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4 - LATOUR ET DESCOLA : UN DIALOGUE POUR METTRE AU JOUR LES CONVERGENCES ET LES DIVERGENCES

Dans le document RENOUVELER LA VILLE, REPRODUIRE LA NATURE (Page 106-118)

La précédente contextualisation s’avérait nécessaire pour arriver à ce point de la réflexion. Latour et Descola développent une pensée complexe, que nous avons tâché de présenter comme un système cohérent. Concernant Latour, aborder sa théorie de l’écologie politique126 et de l’anthropologie symétrique suppose de connaître ses travaux en sociologie des sciences. Contrairement à la diversité apparente de ses recherches, une certaine cohérence peut ainsi être décelée. De la même façon, Descola développe une anthropologie de la nature que l’on ne saurait aborder sans comprendre qu’elle est fondée sur un structuralisme modéré (Coste, 2010).

Les deux auteurs sont proches par leurs objets et leurs théories, et se rencontrent d’ailleurs fréquemment, bien qu’ils n’aient jamais écrit conjointement d’ouvrage majeur. Cela tient à ce que, en réalité, et bien que leurs thématiques de recherches fassent preuve d’une

126 C’est bien de cela dont il s’agit lorsque nous évoquons un « projet politique latourien » : il aborde de front l’écologie politique en redéfinissant ses prérogatives (Latour, 1999) ; voire parle d’écologisation (Ibid.,2012).

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grande proximité, il est possible de mettre au jour plusieurs différences fondamentales dans leurs théories, leurs méthodologies et leur perception du rôle social de l’anthropologue ou du sociologue.

Par ailleurs, les différences s’établissent également sur la réception de leur œuvre. Latour, bien que controversé, est à coup sûr l’une des figures majeures de la sociologie francophone, mais également anglo-saxonne. Il a par ailleurs inspiré toute une génération de chercheurs dans le domaine des sciences studies et même au-delà, dans la sociologie de l’art par exemple127. Ses récents développements sur Gaïa (Latour, 2015) sont également repris par un certain nombre de chercheurs s’intéressant à la question de l’anthropocène en tant qu’il succède ou non à la modernité.

Pour Descola, les choses semblent plus complexes. Bien que largement reconnus128, ses travaux semblent avoir été moins diffusés. Plus précisément, ils sont fréquemment cités (quoique pas autant que Latour129), mais le plus souvent dans l’objectif de rappeler la relativité de la partition Nature – Culture présente en occident, finalement sans perspective critique ou opératoire130. Il est tout de même repris principalement par trois catégories de chercheurs : des historiens qui l’emploient pour revisiter l’évolution des rapports à la nature131 au cours de certaines périodes historiques (Coste, 2010 ; Quenet, 2015) ; des anthropologues américanistes qui réemploient ses théories au sujet de l’animisme ; des travaux d’obédience philosophique et éthique quant aux rapports homme-animal. Or, c’est également parce que la sociologie et l’anthropologie du proche se sont peu emparées de ses théories, que nous souhaitons les mettre à l’épreuve d’un terrain auquel elles n’ont jamais été confrontées.

Dans cette section, nous commencerons par examiner les points communs et la façon dont l’anthropologie symétrique latourienne et l’anthropologie de la nature descolienne dialoguent. D’abord, elles entendent toutes deux dénoncer le double biais de l’anthropologie : son anthropocentrisme et son ethnocentrisme. Ensuite, elles reposent également sur l’idée de

127 Voir par exemple Antoine Hennion.

128 La médaille d’or du CNRS qu’il obtient en 2012 en atteste.

129 Nous n’entendons pas nous livrer à une étude bibliométrique ici, mais précisons tout de même à simple titre d’illustration que, en décembre 2015, le moteur de recherche Google Scholar enregistre 1611 citations pour l’ouvrage de Descola Par-delà Nature et Culture, contre 2141 pour Nous n’avons jamais été modernes de Latour. 130 À une exception près, un travail mené dans la cadre d’une thèse d’anthropologie qui questionne ponctuellement ses travaux : CHANVALLON S., 2009, Anthropologie des relations de l’Homme à la Nature: la Nature vécue entre

peur destructrice et communion intime, Thèse de doctorat, Université Rennes 2; Université Européenne de

Bretagne, 539 p.

131 Il est très intéressant de constater ce fait, alors même que le structuralisme a justement été critiqué pour l’absence de prise en compte de la dynamique historique. C’est également en cela que son approche peut être qualifiée de structuralisme modéré.

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ce que l’on pourrait nommer le relationnisme, que nous préciserons par la suite. Puis nous reviendrons sur les divergences, que l’on peut imputer pour l’essentiel à des héritages théoriques contrastés : quand Latour se repose sur une approche que l’on pourrait qualifier de pragmatique, Descola tente de rajeunir l’anthropologie structurale de son ancien directeur de thèse Claude Lévi-Strauss.

4.1-CONSIDÉRATIONS SUR LA SCIENCE MODERNE

 Du dualisme des sciences

Nous avons déjà largement abordé la posture de Bruno Latour quant au développement de la science. Sur ce point, ses positions sont extrêmement proches de celles de Philippe Descola : les sciences sont tributaires de la césure nature-société, un fait visible au regard de leur double partition, entre sciences sociales et sciences naturelles d’une part, et au sein même des sciences sociales, qui tendent à reproduire l’opposition entre faits naturels et faits sociaux. Pour Latour, trois grands courants, qu’il qualifie de philosophies modernisatrices, ont tenté d’absorber les hybrides, sans jamais réellement y parvenir (Latour, 1991) : en premier lieu, ceux qu’ils regroupent sous la catégorie des dialecticiens. Il lie rapidement et

chronologiquement Kant, Hegel, la phénoménologie, Habermas et la raison

communicationnelle, pour aboutir au postmodernisme, qui n’ont fait que renforcer progressivement la distinction nature-société, en participant involontairement au processus de purification. Le deuxième courant philosophique est celui de la sémiotique. Il repose sur une autonomisation du discours et une opposition en termes de signifiant et signifié. Pourtant, celui-ci semble omettre les deux pôles du naturel et du culturel. Alors que la dialectique laissait inoccupé cet espace entre les deux pôles du sujet et de l’objet en tentant de les éloigner toujours plus, la sémiotique se place au centre de cet espace libre, sans parvenir davantage à s’accrocher aux deux extrêmes. Le dernier courant fait référence à Heidegger et sa philosophie de l’Être. Selon Latour, ce type de philosophie oblige à un mépris de l’empirique, et admet par là le grand partage moderne. Les émules de Heidegger finissent par ne plus considérer que le travail de purification. Leur rejet de l’empirie les fait manquer la foule d’objets hybrides de Bruno Latour. Des constats proches se retrouvent chez Descola. Pour celui-ci également, la pensée dualiste opposant la nature aux cultures marque profondément l'ensemble des sciences

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modernes occidentales. Plus que cela même, le dualisme serait une condition nécessaire à l'apparition de la pensée scientifique moderne. La théorisation et la praxis scientifiques sont organisées autour d'une opposition entre le naturel et le culturel. D'abord par une segmentation très explicite entre sciences de la nature et sciences de la culture, la délimitation entre ces deux champs s'établissant aussi bien du point de vue des méthodologies que de l'organisation institutionnelle de la recherche; ensuite au sein de l'anthropologie, par un éloignement progressif entre anthropologie sociale et anthropologie physique, dès la fin du XIXe siècle (Descola, 2011). Cela se traduit par une distinction entre les théories matérialistes et idéalistes. Bien que déjà datées, celles-ci n’en restent pas moins structurantes dans l’anthropologie contemporaine, quand bien même les positions extrêmes du déterminisme ou de l’idéalisme ne sont plus clairement revendiquées. On se situe plutôt, en France en particulier, dans une forme de dialectique.

Pourtant, proposer une analyse de l’état des sciences sociales uniquement à l’aune des postures extrêmes pourrait être caricatural. En effet, la plupart des chercheurs ont tenté d’adopter une posture intermédiaire, à l’image de Maurice Godelier, d’Augustin Berque, ou encore de Philippe Descola par le passé. « Mais de tels efforts de médiation ne peuvent que

demeurer vains puisqu’ils reviennent à recoudre à très gros points les deux pans du monde que notre cosmologie dualiste avait séparés, la cicatrice ostensible laissée par la suture venant plutôt souligner la distinction que la dissoudre. » (Descola, 2011, p.31-32.)

En réalité, ce n’est pas là une tare inhérente à l’anthropologie, auquel cas cette dernière serait vouée à l’échec. Si l’on en revient plus précisément à la différence entre matérialistes et idéalistes, c’est bel et bien l’acceptation d’un paradigme commun qui permet aux débats d’émerger : celui d’une nature distincte universellement, que celle-ci soit cause ou conséquence. L’anthropologie, qu’elle soit le fait d’auteurs à tendance matérialiste ou plus idéaliste, s’est constituée comme la science étudiant l’interface entre phénomènes naturels et phénomènes culturels. Or, en définissant leur objet comme un amalgame de nature et de culture, les différents anthropologues et ethnologues ont par le même coup eu tendance à piocher dans l’une ou l’autre des sciences s’attachant exclusivement à l’une des deux notions du Grand Partage.

Par exemple, le courant du déterminisme naturel s’est vu contraint de sélectionner certaines approches des sciences naturelles, comme la biologie. C’est le cas de Malinowski. Les adeptes d’une approche culturelle de la sémantique adoptent également ce présupposé d’une nature universelle, support nécessaire d’interprétations culturelles diverses. Or, il apparaît

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désormais clairement que pratiquants de l’ « éthnosémantique relativiste » ou partisans d’une

« écologie culturelle déterministe » partent du présupposé de l’existence d’une nature comme

domaine discret. « Qu’il constitue le terme de la réduction à laquelle procèdent les approches

naturalistes, ou qu’il fasse l’objet d’une traduction de la part de l’éthnosémantique, c’est toujours le même ordre naturel homogène et autonome qui cautionne la légitimité du savoir produit par les analystes de la culture (Ibid., p.54).

Le dualisme nature – culture agit comme un prisme de lecture. Ainsi, l’ethnologue considère souvent qu’il est le seul approprié et objectif, et dès lors, est tenté d’interpréter les pratiques des ethnies qu’il cible comme de simples croyances, ou comme des versions inabouties de son propre système interprétatif qu’est la science. Trois grandes inflexions sont utilisées pour rendre compte de ce décalage entre la cosmologie de l’ethnologue et celle de ses enquêtés, qui conduisent toutes au biais ethnocentriste. La première estime que seule la pratique est objective, et conduit ainsi à isoler un monde des représentations, qui deviennent du même coup plus ou moins faussées. La seconde considère que la cosmologie des observés n’est pas aboutie. Elle relève alors d’une tentative de mise en ordre du monde que les collectifs en question n’auraient pas réussi à mener à son terme. Il s’agirait donc en quelque sorte d’une approche scientifique erronée, puisque la tentative d’isoler la nature dans leurs systèmes conceptuels aurait échoué. Enfin, la troisième inverse les conditions de la précédente. Dans la seconde approche, les structures sociales sont conditionnées par la nature, et deviennent des sortes de retranscriptions inconscientes de l’ordre naturel. À l’opposé, cette troisième approche considère que les représentations de l’environnement sont des traductions de l’ordre social.

La proximité des théories de Philippe Descola et de Bruno Latour apparaît très nettement. Le constat est identique : considérer la distinction nature – société (ou nature – culture chez Descola) comme universelle conduit à des analyses anthropologiques ethnocentrées, incapables de rendre compte de la complexité des cosmologies non modernes. Elle empêche du même coup tout processus réflexif quant à la modernité. Aussi, il s’agit désormais de dépasser ce paradigme commun à l’ensemble des sciences sociales.

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 Dépasser l’anthropocentrisme scientifique et le grand partage à l’aide du

relationnisme. L’universalisme relatif de Descola et le relativisme relativiste de Bruno Latour

Pour Descola, la seule solution envisageable consiste à repenser les structures sociales, que l’on a trop tôt laissées de côté. Elles permettraient notamment d’expliquer la stabilisation des divers collectifs qui se sont formés de par le monde. La tâche que l’auteur propose est donc à nouveau celle de la recherche d’invariants, qui résident selon lui dans ce qu’il nomme les « engagements pratiques » (Descola, 2011). Par-là, il fait référence aux différents schèmes élémentaires de la pratique précédemment définis dans Par-delà Nature et Culture. De plus, il n’est pas question de faire preuve de relativisme, qui n’est d’ailleurs plus ou moins possible que dans le cadre d’une autonomisation de la nature.

Le premier pas à faire doit permettre de dépasser l'opposition entre universalisme et relativisme. Pour ce faire, Descola prône un « universalisme relatif », le dernier terme étant ici entendu comme relationnel. Il apparaît que la force de l'opposition entre « universel » et « relatif » au cœur de l'anthropologie entretient la toute-puissance de l'ontologie naturaliste, qui découpe le monde en une nature universelle et des cultures relatives. Il faut donc s'orienter vers une méthodologie attentive aux « relations de continuités et de discontinuités » établies par les différents groupes humains. Selon l'auteur, l'universalité ne réside nullement dans l'autonomisation du naturel, mais dans la : « mondiation », « [le processus de] stabilisation

dans des cadres de pensée et d'action de notre pratique du monde [qui] se fonde au premier chef sur notre capacité à déceler des qualités dans les existants et à inférer en conséquence les liens que ces derniers sont susceptibles d'entretenir et les actions dont ils sont capables »

(Descola, 2011, p.76).

Or, l’anthropologie serait particulièrement apte à participer au débat. Le lien avec les propos de Latour est ici frappant. Ce dernier, qui semble également convaincu de l’importance de l’anthropologie dans cette entreprise, préconisait en 1991 la mise en place d’un relativisme

relativiste, ou relationnisme. L’anthropologie symétrique soutenue par l’auteur permet de

remettre en cause la notion de culture, dont l’apparition n’est que le résultat de la relégation au second plan de la nature. Raison pour laquelle il propose de considérer qu’il n’y a que des « natures-cultures », autrement dit des collectifs qui rassemblent humains et non-humains selon des modalités diverses. Sur ce point précis, il rejoint l’analyse de Descola. Selon Latour, l’objectif du relativisme devient alors de penser la mise en relation, la commensurabilité.

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Ce qu’il convient alors d’appeler relationnisme dénote bien la proximité des théories de Latour et Descola. Contre un universalisme naturaliste, ils postulent l’universalité de la mise en relation, un paradigme qui permettrait de tordre le cou à l’ethnocentrisme et l’anthropocentrisme latent des sciences sociales. Cependant, les deux auteurs parviennent à cette conclusion selon des voies différentes. Pour Latour, il s’agit du pragmatisme (Charbonnier, 2013), quand Descola fonde son approche sur un structuralisme lévi-straussien amendé. Cela a en retour des conséquences sur le regard qu’ils portent sur la modernité et son éventuel achèvement.

4.2-DÉSACCORDS : LA MODERNITÉ ET LA DÉFINITION DES COLLECTIFS

Nous avons démontré que Latour et Descola partagent une forme de critique de l’anthropologie et des sciences sociales, en tant qu’elles sont structurées par un paradigme ethnocentré, le dualisme nature – société. Or, ce fond épistémologique commun nuirait à la pratique de la discipline, inapte à saisir les différentes manières d’organiser les rapports entre les existants. Plus que cela même, ce paradigme partagé remettrait en cause la possibilité de mener une véritable anthropologie des modernes telle que Bruno Latour la conçoit. De la même façon Descola, bien que moins vindicatif à ce sujet, en appelle à une plus grande réflexivité des modernes. En revanche, le cheminement intellectuel qui les conduits à adopter ces postures (au-delà de la critique du dualisme scientifique) n’est pas identique.

Descola s’ingénie à une forme de décentrement permanent. Rappelons que c’est bien la mise au jour de l’animisme dans certains collectifs Amérindiens qui l’a amené à questionner le paradigme moderne du grand partage, et à construire le modèle des quatre ontologies. C’est donc une anthropologie comparative qui est mise au service de la réflexivité.

Latour, quant à lui, part d’une réflexion sur la modernité en tant que telle. Pas de perspective comparative donc. Au contraire, c’est à partir d’une analyse directe des modernes qu’il élabore le modèle de l’anthropologie symétrique. Pour ce faire, il repart d’un décalage interne entre théorie et pratique (Ibid.). Ce fonctionnement le conduit à postuler que dans la

théorie, la modernité repose bien sur la dichotomie nature – culture, mais que dans la pratique,

cette distinction ne fonctionne pas, puisque les modernes ne font que fabriquer des hybrides. En découle la conclusion suivante qui constitue aussi le premier point de divergence majeur avec Descola : la modernité ne serait qu’une supercherie.

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 Une modernité illusoire ou un naturalisme opératoire ?

L’une des différences majeures entre les deux auteurs se joue ici : quand Latour postule la multiplication des hybrides de nature et de culture dans les sociétés modernes, il en déduit que la modernité repose sur une illusion. Rappelons que pour Latour, la constitution moderne se réalise dans un double processus de médiation, qui produit des hybrides, et de purification qui y distingue leurs caractéristiques naturelles et sociales (les deux premières garanties). Mais la troisième garantie suppose l’éloignement des deux processus, et surtout l’invisibilisation du travail de médiation-traduction opéré par les modernes. Et c’est cette dernière garantie qui fait dire à Latour que la modernité est une illusion, et que sa théorie ne conditionne pas sa pratique. Descola quant à lui, bien que rappelant continuellement le caractère contingent du naturalisme132, considère qu’il marque bel et bien la pratique dans les sociétés modernes. C’est au sein des schèmes intégrateurs de la pratique, l’identification et la relation, que l’ontologie imprime sa marque. Ces schèmes intégrateurs de la pratique entretiennent une certaine proximité avec le concept bourdieusien d’habitus. S’il en est besoin, précisons que Descola ne n’inscrit pas son analyse sur le même plan que Bourdieu. En revanche, il situe son schème intégrateur à un niveau de généralité supérieur à celui de l’habitus, le schème intégrateur faisant office de médiateur entre différents niveaux cognitifs impliquant autant de schèmes spécialisés, l’habitus étant un de ces derniers.

« L’identification et la relation peuvent donc être vues comme le dépôt des instruments de la vie sociale où sont puisées les pièces élémentaires au moyen desquelles des groupes humains de taille et de nature variable bricolent au jour le jour la schématisation de leur expérience » (Descola, 2005, p.167)

Émerge donc ici une première différence : malgré l’accord tacite sur la relativité du naturalisme – entendue ici à l’inverse d’universalité – entre les deux chercheurs, Latour postule une modernité illusoire, lorsque Descola affirme un naturalisme opératoire. Ceci les amène à

132 On s’aperçoit désormais que la modernité de Latour et le naturalisme de Descola désignent peu ou prou le même phénomène.

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des considérations très différentes à propos de plusieurs éléments. En premier lieu, ils portent ainsi des regards contrastés sur un potentiel achèvement de la modernité.

 L’achèvement de la modernité

Les deux auteurs occupent des positions similaires quant à l’analyse de la dynamique historique dans laquelle nous nous trouvons actuellement. En effet, ils considèrent que la crise environnementale qui nous est contemporaine marque d’une certaine façon une reconfiguration de l’ontologie occidentale. Nous serions donc face à une évolution majeure, qui pourrait relever d’un changement d’épistémè, pour employer un langage foucaldien.

En revanche, les modalités de l’évolution ne font pas l’objet d’un accord. Pierre Charbonnier, en 2015, résume bien les deux orientations : Latour ferait preuve d’un « optimisme métaphysique » quand Descola démontrerait un « optimisme historique ».

Les travaux de Latour, depuis la parution de Nous n’avons jamais été modernes que nous avons largement abordé, sont continuellement marqués par la volonté de redonner une légitimité à des discours alternatifs à la science. Ce fait est particulièrement visible dans l’ouvrage Enquête sur les modes d’existence. Le projet est alors explicite : faire de la place à d’autres modes de véridiction que la rationalité scientifique, afin de réellement reconnaître toute la complexité des modernes. Et c’est au prix d’un dialogue renouvelé, fondé sur un inventaire

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