur apprendrait bientôt que personne ne change et Bertrand, encore moins que tout autre.

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CHAPITRE 16

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