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CHAPITRE I. L’EXPÉRIENCE TOURISTIQUE

1.2. L’expérience touristique : approche large versus approche « expérientielle »

1.2.2. Approche expérientielle : la partie mémorable et/ou la partie « réussie » de l’expérience

1.2.2.1. L’économie de l’expérience et le tourisme

Dès les années 70s, Alvin Toffler (1970) a suggéré que l'économie post-service serait caractérisée par la production et la consommation d'expériences en utilisant plusieurs termes tels que « industrie psycho-service » (p. 232), « production expérientielle » (p. 227), «

économie post-service » (p. 226), « expérience psychologique » (p. 227). L’économie de

Business Review pour proposer un cadre aux entreprises commerciales dans le but de les

encourager à passer de simples prestations de services à « une offre de marché

expérientielle » tout en soulignant que l’expérience devient un facteur de différenciation de

plus en plus important. Depuis, l’économie de l’expérience est devenue un paradigme émergent pour améliorer la performance des entreprises dans un large éventail d'industries (Gilmore & Pine, 2002 ; Pine & Gilmore, 1999). Le concept d'économie de l'expérience a reçu ces dernières années une grande attention dans différents domaines d'études dont le tourisme, l'urbanisme, la géographie, les études commerciales et entrepreneuriales, etc. Cependant, Ritchie, Tung, & Ritchie (2011) soulignent que la recherche sur l'économie de l'expérience n'en est qu'à ses débuts.

Selon Pine & Gilmore (1998), l’économie de l’expérience est fondée sur la progression de la valeur économique à travers quatre stades historiques : l’économie des matières premières basée sur la production des marchandises de la terre ; l’économie industrielle basée sur la grande quantité et la standardisation des produits manufactures ; l’économie de services basée sur la qualité des services ; et l’économie de l’expérience basée sur la création d’expériences émotionnelles, inoubliables et personnalisées. Plus précisément, Pine & Gilmore (1999) suggèrent deux dimensions de l'expérience des consommateurs en fonction de : (1) le niveau de leur participation (c.-à-d. leur implication personnelle) et (2) la connexion qui les unit avec des événements ou des performances particulières (c'est-à-dire l'absorption et l'immersion). En accord avec ce modèle conceptuel, l’expérience du consommateur est caractérisée par quatre construits : l’aspect éducatif (le désir d’apprendre), l’évasion (le désir de partir et faire quelque chose), l’aspect esthétique (le désir de s’immerger dans un environnement extraordinaire) et le divertissement (le désir de moments ludiques et récréatifs). De même, pour Sundbo & Sørensen (2013), le processus expérientiel implique plaisir et apprentissage. Cet apprentissage peut être considéré comme un processus de socialisation (Delphine & Crevoisier, 2015)

En termes de marketing, Carù & Cova (2006) ont proposé de même cinq dimensions pour caractériser une expérience de consommation: 1) les spécificités de l’acteur expérientiel ; 2) le processus de génération de consommation expérientielle ; 3) le champ d’application principal ; 4) l’étendue de son impact ; et 5) la validation sociale du marketing expérientiel. Selon eux, pour produire une expérience de consommation, il faut considérer trois facettes: 1) le décor, le design, la mise en scène, en accordant une attention spéciale à la stimulation poly-sensorielle ; 2) la participation active du consommateur aidée par des facilitateurs de toute nature qui précisent les rôles de chacun dans les rituels mis en jeu autour de l’offre de l’entreprise ; et 3) le récit, l’histoire, l’intrigue qui se nouent et dont le rôle le plus important est de stimuler la fixation des souvenirs, le plus souvent sous la forme de produits dérivés. Dans une perspective managériale, le marketing expérientiel (Hetzel, 2002 ; Schmitt, 1999) est fortement recommandé comme une nouvelle orientation qui met en avant des expériences extraordinaires, inoubliables et totalement adaptées aux besoins du consommateur (Carù & Cova, 2006). C’est l’association de ces trois caractéristiques « personnalisation – émotion – souvenir » qui permet de distinguer la notion d’« expérience » des notions classiques de « service » ou de « produit ».

Puisque dans l'économie de l'expérience, l'accent est mis sur la création d'expériences pour le plaisir du consommateur (Schmitt, 1999), les recherches en marketing conduisent à intégrer de nouveaux contenus à l’expérience du consommateur : ce dernier n’est plus un

à travers la recherche du sens (Carù & Cova, 2006), la participation active (Carù & Cova, 2006 ; Pine & Gilmore, 1999), et les significations symboliques associées au produit ou aux services consommés (Arthur, 2011).

De leur côté, les consommateurs montrent un désir plus fort pour les expériences stimulantes (Carù & Cova, 2006 ; Schmitt, 1999). Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, le consommateur en profite pour demander des expériences comme un « ensemble global d'avantages » (Silk, 2006). Prahalad & Ramaswamy (2004) reconnaissent le consommateur comme un acteur clé de l'économie de l'expérience et envisagent une co- création de l’expérience, dans laquelle le consommateur est directement impliqué dans sa réussite (Carù & Cova, 2006). Les clients contribuent activement à la création de valeur et à la formation de leurs préférences (Delphine & Crevoisier, 2015). Ainsi, les interactions entre les producteurs et les consommateurs, qui servent de plate-forme pour la co-création d'expériences distinctives, deviennent le cœur du paradigme de l’économie de l’expérience.

Plusieurs auteurs réalisent que les consommateurs contemporains recherchent de plus en plus les expériences authentiques (Beverland & Farrelly, 2010 ; Carù & Cova, 2006 ; Cohen, 1988 ; Gilmore & Pine, 2007 ; Waller & Lea, 1998). Par conséquent, l'authenticité est érigée en nouvel impératif commercial pour les destinations. Cela pourrait signifier que pour que les entreprises obtiennent un avantage concurrentiel durable, elles doivent se détourner de l'offre d'expériences qui sont aujourd’hui souvent « hyperréalistes » (Firat, Dholakia, & Venkatesh, 1995 : 41), pour leur préférer des expériences authentiques. Une des dimensions majeures de la consommation actuelle est, en effet, le recours à l’hyperréalité. On peut clairement observer aujourd’hui une tendance chez les consommateurs à préférer l’expérience simulée à la réalité (Carù & Cova, 2006), ou une expérience vécue dans un contexte de plus en plus spectaculaire et extravagant (Ritzer, 2005). Ces interrogations sur la place et le rôle de l’authenticité dans les expériences renvoient toutefois à des questions de perspective (l’authenticité de quel point de vue, celui de l’offre ou celui de la demande ?) et de même de définition de cette notion qui, en dépit de sa valeur heuristique, « n’est pas stabilisée » (Cravatte, 2009).

Delphine & Crevoisier (2015) ont également souligné que le temps et l’espace contribuent à la création des expériences inoubliables pour les consommateurs. Les expériences sont ancrées dans la connaissance culturelle des personnes. Par conséquent, les clients contribuent activement à la création de valeur et à la formation de leurs préférences car ce qui compte est d’ « expérimenter » un produit, un service ou un lieu. C’est un processus de construction de valeur qui demande au moins deux « moments » et/ou « deux

lieux » car c’est ce décalage temporel et/ou spatial permet à la consommation d’un produit

ou d’un service de devenir mémorable.

L'un des plus grands générateurs d'expériences est l'industrie du tourisme (Niculescu, 2010). Dès les premières études portant sur l’économie de l’expérience, le tourisme est toujours mentionné comme exemple pour illustrer les caractéristiques de l’économie de l’expérience. Les études antérieures ont tenté de conceptualiser et développer des dimensions et des échelles permettant d’adapter le concept de l’économie de l’expérience aux différents contextes dans le secteur (Kim, Ritchie, & McCormick, 2012 ; Loureiro, 2014 ; Oh et al., 2007). Dernièrement, certaines études ont été réalisées pour opérationnaliser le concept de l’économie de l’expérience dans différents sous-secteur du tourisme. Oh et al. (2007) développent une échelle de mesure fondée sur les quatre construits expérientiels de

l'économie de l'expérience suggérés par Pine & Gilmore, (1999) pour comprendre les composantes expérientielles perçues par les touristes de types « bed & breakfast ». Plusieurs études postérieures ont appliqué cette échelle de mesure dans différents contextes touristiques tels que l'œnotourisme (Quadri-Felitti & Fiore, 2012), le tourisme rural ( Loureiro, 2014), les hôtels (Apivantanaporn & Walsh, 2013), les festivals (Dieck, Jung, & Rauschnabel, 2018), pour examiner leur relation avec d'autres variables psychologiques ou les valeurs obtenues (Chang, 2018). Kim, Ritchie, & McCormick (2012) ont abordé des expériences touristiques mémorables et ont développé une échelle de mesure qui est largement appliquée dans le domaine du tourisme. Les expériences mémorables sont devenues un courant de recherche important, qui questionne les éléments participant à la l’intensification du côté expérientiel de l’expérience.

Ces dernières années, l’effort pour appliquer l’économie de l’expérience en matière de tourisme a conduit à créer, et à utiliser de plus en plus souvent le terme le « tourisme

expérientiel ». S’agit-il juste d’un effet de marketing pour attirer l’attention des touristes ou

d’une forme de tourisme ou encore d’une nouvelle approche pour voyager ? La partie suivante va tenter de répondre à cette question.