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Chapitre 2 La Réalité virtuelle, la Présence et le Flow

2.1 Définitions de la réalité virtuelle

2.2.7 Définitions de la présence

La présence est intimement liée à l’immersion, elle est définie aujourd’hui par la majorité des médiateurs de réalité virtuelle comme l’élément déterminant de la réussite d’une expérience de réalité virtuelle, que celle-ci soit une simulation aux vertus sensibilisatrices, ludiques ou pédagogiques. Si la réalité virtuelle existe maintenant depuis plus de quarante- cinq années et les premières expériences de Donald Sutherland sur les HMD, il faut bien convenir que cette science est souvent considérée comme tout au plus un nouveau médium au même titre que la télévision ou le cinéma, capable de produire une simulation imparfaite de notre monde réel (Slater 2009). C’est parce que l’enjeu de la réalité virtuelle est bien de transcender notre monde réel pour nous transporter dans d’autres univers, que l’étude de la présence, définie comme le sentiment «d’être ici», la sensation d’être présent dans une autre

28 La proprioception désigne la perception de soi-même, consciente ou non, en rapport avec la position des

différents membres et de leur tonus, en relation avec la position du corps dans l’espace et son rapport à l’attraction terrestre.

29L’intéroception désigne la perception par le système nerveux des modifications ou des signaux provenant des viscères, des muscles, des tendons et articulations.

dimension est primordiale pour de nombreux chercheurs.

Grâce à sa capacité imaginative, l’être humain est capable de planifier, d’interpréter des environnements qu’il ne connaît que par la transmission orale ou la lecture, cette capacité ayant largement participée à la survie de notre espèce. Cette capacité imaginative permet aussi de s’extraire du réel lors de la lecture d’un roman, ou au visionnage d’un film. Mais si ces mediums participent souvent à une activité émotionnelle non contrôlée qui pourrait laisser penser que nous sommes en situation de présence, (notre cœur s’emballe à la lecture d’une scène atroce ou nos poils se hérissent à la vision d’une scène d’horreur), dans aucun cas notre présence en ces médiums est telle, que nous fuyons à la lecture d’une scène d’incendie ou nous ne quittions la salle d’un cinéma quand dans un film un vaisseaux spatiale explose (Sanchez-Vives 2005).

Une approche techno-centrée de la présence

La présence a d’abord été définie comme la télé-présence. Le concept fut introduit par Minsky (Minsky 1980), pour décrire le sentiment de projection que peut avoir un opérateur utilisant un système de télé-opération. Dans ce cas les caméras montrant la scène distante deviennent les yeux de l’opérateur, et celui-ci peut se sentir comme transporté dans le lieu distant. Sheridan proposa ensuite d’utiliser le terme de « virtual presence » pour définir le sentiment suscité par les environnements virtuels (Sheridan 1992). Reeves (Reeves 1991) puis Slater (Slater, Usoh et al. 1994) proposent l’emploi de l’expression «being there» (être là) pour définir le sentiment d’être présent dans un environnement virtuel. La définition de la présence proposée par Mel Slater inclut le concept d’être là : « l’utilisateur est ailleurs que là où il est physiquement, le « ailleurs » est formé par les images, sons et sensations physiques fournis aux sens de l’utilisateur par le système générant l’environnement virtuel. ». Dans une définition très proche de celle de Slater, Ellis propose de défendre une approche plus sensorielle : «le processus par lequel une personne interprète des impressions sensorielles

pour représenter des objets dans un environnement autre que celui dans lequel la personne existe vraiment » (Ellis 1991).

Une illusion et une non-médiation

Le concept « d’être là » est associé à la perception sensorielle de l’environnent virtuel et à la façon dont les utilisateurs percevant les stimuli de l’environnement virtuel formalisent une représentation mentale de ce qui les entoure. Ce concept de présence est défini aujourd’hui comme l’approche technologique de celle-ci. Lombard et Ditton (Lombard and Ditton 1997) créent une définition très synthétique de la présence : «Une illusion perceptive

de non-médiation» ; cette définition met l’accent sur l’illusion d’être là tout en oubliant, parce

que celles-ci deviennent transparentes, invisibles, les différentes interfaces sensorielles. Ainsi, l’expérience de réalité virtuelle n’est plus perçue comme médiatisée, mais comme une expérience bien réelle.

Toutefois la simple stimulation des sens, quelle qu’en soit la qualité, n’implique pas systématiquement la production d’un grand sentiment de présence et cette vision techno- centrée oublie le rôle important de la psychologie de l’utilisateur. Il faut attendre la définition de Lee (Lee 2003) qui reprend le principe de transparence du médium de Lombard & Ditton tout en ajoutant la prise en compte du concept de présence psychologique : « un état

psychologique dans lequel la virtualité de l’expérience n’est pas perçue ».

Aux conceptions technologiques de la présence des chercheurs comme Biocca ont opposé une vision psychologique (Biocca and Delaney 1995, Biocca 2003), d’autres soulignent que les émotions sont une composante essentielle de la présence (Lee 2007).

Une approche psychologique

C’est pour distinguer ces deux aspects, l’un définissant notre proprioception, notre kinesthésie et l’autre la crédibilité de ce que nous voyons ressentons et entendons, que Mel Slater propose les concepts de Place Illusion (PI) et de Plausability Illusion (Psi) (Slater 2009). PI est définit comme la sensation d’être dans un véritable endroit, et Psi comme la crédibilité du monde qui nous entoure, l’illusion que le scénario qui est déroulé devant nous est réellement en train de se passer.

La présence procède de deux types d’illusions, l’illusion perceptuelle correspondrait à PI, elle est produite par la technologie, c’est tout ce que le corps de l’utilisateur ressent de proprioceptif et d’intéroceptif. La seconde illusion est psychologique, l’attention et les émotions participent activement à celle-ci, elle est consciente et inconsciente, elle peut être cognitive, dans le cas du Gestalt. C’est cette illusion qui produit la Psi.

Du point de vue du philosophe américain N. Bostrom, la réalité virtuelle ne peut pas mener à une présence totale, celle où l’on ne peut plus percevoir que l’on est dans un environnement virtuel, car en réalité virtuelle les systèmes locuteurs ne sont pas « transparents » et la conscience de l’existence de ces systèmes par l’utilisateur empêche la mise en place d’une présence absolue.

Nick Bostrom propose le concept de réalité simulée, une simulation où nous ne pouvons distinguer la différence avec le réel (Bostrom 2003). La théorie de N. Bostrom selon laquelle nous pourrions vivre actuellement dans une réalité simulée, s’appuie sur plusieurs items :

i. Il est possible qu’une civilisation avancée puisse créer une simulation informatique qui contient des individus avec une intelligence artificielle (I.A).

ii. Une telle civilisation pourrait lancer simultanément plusieurs millions de ce type de simulation. (pour le plaisir, pour de la recherche scientifique, ou pour d’autres raisons…).

iii. Un individu simulé dans le programme, ne saurait pas nécessairement qu’il est dans une simulation. Il vaque à ces occupations en considérant être dans le “vrai monde”.

Pour N. Bostrom, la véritable question est donc : si nous considérons que les premiers items sont possibles, laquelle de ces deux options l’est le moins ?

a) Nous sommes, l’une de ces civilisations qui développent des IA et nous ne sommes pas une civilisation simulée.

b) Nous sommes une de ces millions de civilisations simulées (comme le précise le point iii.)

La théorie de N. Bostrom est à la base de nombreux scénarios de films d’anticipation comme Avalon (Oshii 2001) ou la trilogie de Matrix (Wachowski and Wachowski 1999). Mais le concept de monde parallèle est aussi ancien que la littérature, il était présent pendant la période médiéval ainsi que dans le théâtre religieux de la renaissance. L’autre monde, comme dans le chamanisme, est souvent décrit comme celui des rêves.

Nous avons vu précédemment que le rêve pouvait être considéré comme une autre réalité (Descartes 1649, Watson 1968). Si, dans les conditions d’un rêve, notre niveau de

présence peut être indéniablement élevé à son plus haut point, comme le montre les somnambules, nous pouvons définir le rêve comme l’égal de la réalité simulée de N. Bostrom en termes de présence. Notre point de vue est celui d’une présence issue de la conjonction entre les retours sensoriels issus d’un médium transparent et une conception émotionnelle et psychologique de la présence pouvant dépendre de la notion de « jouer le jeu » de l’utilisateur. Nous proposons le schéma suivant illustrant les niveaux de la présence.

Figure 22, Proposition de schéma évoquant les niveaux de présence.

Dans cette proposition de formalisation de la présence, le rêve est l’égal de la réalité simulée, mais les moyens de parvenir à la présence absolue, (celle où l’on n’a plus conscience d’évoluer dans une virtualité) ne sont pas les mêmes dans les deux cas (Pillai 2013, Pillai, Schmidt et al. 2013). Pour parvenir à cet état dans le rêve, et pour reprendre le triangle sémiotique virtuel (Grumbach 2003), il n’y a pas de locuteur entre le sujet et l’objet. En revanche dans le cas de la réalité virtuelle, le système interactif est le locuteur, qui évoque la réalité ; il est lié de manière cognitive à la conceptualisation de l’environnement virtuel par le Gestalt. De notre point de vue les émotions jouent un rôle important dans la mise en place de Psi, intimement lié à la réalité auto évoquée.

Les moyens de parvenir à la réalité simulée évoquée par Bostrom (Bostrom 2003) nous sont aujourd’hui inconnus, dans la mesure où le système locuteur doit devenir totalement transparent, l’utilisation de catalyseurs hormonaux de l’attention comme certaines drogues

agissant sur la décharge neuronale pourraient être un des moyens à envisager.