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Etat de l’art

Phase 4 La composition de l’œuvre

Une fois l’œuvre conçue, elle requiert un travail de composition proprement dit (tâtonnements, brouillons, …)

Phase 5 :

Produire l’œuvre au dehors

C’est déclarer l’œuvre terminée, la détacher définitivement de soi, affronter les jugements et critiques, et accepter qu’elle mène désormais sa vie propre.

Tableau 4: Les 5 phases du travail créateur de Anzieu (1981)

On retrouve donc dans ce processus l’importance fondamentale de la crise psychique qui déclenche l’incubation, mais aussi l’importance de la confrontation d’une production à un environnement extérieur, afin de rétablir l’équilibre psychique. L’existence d’un travail « inconscient » est hors de doute, on pourrait donner des preuves à profusions de ce processus mental antérieur, obscure et inconnu de l’inventeur (Ribot, 1900 ; Hadamard, 1956). Les combinaisons qui se présentent à la conscience dans une illumination subite après un long travail inconscient, sont généralement des combinaisons utiles et fécondes qui semblent le résultat d’un premier triage (Poincaré, 1908). Une étude a démontré que les individus qui pensent à leurs idées de manière inconsciente savent mieux évaluer leurs idées les plus et les moins créatives, et on constate une augmentation de la créativité lorsque la durée de la pensée inconsciente est modérée, ni trop courte ni trop longue (Yang et al., 2012). Pour que l’invention ait les meilleures chances d’exister, il faut donc une alternance de

« longues durées » (exploration, manipulation libre) où l’activité est faiblement motivée,

faiblement finalisée, et de « courtes durées » (situations problématiques) à fort gradient de but (Simondon, 2014).

De plus, il est possible que pendant une réflexion inconsciente les idées soient associées avec leur connotation d’évaluation appropriées, pouvant influencer inconsciemment la sélection par les individus (Ritter et al., 2012). Une certaine sensibilité esthétique spéciale jouerait le rôle du crible, l’invention pouvant être un choix gouverné par le sens de la beauté (Poincaré, 1908 ; Hadamard, 1956). Selon Poincaré, on choisit donc consciemment quelques pistes puis on laisse l’agitation inconsciente effectuer des combinaisons créatives parmi lesquelles se trouvera la « bonne combinaison » (Poincaré, 1908). L’inconscient pourrait jouer ce rôle d’orientation en mettant en jeu des structures qui fonctionnent clandestinement parce qu’elles régissent un mode de pensée archaïque. Cette activité inconsciente crée un état de réceptivité qui prépare l’esprit à bondir sur les chances favorables pour trouver les bonnes combinaisons (Koëstler, 1964). Ces dernières se formeraient par suite d’un automatisme inconscient, mais seules celles qui affectent le plus profondément notre sensibilité accèderaient au champ de la conscience. On retrouve ici un parallèle avec le principe de

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renaissance du cycle des images développé par Simondon (2014), et que nous avons précédemment abordé.

2.3.1.2.2 L’expérience intuitive

L’intuition se caractérise non par le mouvement de viser et de saisir un objet, mais de laisser advenir et d’accueillir ce qui vient, elle nécessite une transformation intérieure. Plus qu’une manière de se rapporter au monde, elle parait comme un mode particulier « d’être au monde ». Loin de pouvoir être pressée, forcée, par un mouvement volontaire, l’émergence d’une intuition se caractérise par une certaine forme de passivité. Il faut la laisser émerger, prendre forme en une image floue, une sensation vague, en laissant le temps faire son œuvre. C’est une expérience qui est de l’ordre du mûrissement, du processus, plus que de l’action (Petitmengin, 2003). Comme nous avons pu le voir, si une intuition surgit parfois à la conscience de manière abrupte et instantanée, cette émergence correspond seulement à la partie apparente d’un processus qui se déroule dans le temps, composé d’une succession de gestes intérieurs précis. Ces derniers restent la plupart du temps pré-réfléchis, ce qui explique qu’ils aient été méconnus. Claire Petitmengin (2003) a découvert que l’intuition n’apparaît pas de manière spontanée mais bien progressive, sous la forme d’un lent mûrissement, autorisant la possibilité d’une description génétique. Il serait possible d’inverser le mouvement naturel d’abstraction de notre conscience et de retourner à l’expérience immédiate et singulière, moyennant l’apprentissage de gestes intérieurs très précis. Elle en distingue quatre principaux :

1. Le geste de lâcher prise : un « enracinement » caractérisé par un ralentissement de l’activité mentale qui permet d’accéder à un état de conscience appelé « état intuitif ». Dans cet abandon de soi, nous perdons nos points de repère habituels et les limites entre intérieur et extérieur disparaissent.

2. Le geste de connexion : la prise de contact avec l’objet de la connaissance intuitive (être humain, problème abstrait, situation…). Cet état permet « d’écouter » ses sensations de manière bien plus attentive qu’habituellement.

3. Le geste d’écoute : une attention à la fois panoramique et très fine, à l’écoute de « signaux faibles ». Un état qui permet de laisser venir et accueillir la sensation, c’est une écoute qui a perdu son intentionnalité.

4. L’intuition elle-même : dont certains sujets ont acquis une conscience assez fine pour y repérer trois instants distincts : l’instant précédent l’intuition, l’apparition de l’intuition, les instants suivant immédiatement l’intuition. Elle émerge très souvent sous une forme synesthésique (modalités sensorielles peu différenciées ou confondues). Gordon (1965) a également repéré des états psychologiques interdépendants propres à favoriser l’activité créatrice, ces états sont très similaires aux gestes intérieurs précédemment exposés : le détachement (se couper du monde), l’identification (à un objet par exemple), la

temporisation (lutter contre l’envie d’aboutir), la spéculation (laisser l’esprit vagabonder), l’autonomie de l’objet (sensation lors de la découverte d’une solution).

En conclusion, les gestes pré-intuitifs semblent donc se trouver au seuil de toute pensée, même la plus abstraite. Leur fonction est de préparer non pas l’émergence de l’intuition, mais de favoriser son émergence à la conscience. Ces gestes auraient pour effet de susciter la prise

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de conscience d’états et mouvement intérieurs subtils qui restent le plus souvent pré-réfléchis (pré-conscients), mais qui pourtant guident silencieusement toute notre vie (Petitmengin, 2003).

Nous allons maintenant présenter deux typologies de processus de créativité, en commençant par l’approche traditionnelle « basée sur les activités », puis en présentant l’approche « basée sur la cognition ». Cette dernière, que nous privilégions, sera détaillée en trois sous partie : la nature cyclique du processus, l’alternance de phases individuelles et collectives, et l’importance de l’évaluation sociale.

C’est à Sydney. J. Parnes (1967, 1981, 1992) que l’on doit certainement le fort développement de la créativité, en formalisant le Creative Problem Solving (CPS). Cette démarche bien connue intègre la recherche d’idées au sein d’un processus global. Elle comprend en amont une prise en compte approfondie du problème, et en aval la transformation des idées en solutions adaptées à la problématique, jusqu’à la préparation de leur mise en œuvre (Aznar, 2012). Ces trois temps sont subdivisés en huit phases composées chacune d’une alternance divergence- convergence, dont on remarquera la proximité de structure avec le processus de conception amont. Nous les présentons dans le Tableau 5 ci-dessous.

Etape 1 Repérer ou communiquer un besoin de changement, une nouveauté à créer, un problème à résoudre