• Aucun résultat trouvé

Le bâtiment zéro-énergie dans la réglementation française

1.2 Le bâtiment zéro-énergie

1.2.3 Le bâtiment zéro-énergie dans la réglementation française

Le prolongement des dispositions de cette directive en France sera la prochaine réglementation environnementale RE2020 qui s’appliquera aux constructions neuves à partir du 1er janvier 2021. La construction de cette réglementation a pu s’appuyer sur les travaux menés dans le cadre de l’expérimentation E+C- (« énergie positive et réduction carbone »). Dans ce cadre plusieurs acteurs de la filière ont testé et audité des centaines de chantiers de bâtiment afin d’établir un cadre d’évaluation des performances énergétique et environnementale des bâtiments pouvant être mis en œuvre dans la réglementation. Sur le volet énergétique ces travaux ont donné naissance à l’indicateur Bilan Bepos (« Bâtiment à énergie positive »). Ce bilan annuel rassemble les consommations d’énergie primaire non renouvelable du bâtiment sur l’ensemble des usages (y compris les usages spécifiques) et y soustrait la production d’énergie exportée (avec un coefficient d’équivalence en énergie primaire de 1 pour l’électricité). Ainsi, le poids de la consommation d’énergie renouvelable dans ce bilan est de zéro, ce qui peut par exemple poser question sur une éventuelle surconsommation de biomasse. Le Bilan Bepos sert à évaluer la performance énergétique du bâtiment selon une échelle de 1 à 4. Les niveaux Énergie 1, 2 et 3 correspondent à des consommations généralement supérieures à 100 kWh/m2 et seul le niveau Énergie 4 peut

Le bâtiment zéro-énergie

s’apparenter au « nearly zero-energy building » de la directive européenne. De la même manière une échelle de 1 à 2 est définie sur la performance Carbone du bâtiment.

Les exigences de la RE2020 ne seront pas arrêtées avant l’automne 2020 mais certains contours s’en dessinent3. L’évaluation de la performance énergétique prendra en compte un indicateur de confort d’été basé sur des degrés-heures d’inconfort. Le risque de l’installation d’une climatisation dans un bâtiment neuf (déclaré non-climatisé) est pris en compte en calculant la consommation supplémentaire que cette action engendrerait. Celle- ci est alors comprise dans le calcul de la consommation conventionnelle d’énergie primaire du bâtiment (Cep). L’indicateur de performance de l’enveloppe appelé Bbio (incluant les besoins de chauffage, de climatisation et d’éclairage) qui figurait dans la RT2012, ne sera peut-être plus imposé.

Néanmoins, d’autres annonces sont l’objet de vives controverses parmi les différents acteurs de la filière du bâtiment. Par exemple, certains professionnels de l’efficacité énergétique4 dont l’association Négawatt5 critiquent plusieurs points :

 Le Bilan Bepos serait relégué à un rôle informatif et non plus normatif, ce qui pourrait être contraire aux dispositions de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments.

 L’indicateur Cep ne devrait pas intégrer les « autre usages de l’électricité » tels que l’électroménager, la cuisson, la bureautique, etc.

 La part d’autoconsommation issue de la production d’énergie renouvelable du bâtiment est comptée négativement dans le Cep mais pas l’export vers le réseau, ce qui pourrait ne pas favoriser l’installation, par exemple, de panneaux photovoltaïques en toitures.  L’abaissement du coefficient de conversion de l’électricité du réseau français en

énergie primaire de 2,58 à 2,3 alors qu’une valeur plus proche de la réalité

3http://www.batiment-energiecarbone.fr/

4https://www.batiactu.com/edito/re2020-lettre-ouverte-demande-a-etat-redresser-barre-58108.php 5https://negawatt.org/RE-2020-une-croix-sur-les-batiments-neufs-performants#nb4

physique calculée en analyse de cycle de vie donne une valeur supérieure à 3,2 (ecoinvent 2.2) voire 3,6 en comptant les pertes sur le réseau.

 L’abaissement de la valeur de l’impact carbone du chauffage électrique passant de 210 à 79 gCO2/kWh ce qui ne représenterait pas la réalité de la pointe hivernale lors desquelles l’électricité produite ou importée est plus carbonée.

Ces deux derniers choix seraient justifiés par la volonté de prendre en compte l’évolution future du mix énergétique. Or, ils déforment la réalité actuelle tandis que la façon dont est considéré un aspect prospectif est entachée d’incertitudes importantes. D’autres critiques concernent la qualité des données utilisées pour la partie analyse de cycle de vie, ou encore le manque de réalisme des scénarios d’usage des occupants, ce qui était déjà pointé du doigt dans la dernière réglementation RT2012. D’autres acteurs de la filière énergie et bâtiment comme l’association Eden (« équilibre des énergies ») soutiennent des positions différentes de celles évoquées ci-avant6 :

 Pour un abaissement accru du coefficient d’énergie primaire de l’électricité à une valeur de 1, voire le passage à un indicateur d’énergie finale.

 Pour une valeur d’impact carbone de l’électricité qui soit définie par des valeurs mensuelles et identiques à tous les usages.

 Sur la production locale d’énergie, pour la prise en compte dans le Cep seulement de la part d’autoconsommation et pas de l’export comme il a été annoncé jusqu’à présent.  En lien avec le point précédent ils soutiennent donc la décision de ne pas intégrer

normativement le Bilan Bepos en l’état.

Ces positions ambivalentes sont défendues en mettant en avant des conséquences non désirables. L’association Négawatt s’inquiète que de tels choix pourraient favoriser le chauffage par convecteur électrique dans le neuf et impacter la stratégie de rénovation du parc existant en améliorant artificiellement le bilan du diagnostic de performance

6 https://www.equilibredesenergies.org/12-12-2019-re2020-reaction-equilibre-des-energies-aux-

Le bâtiment zéro-énergie

énergétique des bâtiments se chauffant à l’électricité. L’association Eden pointe du doigt le risque d’aboutir à des bâtiments de type « passoires thermiques » si la totalité de la production d’énergie renouvelable est prise en compte dans le Cep, favorisant une grande surface de panneaux photovoltaïques au détriment de la performance thermique de l’enveloppe.

Ces controverses autour de la construction de la RE2020 mettent en perspective des divergences de fond sur la définition même de ce que devrait être la transposition française du nearly zero-energy building. Des différents éléments caractéristiques d’un bâtiment zéro-énergie évoqués dans la section 1.2.2 (frontière du système, bilan annuel, comptage de l’export, système de pondération), les acteurs défendent des choix et des hypothèses précises. Ces choix pouvant être parfois motivés, indifféremment des acteurs, par des aspects politiques défendant ainsi une certaine vision de ce que devrait être le système énergie-bâtiment en France.

Cet exemple pratique illustre sous un certain angle une question qui va jalonner les travaux de cette thèse : comment apporter une aide à la décision fiable et robuste en écoconception de bâtiment zéro-énergie ? Un des éléments de réponse est d’évaluer la robustesse des outils utilisés en écoconception de bâtiment, l’analyse de cycle et de l’optimisation multicritère, au regard de sources d’incertitudes, dont la source subjective des choix et des hypothèses des décideurs.