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La théorie physiologiste périphérique & réflexive

1.4 Les différentes théories des émotions

1.4.1 La théorie physiologiste périphérique & réflexive

William James développa un modèle simple des émotions selon lequel « chaque

réflexe que déclenche l’excitation venue de l’objet » (James 1884). Pour W. James, les

émotions sont des réflexes physiologiques égaux à ceux déclenchés par l’action d’un marteau sur un genou. Ainsi les émotions sont du domaine de la physiologie plus que de celui de la philosophie, James ne reconnaît pas ainsi le rôle central du cerveau dans le processus émotionnel.

Il montre dans son ouvrage « la théorie de l’émotion » en quoi les instincts sont proches des réactions émotionnelles (James 1884). Il montre par certains aspects une approche cognitive, ou comment des éléments déclencheurs d’émotions (qu’il nomme « objets ») peuvent être différents d’éléments strictement physiques. Ainsi une émotion, un rire, peut être produit par l’observation d’une situation cocasse, ou simplement par sa re- mémorisation… La mémoire joue donc parfois un rôle important dans le déclenchement d’une émotion, au même titre que les instincts (Darwin).

W. James met en cause le système vasomoteur composé des muscles et de leurs nerfs, dans l’apparition des effets observables de la tristesse (James). Il définit les émotions comme idiosyncrasiques6, comme Darwin l’avait montré avant lui, mais pour James les objets émotionnels le sont aussi. Il admet que les études descriptives ont aussi montré que de grandes tendances sont cependant distinguables, mais James se refuse à une catégorisation des émotions. De la même façon il se plaint du volume des études descriptives réalisées jusqu’alors et « ne voit pas plus d’intérêt à la lecture de ce genre d’ouvrages qu’à la lecture

de description prolixe de la forme des rochers du New Hampshire ». Nous verrons par la suite

que ce rejet systématique semble aussi une limitation à sa propre réflexion.

William James cherche à définir un cheminement logique des émotions, plutôt que de s’employer à les décrire. De son point de vue les émotions ont une origine physiologique, il se réfère aux travaux de Lange (1885) sur la théorie de leur constitution et de leur conditionnement, tout en précisant qu’il avait lui-même initié cette théorie en 1884 dans un article du Mind (James 1884).

Jusqu’à l’écriture de son ouvrage, il était établi que le schéma des émotions était celui- ci : la perception mentale d’un fait, produit l’affection mentale appelée émotion, (James) ce dernier état d’esprit donne naissance à l’expression de l’émotion corporelle. La théorie de W. James définit que « les changements corporels suivent immédiatement la perception du fait

existant, et que le sentiment que nous avons de ces changements à mesure qu’ils se produisent

6L’idiosyncrasie est le comportement particulier, voire atypique, d’un individu face aux influences de divers agents extérieurs.

c’est l’émotion ». W. James explique que sa théorie se fonde sur notre incapacité à gérer nos

émotions (James). Ainsi, si nos émotions étaient véritablement le fruit d’une logique cognitive (objet déclencheur, cognition et réflexion générant une émotion puis déclenchement des aspects physiologiques de celle-ci), nous pourrions « voir un ours et trouver à propos de

nous enfuir… ». Ou encore « recevoir une insulte et juger bon de frapper ». W. James

exprime ici le fait que nos émotions ne sont pas issues d’une réflexion intelligente et consciente, mais que de nombreuses expressions de nos émotions sont réflexives, pour lui la question principale reste de savoir si l’émotion déclenche l’expression physiologique de celle- ci ou si les réactions physiologiques réflexives de survie conduisent à la prise de conscience des émotions. J. LeDoux reprendra en partie un siècle plus tard les questionnements de W. James pour fonder sa théorie sur le double trajet des informations nerveuses dans le cerveau et du traitement simultané des informations par le cortex cérébral et par l’amygdale du cerveau. James pose la question qui semble fondamentale : que reste-t-il d’une émotion si l’on en retire les sensations et les agitations viscérales ? Peut-on imaginer la colère sans ses effets de bouillonnements intérieurs, de coloration du visage… Pour W. James, si l’on retirait toutes les manifestations physiques d’une émotion, il ne subsisterait que le jugement intellectuel déchargé de toute passion.

Pour appuyer sa théorie W. James utilise de nombreuses fois la métaphore entre émotion et réflexe, les émotions ne sont pour lui que le fruit d’une mécanique physiologique (James). Cependant il mentionne que dans le cas de pathologies qu’il décrit comme « de

presque total état végétatif » (qui seraient en fait décrites comme des pathologies

tétraplégiques aujourd’hui), il est rapporté à l’époque que plusieurs témoins ont observé que des patients avaient traduit plusieurs émotions, ce qui ne plaide pas en faveur de la thèse de William James. Il concède d’ailleurs que ces cas cliniques n’ont pas été pris en compte dans les recherches psychologiques et qu’ils devront l’être dans le futur.

De même, l’examen des objections menées par James dans son ouvrage est à remettre dans le contexte relativement pauvre de la science neurobiologique de l’époque. Il est évident pour le lecteur actuel que ces objections ne soutiennent pas sa théorie et s’expliquent par la science cognitive et neuronale. James n’explique pas ce qu’il appelle des « cas d’aliénation

mentale » par la cause de chocs mnésiques ou psychologique, qui font le terrain de jeu de la

psychanalyse moderne : pour lui tout est question de réactions physiologiques réflexives, il n’y a pas de causalité entre l’environnement et les réactions de l’individu à celui-ci, et nos émotions ou pathologies psychologiques. Pour lui tout est question de réactions réflexives du

corps qui produisent une prise de conscience émotionnelle.

Dans sa théorie de l’émotion, James explique que laisser libre cours à ses passions, ses émotions, c’est les augmenter proportionnellement, a contrario se donner un laps de temps en comptant par exemple jusqu’à dix avant de laisser libre cours à sa colère, permet de définir le sujet même de cette colère comme ridicule et sans intérêt. Ces concepts de gestion des émotions rejoindront, nous le verrons plus tard, ceux de Daniel Goleman sur ses principes de développement de l’intelligence émotionnelle. L’ensemble des émotions naissent de ce que W. James appelle un courant, ou flux nerveux, qui parcourt le corps les muscles, les organes de cellule en cellule (James) ceci après activation par un objet (vecteur émotionnel). Ainsi les courants contraints dans le corps augmenteraient l’activité cérébrale et la pensée, ce qui pourrait expliquer pour James les accidents cérébraux (James).

W. James fait une distinction entre ce qu’il définit comme les émotions délicates et les émotions grossières. Les émotions délicates seraient celles qui sont suscitées par l’objet de beauté (James), musique, peinture, littérature…, les émotions grossières étant celles de la peur de la colère ou du dégoût. Cette distinction rejoint la classification des émotions primaires, secondaires et tertiaires décrit par Plutchik, à ceci près que les émotions « délicates » de W. James correspondraient à des émotions sociales mixtes et que la joie produite par l’objet du beau reste une émotion « primaire ».

Malgré la mise en place de sa théorie physiologiste périphérique, W. James admet que l’avenir de la biologie neurologique lui donnera raison ou tort (James). Il précise aussi que c’est sur le chemin des courants reflexes cognitifs qu’il faut de son point de vue travailler davantage. Il est important dit-il de définir le rôle des centres nerveux locaux et leur fonctionnement en liaison avec le système nerveux central (James), et explique les phénomènes d’émoussement, de diminution des émotions devant la répétition d’un même « objet », par la capacité adaptative à l’économie des voies nerveuses par lesquelles nos sensations et nos émotions se déchargent. Ainsi plus un «objet peur » crée un nombre de séries importantes et plus la connaissance de l’« objet » augmente et devient riche. Ces constations auraient sans doute dû éclairer James sur les limitations de sa comparaison avec le modèle réflexif. En effet le test du marteau réflexe sur le genou ne voit pas ses effets réflexifs musculaires diminuer en fonction de la répétition de son application. Nombre de ces constats sont effectivement devenus pertinents au regard de la biologie moderne, mais la base de la

théorie de James, même si elle met en évidence la possible activation des émotions par une écoute du SNA (Système Nerveux Autonome7), sera rapidement contestée par de nombreux chercheurs.

De plus, W. James renvoie de nombreuses fois dans son ouvrage « La théorie de

l’émotion8

» aux articles et théories de C. Darwin sur l’expression des émotions, comme celle

de l’antithèse. Pour James cette théorie est imparfaite et ne donne nullement de piste de causalité. Ces remarques de W. James ne semblent pratiquées que dans le but de jeter le doute sur les anciennes théories évolutionnistes pour mieux positionner la sienne. Se référant aux travaux des professeurs Mosso et Bain, il pratique presque l’ironie pour désigner les caractéristiques morbides de la peur émotionnelle comme tellement imparfaites que ne pouvant être que le fruit d’une connexion nerveuse périphérique sans lien avec une quelconque évolution du système nerveux central (James). Remarquons que dans de nombreux cas, la paralysie de terreur survient quand la fuite n’est plus possible et que la meilleure tactique de défense reste le camouflage dans la rigidité la plus totale, ou l’apparence de la mort qui lasse le prédateur dans un contexte hostile.

Ainsi la théorie de James sera rapidement décriée, notamment par Walter Cannon et Philip Bard, soutenant la théorie physiologiste centrale des émotions. Mais la théorie de W. James aura eu le mérite de mettre en évidence le fait que l’information ne suive pas qu’un seul chemin dans le système nerveux central, ce que les travaux de Joseph LeDoux (LeDoux 1999) et Antonio Damasio (Damasio) mettront plus tard en évidence.

D'un point de vue physiologique William James optait pour un rôle majeur des cortex frontaux moteur et arrière, sensitifs dans les émotions. Hors les travaux de nombreux chercheurs montreront dès la moitié du XXème siècle que ces cortex ne sont pas toujours sollicités dans l'activation émotionnelle (Boring 1950). Notons que William James nous éclaire aussi sur les capacités de modifier un état émotionnel psychologique par l’adaptation d’une attitude, d’une posture, physiologique…

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Le SNA Système Nerveux Autonome décrit par Langley en 1903 est la partie du système nerveux responsable des fonctions automatiques, il contrôle les muscles lisses, les muscles cardiaques les glandes exocrines et

certaines glandes endocrines. On l’appelle aussi SNV ou Système Nerveux Viscéral depuis 1997.