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CHAPITRE II. IDENTITÉ D’UNE DESTINATION, TYPICITÉ /

2.3. Typicité locale et authenticité

2.3.1. La typicité locale (local distinctiveness) : un concept

Selon le Petit Larousse (2010), la typicité signifie « un ensemble de caractéristiques qui

font la particularité d’un aliment, d’un vin, d’un fromage, etc. ». Ce terme est très récent, en

effet il est apparu vers 1979/1980, utilisé pour la première fois pour désigner les caractéristiques particulières du vin (terre, cépage, techniques de vinification)8.

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L’adjectif « typique », à partir duquel est construit le substantif « typicité », est en revanche beaucoup plus ancien.

Le terme typicité renvoie en général au domaine de l’alimentation ou de produits de lieu. Il désigne souvent l’influence du terroir par ses différentes composantes naturelles (climat, sol, ressources végétales et animales, ...), et/ou le rôle des communautés humaines (savoirs faire, culture locale, histoire, ...) sur la construction des produits du terroir. En effet, la typicité liée au terroir est une construction particulière qui concrétise l’effet du terroir pour un produit donné. Un produit typique présente certains attributs de qualité unique et possède une spécificité propre liée au contexte territorial dans lequel le processus productif se réalise. Il doit sa spécificité à sa relation avec le territoire aussi bien à travers ses caractéristiques physiques qu’anthropiques.

« Venant de typique, la typicité exprime une non-banalité, une originalité. Aussi, de la

manière la plus simple, la typicité d’un objet peut se définir comme sa capacité à être différent des autres » (Trognon, 2005 : 117). Ainsi, le caractère typique d’un produit traduit

sa capacité à se distinguer parmi ses concurrents, qui résulte d’un ensemble de caractéristiques perçues favorablement (ou défavorablement) par les consommateurs. Ces caractéristiques sont liées à l’origine (histoire – géographie, démographie – sociologie, ethnologie – mentalités, flux économiques et culturels), au mode de production et de transformation (cépage, race, âge d’abattage, agriculture biologique, ...), et éventuellement au mode de commercialisation. Cette typicité doit se retrouver dans le profil sensoriel du produit et/ou ses valeurs d’usage ou symboliques. Donc, la typicité d’un produit résulte d’une combinaison de dimensions tangibles (des caractéristiques ou des signes officiels d’identifications de la qualité et de l’origine) qui objectivent la typicité en termes de critères, et des dimensions intangibles (authenticité, dimensions sensorielles, identité géographique, etc…) qui nourrissent une approche plus subjective en termes de cognition personnelle ou de perception. Les principaux repères de la typicité d’un produit alimentaire sont l’origine [géographique : espace limité et/ou historique : temps, continuité des pratiques et savoir- faire] et le goût Letablier et Nicolas (1994, cité par Trognon, 2005). Généralisant à partir du concept de typicité appliqué dans le domaine agroalimentaire, Trognon (2005) essaie d’identifier les composantes de la typicité d’un produit, qui repose d’abord sur des caractéristiques ou des attributs intrinsèques typiques (dont l’origine), mais aussi sur de

l’authenticité et de « l’encastrement social » (Granovetter, 1985 ; Grossetti, 2015)9. La typicité fait que le produit est non reproductible ailleurs.

La notion de typicité a été fortement mise à contribution dans le domaine des produits alimentaires, surtout en ce qui concerne les produits de terroir. Mais avec le temps, elle a pris des significations plus larges. Pour certains auteurs, la typicité peut être justifiée par l’expression d’un besoin apparu récemment, et désigner soit une meilleure différenciation du produit par les producteurs, soit la recherche de produits ayant des qualités particulières par les consommateurs (Cadot, 2006 ; Trognon, 2005). Par conséquent, il est souhaitable d’ouvrir le champ d’analyse et d’application de la typicité à d’autres domaines, dont le tourisme.

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L’encastrement (embeddedness), notion de sociologie économique travaillée dans les années 1980 par M.S. Granovetter, souligne la dépendance de l’activité économique à l’égard de logiques sociales plus générales. Pour Granovetter, l’hypothèse de départ est que « l’action économique est « encastrée » au sein de réseaux de relations personnelles » (Laville, 2008), qui lui donnent forme au plan institutionnel et organisationnel. C’est

La typicité est également une manière d’envisager une stratégie de développement local en matière touristique. Cette stratégie se base principalement sur des ressources spécifiques qui fournissent au produit sa qualité ou sa réputation. On peut lister les éléments de nature humaine ou culturelle (savoir-faire, pratiques, traditions) ou génétique (race ou variété locale) ou physique (climat, température, altitude, sol, etc.) et une forte composante patrimoniale et de bien public (Vandecandelaere, 2011). De la même manière, la typicité renvoie également aux caractères uniques et distinctifs possédés par un lieu précis et/ou une destination touristique. La typicité locale inclut les caractéristiques environnementales, sociales, économiques uniques d'un lieu, qui contribuent à le rendre spécial, différent de n'importe où ailleurs. La rareté, l'authenticité et la valeur durable sont donc les caractéristiques essentielles qui fondent la typicité locale (Grant et al., 2002). En permettant au territoire ou à la destination de se distinguer, ces caractéristiques contribuent ainsi à la construction de l’identité locale comme première composante de l’identité de lieu (Korpela, 1989 ; Twigger-Ross & Uzzell, 1996). Ce principe de distinction/différentiation de l’identité locale joue un rôle essentiel dans la formation de l’image de la destination, ressort fondamental pour influencer les futurs comportements chez les touristes (Kim, 2014), parce qu’elle renferment la « promesse » (implicite ou explicite) d’expériences mémorables.

Avec ces caractéristiques, une destination peut se différencier et construire une identité locale (Korpela, 1989 ; Twigger-Ross & Uzzell, 1996), qui sous-tend son image de destination, pour laquelle certains auteurs n’hésitent pas à parler « d’image de marque » (destination branding) (Echtner & Ritchie, 1993 ; Qu et al., 2011) : les attractions touristiques distinctives ou uniques au sein d'une destination déterminent la notoriété de la marque touristique qu’elle représente (Stepchenkova & Li, 2014), parce qu’elles s’inscrivent plus fortement dans les souvenirs des touristes, créant ainsi une forme de familiarité et de reconnaissance vis-à- vis de la destination qui les pousse à y revenir (Horng, Liu, Chou, & Tsai, 2012).

La typicité locale ne se fonde d’ailleurs pas exclusivement sur des ressources existantes et anciennes, telles que l'environnement naturel, les facteurs culturels ou traditionnels, mais elle peut aussi prendre appui sur des transformations contemporaines du territoire (cf. le rôle de l'industrie aéronautique dans l’image de la ville de Toulouse), ou bien être inventée/créée de toutes pièces à partir d’une démarche de communication et de marketing territorial, le cas échéant adossée à une politique publique (cf. la place de la propreté dans l’image de marque de Singapour, sous-tendue par une politique énergique doublée d’un communication active) (Clavé, 2010). L'innovation et la créativité peuvent permettre à chaque lieu de créer et promouvoir ses propres valeurs uniques ou typiques.

Ainsi, les caractéristiques de la typicité locale sont les suivantes:

Unicité, singularité (uniqueness) ou rareté : Cette caractéristique correspond à un

ancrage territorial particulièrement fort des éléments considérés, qui peuvent prendre valeur de symbole(s) dans un lieu ou un territoire donné, comme la Tour Eiffel à Paris, le festival de théâtre à Avignon ou la Baie d'Halong au Vietnam. Si l’on se réfère à un élément de ce type, les gens sont mentalement renvoyés à ce seul endroit. Cette caractéristique coïncide avec le caractère de singularité (Camus, 2004) ou d’image iconique (Grayson & Martinec, 2004) de l’authenticité. Cette unicité peut venir simplement des ressources naturelles territoriales ou résulte particulièrement d’un processus de construction sociale et territoriale qui combine de nombreuses dimensions : culturelle, économique, juridique, management, marketing, patrimoniale, technique, technologique (Trognon, 2005). La non

reproductivité dans d’autres territoires devient un critère important. La typicité locale qui résulte de l’offre potentielle d’actifs et de ressources spécifiques territoriales (François, 2008) permet de jouer de la rareté ou de l’unicité comme du principal facteur de différenciation des espaces.

La distinction ou la représentativité (distinctiveness) en termes de qualité ou de quantité

: Ce facteur est souvent associé à un certain nombre de valeurs marquantes qui existent également ailleurs mais n’ont pas la même qualité ou réputation que dans le territoire considéré, à l’image, par exemple, des ressources florales en Hollande. Dans le domaine des produits alimentaire, la typicité est synonyme de qualité, comme un jugement implicite de valeur (Trognon, 2005). Au niveau d’un territoire, cette caractéristique se traduit par la qualité ou la représentativité des facteurs de l’environnement naturel (climat, paysages, montagne, etc.) ou des produits issus de la combinaison de ressources spécifiques territoriales. Outre la qualité, il faut tenir compte aussi des dimensions liées à la culture locale et à la nature identitaire des ressources territoriales mobilisées (François, 2008). La valeur de durabilité peut être aussi mise en avant comme un critère essentiel, d’autant plus que la typicité locale est elle-même souvent menacée par les impacts de formes excessives ou non contrôlées de développement (Grant et al., 2002).

Authenticité / originalité : L’authenticité est considérée comme une composante de la

typicité (Grant et al., 2002 ; Trognon, 2005). Concernant un produit, l’authenticité non seulement garantit le respect effectif de ses caractéristiques tangibles, mais aussi donne du sens à l’environnement (de la production ou de la consommation) qui l’accompagne. L’authenticité de l’environnement du produit concerne plutôt les caractéristiques intangibles comme la nature des matières premières, des races animales, des cépages, le mode de production, la nature et attitude des acteurs etc. (Trognon, 2005).

Appliqué à un objet particulier, l’authenticité représente ainsi l'origine et/ou l'original, par opposition à la copie. L'authenticité dans ce cadre porte sur l'origine, le lieu d'origine, au plan géographique comme au plan historique (Trognon, 2005). Ce sens est présent dans l’idée de typicité locale, l’authenticité procédant ici de la fidélité à l'esprit du lieu (Grant et al., 2002). Elle est donc étroitement liée à l'identité d'un lieu, ainsi qu’à la culture vernaculaire et aux pratiques habituelles de ses habitants (Croes, Lee, & Olson, 2013). Attachée aux objets et aux lieux, cette l’authenticité peut être qualifiée d’objective si elle est évaluée en fonction de critères précis par un acteur en position d’expert, ou de subjective sir elle correspond simplement à une perception non étayée, par exemple le ressenti d’un touriste (Wang, 1999). Wang souligne ici que l’authenticité peut être envisagée comme un construit dynamique, dans la mesure où la typicité émerge non seulement des ressources territoriales mais provient aussi des interactions entre l’homme et le territoire, elles-mêmes susceptibles d’évoluer au gré des changements du territoire lui-même et des influences extérieures. Cette authenticité subjective peut être qualifiée d’authenticité émergente ou construite.

L’authenticité « existentielle », enfin, renvoie aux expériences des individus et à la manière dont elles se trouvent intégrées au fonctionnement de leur personnalité psychique et émotionnelle, et à leur manière de vivre (Wang, 1999). Cette authenticité existentielle se entre en jeu dans l’interaction entre le produit et l’acheteur durant l’acte de consommation : processus de construction de l’authenticité englobe ici le produit ou le service, l’usage fonctionnel ou rituel associés à l’ancrage historique et local du produit (Cova & Cova, 2001).

On voit ici combien la notion d’authenticité peut sembler proche de celle de typicité. Les deux expriment une idée de conformité à une catégorie « réelle » (Trognon, 2005), les deux interviennent dans la construction de l’image unique de destination (Echtner & Ritchie, 1993 ; Pan & Li, 2011), et les deux entretiennent des lien étroits avec l’attachement au lieu (Scannell & Gifford, 2010 ; Tsai, 2012), les expériences mémorables des touristes (Kim, 2014 ; Tung & Ritchie, 2011), l’identité de lieu (Twigger-Ross & Uzzell, 1996 ; Wang & Chen, 2015 ; Wang & Xu, 2015) ou l’identité régionale (Sani & Mahasti, 2012) Dans une certaine mesure, elles semblent s’entre-déterminer mutuellement. Dans ce sens, il est important de voir un peu plus précisément le lien entre la typicité locale et le concept d’authenticité.