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Etat de l’art

3. La simulation du système : étudier le comportement du système dans le temps en faisant varier simultanément des groupes de variables (simulation de la réalité) Il

2.3.1.1.2 Langage visuel et image

Les concepteurs visualisent fréquemment des formes émergentes et structurent leur compréhension d’un problème grâce à cette opération cognitive (Soufi & Edmonds, 1996). En conception, la première utilisation de l'acte de dessiner est d’ « archiver la forme géométrique

de la conception » (Ullman et al., 1990). De plus, l’effet positif sur la créativité, de l’exposition a

des stimuli visuels en amont de la génération d’idées n’est plus à démontrer (Casakin & Goldschmidt, 2000; Goldschmidt & Smolkov, 2006 ; Hender et al., 2001). L’externalisation par des représentations telle que l’esquisse, permet des mouvements provisoires et non-figé de la description générale vers la représentation spécifique et favorise un processus cyclique de ré-interprétation (Van der Lugt, 2000, 2005). Les esquisses (croquis de réflexion, de communication, de stockage) permettent de connecter l’individu à ses propres connaissances au cours du processus de génération d’idée individuelle, mais permet également de le connecter aux autres individus dans le cadre d’un processus de créativité en groupe, en fournissant une mémoire commune externe (Van der Lugt, 2000, 2005).

Dans le cadre de la créativité on retrouve les mêmes notions, puisque inventer c’est l’art de repérer des formes nouvelles à partir d’un stock d’informations. Cela consiste précisément à construire celles qui sont utiles, et qui ne sont qu’une infime minorité. « Inventer, c’est discerner,

c’est choisir » (Poincaré, 1908). Le langage par « formes » permet à l'appareil psychique de

recourir à l’utilisation de modèles afin de structurer les liens au sein de la conscience (Iba, 2010). Vocabulaire commun pour concevoir, il permet de remarquer les relations entre plusieurs éléments, mais également de communiquer plus facilement. Cette pensée par images est fondamentale pour la créativité car elle accompagne et facilite toutes les opérations mentales (Prince, 1980). Ceci est confirmé par Wenger (1998) pour qui la visualisation permet de mobiliser une part beaucoup plus importante du cerveau, en ramenant à la conscience des stocks de pensées, d’imageries, d’intuitions, enfouies dans l’inconscient. La reconnaissance intuitive se fait non par détection des traits objectifs de la

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situation présente puis comparaison avec une situation passée ayant des traits similaires, mais de manière globale : les situations antérieurement rencontrées sont stockée sous la forme d’images, non décomposées en traits séparés (Petitmengin, 2003).

Rappelons que l’expression « Forme » est issue de Paul Guillaume (1937), une traduction de la

« Psychologie de la forme » (en Allemand « gestalt theory»). On utilise donc alternativement pour

parler du même concept, les termes « structure », « forme », « gestalt », ou encore « pattern » (traduction anglaise). La démarche intellectuelle est caractérisée par la recherche à tout instant de structures, de formes, d’ensembles cohérents pour la pensée. Cette particularité a été mise en évidence par la théorie gestaltiste via plus d’une centaine de « loi » (proximité, similitude, sort-commun, continuité, simplicité, orientation, symétrie, etc.). Pour les théoriciens de la Gestalt, le rapport entre créativité et perception est évident, trouver une nouvelle idée revient à trouver une nouvelle forme, et trouver une réponse à un problème équivaut au passage d’une structure à une autre, par une réorganisation du champ perceptif (De Brabandère, 2007). L'idée même de nouveauté est impliquée dans la notion de Gestalt, c'est pourquoi la créativité trouve tout naturellement sa place au sein de la théorie (Faucheux et Moscovici, 1968). La pensée créative est une forme particulière du traitement de l’information, la démarche créative consiste à passer d’une « gestalt » à une autre, d’un arrangement des informations imprimées dans les neurones et constituant une « forme » stable, à « une autre forme », à peine ébauchée que l’on appelle idée (De Bono, 1973, 1991, 1998, 2004). Ici on comprend donc que la « gestalt » ou la « forme » désigne en fait les catégories citées précédemment, et que les « lois gestaltistes » sont en réalité différents types d’analogies.

Cette Gestalt, ou forme, est définie par Simondon (2014) sous le terme d’ « image ». Une réalité intermédiaire entre objet et sujet, concret et abstrait, passé et avenir. Pour Simondon, les images ne sont pas aussi limpides que des concepts, on ne peut les gouverner que de manière indirecte. Elles ont un caractère à la fois objectif et subjectif, un statut de quasi- organisme se développant dans le sujet avec une relative indépendance. Les images prennent tout leur relief vital et amènent la décision, notamment dans les situations d’urgence ou d’émotion forte. Elles ne sont pas des perceptions concrètes car, pour choisir, il faut être à une certaine distance du réel et ne pas se trouver déjà engagé. L’image, comme intermédiaire entre l’abstrait et le concret, synthétise en quelques traits des charges motrices, cognitive, affective, lui donnant un certain poids permettant le choix. La meilleure situation pour le choix est celle qui permet la formation et l’usage d’images réellement mixte (abstraites et concrètes), ce qui implique une distance moyenne de l’objet. Enfin les images sont des intermédiaires entre passé et avenir, pour le sujet individuel comme pour les groupes, car l’image incorpore du passé et peut le rendre disponible pour le travail prospectif. Une part de la réalité des groupes est faite d’images, matérialisées sous forme de dessins, de statues, de monuments, de vêtements, d’outils et de machines, et aussi de tournures de langage, assurant la continuité culturelle des groupes.

Dans son cours de 1965-1966 intitulé « Imagination et Invention », Simondon (2014) suppose que les images mentales sont comme des sous-ensembles structuraux et fonctionnels de l’activité psychique (les « gestalts », « formes », ou catégories que nous avons précédemment

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décrites). Ces sous-ensembles pourraient ainsi posséder un dynamisme génétique analogue à celui d’un organe en croissance. Il distingue trois états :

1. D’abord celle de la croissance pure et spontanée, antérieure à l’expérience de l’objet à laquelle l’activité fonctionnelle se préadapte. Au sein de ce niveau primaire

biologique, l’expérience perceptive est dirigée par des formes ou « patterns » innés

correspondant à la saisie du sens des situations selon les modes primaires du danger, de l’aliment, de la rencontre du partenaire, de l’attitude d’ascendance ou de soumission pour les espèces sociales.

2. Ensuite, l’image devient un mode d’accueil des informations venant du milieu et une source de schèmes de réponses à ces stimulations. Au sein de ce niveau secondaire

psychologique, l’organisme développe un analogue mental de son rapport au milieu.

Afin d’analyser, reconnaitre, percevoir et évaluer les objets de son environnement.

3. Enfin, après cette étape d’interaction avec le milieu correspondant à un apprentissage, il se fait un véritable monde mental par lequel le sujet possède un analogue du milieu extérieur, ayant lui aussi ses contraintes complexes. Ce troisième

niveau formel illustre la domination du sujet sur son milieu, l’image a priori apparaît

sous forme d’intuition motrice, issue d’une schématisation abstraite de la classification, animée par un transfert analogique de niveau en niveau.

En conclusion, les images subiraient des mutations successives qui modifieraient leurs relations mutuelles en les faisant passer d’un état à un autre. Le monde des images-souvenirs est une organisation analogique de symboles qui, lorsqu’il est saturé, ne peut plus accueillir d’expérience nouvelle. Le sujet doit alors modifier sa structure pour trouver des dimensions d’organisation plus vastes et plus « puissantes », afin de surmonter les incompatibilités éprouvées pour raisonner. D’après Simondon (2014), l’invention serait une renaissance du cycle des

images. Elle opèrerait un changement de niveau, marquant la fin d’un cycle et le début d’un

nouveau.

Nous avons résumé la nature évolutive de l’image dans la Figure 33 ci-dessous.

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Abordons maintenant une perspective psychanalytique sur la créativité. Après une introduction sur le système psychique nous détaillons deux fondements : l’incubation

inconsciente et l’expérience intuitive.

On distingue trois courants des théories psychanalytiques de la créativité, issus de la pensée de Freud :

- le premier courant des psychanalystes d'obédience freudienne pour lesquels l'origine de la création remonte à l'inconscient sublimé.

- le second qui tend à déplacer l'intérêt sur le préconscient, où il existerait des idées tout organisées qu'un stimulus perceptif vient précipiter dans la conscience (Kris, 1950). - le troisième qui concentre sur les processus préconscients la presque totalité de l'activité

créatrice (Kubie, 1958)

Les processus psychologiques se déroulent sur trois plans simultanés, concurrentiels : le

conscient, le préconscient et l'inconscient qui s'étalent en se superposant comme les bandes d'un

spectre presque continu. La différence entre les trois systèmes réside dans leur mode de formation qui entraîne à des degrés divers des perturbations de la relation du symbole à son substrat, mais aussi dans son mode d'action (Leboutet, 1970).

- les processus symboliques conscients : prennent leurs origines dans les stimulations

extéroceptives. La relation signifiant-signifié est connue du sujet et s'exprime généralement à l'aide du langage. L'emploi de mots fixes donne à la relation son caractère de stabilité permettant la communication. En revanche, la relation acquiert un certain caractère de rigidité qui vient limiter et ralentir le libre jeu des processus imaginatifs (Leboutet, 1970).

- les processus symboliques inconscients : représentent des traces mémorielles d'un passé

auquel le sujet est rigidement et inaltérablement ancré. Le sujet ne connaît ni le signifié ni par suite la relation avec le signifiant. La relation signifiant-signifié est rigide et ne peut être modifiée que lorsque le signifié est amené à la conscience. « De tels comportements, figés dans la

répétition, sont incompatibles avec la création. Ainsi, la création ne peut être imputée à l'inconscient, même sublimé » (Kubie, 1958 ; Leboutet, 1970).

- les processus symboliques préconscients : à la limite de la conscience dont ils peuvent

tenir leur origine, ils ont leurs racines dans les processus extéroceptifs, mais prennent également naissance à partir de stimuli intéroceptifs et proprioceptifs ; « le symbole est utilisé de

manière allégorique et figurative, d'où l'importance de l'imagerie dans ces processus » (Leboutet, 1970).

Nous représentons le système psychique et ses différents niveaux dans la Figure 34 ci- dessous.

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Figure 34: Système psychique

Sans contester le rôle joué par les processus conscients dans l'élaboration finale des produits de la création, on peut admettre que les racines profondes de la créativité ont leur source dans les processus préconscients, cet inconscient très superficiel très proche du conscient et qui est à sa disposition immédiate. (Hadamard, 1956 ; Kubie, 1958). « Là, les images peuvent défiler à

très grande vitesse sans être retardées par les mots, les idées jaillissent et se mêlent dans le jeu des associations spontanées libres » (Leboutet, 1970). Dans cette zone intermédiaire, on se trouve dans un

espace qui n’est pas celui du langage social mais celui d’une pensée en images, que Hadamard (1956) qualifie de « pensée avant la pensée ». La pensée par images est plus primitive que la pensée conceptuelle, exerçant ainsi une régression identique à ce que ressent le dormeur en rêvant ou le malade mental en retombant dans l’infantile (Koestler, 1964). Les éléments psychiques qui servent de base à la pensée sont certains signes ou des images plus ou moins claires qui peuvent à volonté être reproduits et combinés. « Ces éléments sont de types visuels et

parfois moteurs » (Einstein cité par Hadamard, 1956). L’un après l’autre, de grands savants sont

venus témoigner que pour créer ils devaient parfois reculer du langage à l’image, du symbole verbal au symbole visuel voire, comme Einstein, à la cénesthésie et aux sensations musculaires (Koestler cité par Aznar, 2005). Nous retrouvons donc ici une corrélation entre le rôle crucial des processus pré-conscients et celui des images précédemment évoqué dans la section « approche cognitive » (voir § 2.3.1.1).

Détaillons maintenant les deux aspects fondamentaux de l’approche psychanalytique de la créativité : l’incubation inconsciente, puis l’expérience intuitive.

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