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Etat de l’art

3. La simulation du système : étudier le comportement du système dans le temps en faisant varier simultanément des groupes de variables (simulation de la réalité) Il

2.3.1.1.1 Catégorisation et analogie

On distingue classiquement trois formes de raisonnement :

- l’induction : une découverte qui part de détails et aboutit à une vue d’ensemble puis à la

formation d’une théorie explicative ;

- la déduction : une théorie qui est mise en face de détails issus d’observations concrètes en vue

de la valider ;

- l’abduction : la découverte du fait que deux objets entretiennent une forte ressemblance et

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C’est cette dernière forme de raisonnement qui nous intéresse plus particulièrement, car elle semble être un des premiers mouvements de la pensée. Face à la diversité, à la multiplicité, à l’hétérogénéité, à la continuité du monde en mouvement, l’esprit humain a une capacité d’abstraction, il observe les points communs, les rapproche de ce qu’il sait, et construit des

catégories d’objets analogues (De Brabandère, 2012). Nous sommes obligés d’ordonner, de trier,

de classer, notre esprit ne peut fonctionner sans catégories et sous-catégories, car il nous est impossible de percevoir le monde dans la nuance. Sans cette capacité d’abstraction, l’apprentissage serait impossible, et face à une pensée sans cesse mouvante un individu ne pourrait pas agir. Ainsi notre mémoire est constituée de millions d’informations reliées entre elles, qui peuvent se regrouper dans des ensembles figés de complexité croissante, des modèles mentaux préétablis imprécis, rigides et regroupés en catégories (De Brabandère, 2007, 2012). On en distingue trois en particulier :

- le stéréotype : Sans ces schèmes culturels préexistants, l’individu resterait plongé dans le flux et le reflux de la sensation pure, il lui serait impossible de comprendre le réel ou d’agir sur lui. Le stéréotype est indispensable à la cognition, il a deux conséquences essentielles :

o l’homogénéisation au sein d’une même catégorie : les éléments y sont perçus

comme plus semblables qu’en réalité

o l’accentuation de l’écart entre deux catégories différentes : les éléments y sont

perçus comme plus différents qu’en l’absence de catégories

- le modèle (ou pattern) : les schémas (ou schèmes) cognitifs ont trois caractéristiques principales :

o ils comptent certains éléments fixes et d’autres variables o ils sont comme les poupées russes et peuvent s’emboîter o ils s’échelonnent, du concret à l’abstrait

- le paradigme : si un pattern est un ensemble de stéréotypes, un paradigme est lui- même un ensemble de patterns

Cependant, une fois classé dans une catégorie, un objet peut également être classé dans une autre. Cette fluidité catégorielle, l'établissement de nouvelles connexions, semble être

« l'essence » de la créativité (Macey-Burgess, 2001). Plus les éléments sont éloignés, plus

l’association est potentiellement créative (Faucheux et Moscovici, 1968). Selon Gordon (1961, 1965), la réalité se présente en général sous forme de « conventions » (les catégories précédemment énoncées), formant un ensemble rigide qui ne se laisse pas modifier facilement. La métaphore (ou analogie) est l’outil essentiel permettant de casser les « conventions » et de déformer le réel. Ce point de vue rejoint l’idée que la création naît de la rencontre conflictuelle entre des systèmes de références hétérogènes jusqu’alors séparés : une

« Bissociation » (Koëstler, 1964). Cette rencontre se base sur une modification de la structure

de notre pensée en brisant nos ensembles perceptifs et cognitifs (nos catégories), ces groupements de solutions régulièrement utilisés par un individu (patterns, modèles, théories) (Elam et Mead, 1987). On remarque dans les travaux de recherche en conception que

l’analogie est également identifiée comme centrale dans l’émergence de nouvelles idées (Bonnardel,

2000), parce qu’elle est cohérente avec l’approche selon laquelle de nouvelles idées seraient en fait inspirées par des situations antérieures. Les analogies sont le résultat d'une relation

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établie dans l'esprit à travers un processus d’accentuation sélective, les représentations en mémoire possèdent donc une grande influence sur cette capacité (Linsey et al., 2007, 2008). Toutefois pour Koëstler (1964) ce ne sont pas les analogies qui créent les découvertes, mais l’aptitude de l’esprit à multiplier les croisements entre diverses « matrices analogiques » rationnelles ou inconscientes. L’aptitude à « voir » des analogies là où personne ne peut les voir et à faire émerger seulement celles qui seront fertiles.

C’est pourquoi on catégorise aujourd’hui les analogies de manière beaucoup plus précise. On peut ainsi distinguer l’analogie de surface, et l’analogie de profondeur ou de structure (Casakin, 2004) :

- Les analogies de surface désignent des concepts facilement accessibles, des propriétés

superficielles des objets considérés. Facile à créer, elles ne garantissent pas le transfert de relations de fond entre la source et la cible.

- Les analogies de profondeur désignent un système de relations de plus haut niveau, basé

sur les propriétés profondes d'un contexte donné. Elles déterminent la qualité d'un concept. On peut également les catégoriser en fonction des connaissances qu'elles associent, les analogies intra-domaine, et inter-domaines (Casakin, 2004 ; Bonnardel et Marmèche, 2005 ; Nagai et Taura, 2006) :

- Les analogies intra-domaine où la source et la cible relèvent d'un même domaine de

connaissance. Elles sont plus faciles à atteindre et souvent basées sur des similarités de surface.

- Les analogies inter-domaines où la source et la cible relèvent de domaines de

connaissance différents et éloignés, mais présentent une corrélation basée sur des aspects structurels similaires. Elles ont une grande influence sur la qualité d'un concept. Bonnardel (2006) à ce titre distingue des analogies inter-domaines proches et éloignées.

Cela veut donc dire qu’il s’agit du même mécanisme à l’œuvre à la fois dans la catégorisation, et dans la « dé-catégorisation puis re-catégorisation » : il s’agit d’un mécanisme analogique. Un travail créatif et un travail non-créatif ne relèvent donc pas de processus spécifiquement différent, et si les mêmes séquences de pensée et d'actions peuvent conduire à des résultats plus ou moins créatifs (raisonnement routinier), alors c'est la qualité du matériel utilisé dans chaque partie du processus (la connaissance) qui est importante (Lubart et al., 2003). Si la synthèse de nouvelles idées se fait par restructuration et re-association de celles qui existent déjà (Koëstler, 1964 ; Heap, 1989), c’est l’expansion de notre point de vue sur le monde (de notre perception) qui est au cœur de la pensée créatrice (Gero, 2000). La créativité prend donc sa source au sein de l’individu, de sa perspective unique. Elle résulte d’une association entre son expérience de vie, sa culture, son éducation, ses connaissances, et de la signification personnelle qu’une situation perçue lui évoque (Gardner, 1995). En résumé ce long processus réflexif associant l’utilisation de connaissances existantes et la lente accumulation de nouveaux éléments perçus, postule que les découvertes, idées, ou concepts émergent de processus cognitifs fondamentaux ordinaires (Weisberg, 1988, 1993, 1999 ; Ward, 2007).

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Nous avons résumé le fonctionnement des mécanismes de catégorisations et d’analogies dans la Figure 32ci-dessous.

Figure 32: Catégorisation et analogies