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Principe général

La structure théorique permettant de comprendre un grand nombre de maté- riaux est basée sur deux solides piliers : la théorie des bandes décrivant les états électroniques en termes de bandes d’énergie et la théorie de Landau des liquides de Fermi avec la notion de quasi-particules. Ces deux paradigmes définissent une sorte de "modèle standard" de la théorie quantique des solides. En décrivant des électrons soit localisés ou délocalisés sur un réseau, ces deux piliers ne peuvent pas traiter le passage d’un état électronique localisé à un état électronique itinérant. C’est là que la théorie de champ moyen dynamique (Dynamical Mean-Field Theory ou DMFT) entre en jeu.

La DMFT, développée en 1992 par Antoine Georges et Gabriel Kotliar [30] (et indépendamment par Mark Jarrell [31]), donne une importance centrale au fait que les solides sont avant tout faits d’atomes et qu’un atome isolé est déjà un petit problème à N -corps en soit qui doit être décrit correctement dès le départ. Au cœur de cette approche se trouve l’idée physique sous-jacente que la dynamique à un

site donné peut être pensée comme l’interaction des degrés de liberté locaux à ce site avec un bain externe créé par tous les autres degrés de liberté sur les autres sites, comme l’illustre la figure Fig.3.1. On représente alors la fonction spectrale locale du solide comme étant celle d’un atome baignant de façon auto-cohérente dans un bain effectif. Comme dans le cadre du modèle d’Ising, l’approximation de champ moyen devient exacte dans la limite où la coordinence du réseau devient très grande. Il est en effet assez intuitif que les voisins d’un site donné du réseau puissent être globalement traités comme un bain externe si leur nombre devient très grand. Il faut aussi que les fluctuations spatiales du champ moyen local deviennent négligeables pour valider cette approximation, ce qui est le cas à haute température ou en dimension infinie par exemple.

BAIN CHAMP MOYEN

F i g u r e 3.1Illustration du concept de champ moyen. Les théories de champ moyen transforment un problème sur réseau en un problème effectif où un site est couplé à un bain de façon auto-cohérente.

Cette construction peut être étendue aux systèmes quantiques à N-corps. Les étapes clés ayant mené à cette généralisation quantique ont été l’introduction de la limite des grandes coordinences de réseau pour les modèles de fermions en interaction par Metzner et Vollhardt [32] et la cartographie de ce problème en un problème auto-cohérent d’impureté quantique par Georges et Kotliar [30], qui ont établi le cadre de travail de la DMFT (voir aussi [33] pour une liste de références).

La DMFT peut être utilisée pour étudier le problème à N-corps de particules quantiques en interaction en utilisant le modèle de Hubbard à une bande suivant

[30,34–36] : ˆ HHubbard=−X i,j σ  tijdˆ†djσˆ + c.h+ U N X i=1 ˆ niniˆ+ (ε0− µ)X i,σ ˆ niσ (3.3)

où ˆniσ= ˆd†diσ. L’énergie ε0ˆ du niveau atomique à un électron a été introduite afin que le problème soit plus général. Naturellement, pour le cas à une bande, tout dépend uniquement de l’énergie ε0 − µ par rapport au potentiel chimique global et on pourrait ainsi poser ε0 = 0.

La quantité physique sur laquelle la DMFT se focalise est la fonction de Green localeà un site i donné du réseau :

loc(τ − τ0) = −D ˆTτdiσ(τ ) ˆˆ d†iσ(τ0) E

ˆ HHubbard

. (3.4)

Dans la théorie de champ moyen du modèle classique d’Ising, l’aimantation locale est représentée comme celle d’un spin au site i couplé à un champ de Weiss effectif. De manière complètement analogue, nous allons introduire une représentation de la fonction de Green locale comme étant celle d’un atome unique couplé à un champ de Weiss quantique. En reprenant les notations des opérateurs de la sous-section Sous-Sec.2.9, on introduit le modèle d’impureté d’Anderson (Anderson Impurity Model ou AIM)

ˆ

HAIM = ˆHimp+ ˆHbain+ ˆHcouplage (3.5) au sein duquel ˆ Himp = (ε0− µ)(n↑ + n↓) + U n↑n↓ ˆ Hbain = X ν,~k,σ εbainν~kσ ˆc† ν~kσˆcν~kσ ˆ Hcouplage = X ν,~k,σ  Vν~kσdˆ†σˆcν~kσ + c.h (3.6)

où ν est l’indice de bande. ˆc(ν~kσ†) / ˆd(σ†) est l’opérateur d’annihilation (création) des électrons libres dans le bain / sur le site isolé. En commençant à partir d’un ha- miltonien général, on sépare les degrés de liberté atomiques d’un site du réseau appelé impureté, décrits par ˆHimp, des degrés de liberté restants, traités comme un

bain d’électrons libres de niveaux d’énergie εbainν~kσ. Les électrons peuvent sauter dans le site ou s’en retirer via l’hybridation Vν~kσ entre l’atome ( ˆdσ) et le bain d’électrons (ˆcν~kσ).

Ce modèle sert de système de référence pour le modèle de Hubbard car il donne la fonction de Green locale exacte en DMFT lorsque les paramètres εbainν~kσ et Vν~kσ remplissent une condition d’auto-cohérence : ils doivent être choisis de façon à ce que la fonction de Green de l’impureté du modèle d’Anderson

Gimpσ (τ − τ0) = −D ˆTτdˆσ(τ ) ˆd†σ(τ0) E

ˆ HAIM

(3.7) coïncide avec la fonction de Green locale du modèle de Hubbard

Glocσ (τ − τ0) =−D ˆTτdiσ(τ ) ˆˆ d†iσ(τ0) E

ˆ HHubbard

(3.8) pour tout site i. Par ailleurs, il fournit la description mathématique de la physique présentée à la figure Fig.3.2.

Les paramètres εbainν~kσ et Vν~kσ entrent en compte seulement à travers la fonction d’hybridationen fréquences de Matsubara fermioniques (également appelée champ de Weiss quantique) Γ(iωn) = X ν,~k,σ Vν~kσ 2 iωn− εbain ν~kσ (3.9)

rencontrée à la sous-section Sous-Sec.2.9où nous avions traité le problème présent, sans interaction. Pour l’instant, nous avons introduit la généralisation quantique du champ de Weiss effectif et avons représenté la fonction de Green localeGσ

loccomme étant celle d’un atome couplé à un bain effectif. Nous devons maintenant généraliser l’approximation de champ moyen au cas quantique en reliant le champ de Weiss qu’est la fonction d’hybridation Γ à la fonction de Green localeGσ

loc. Notons G0σ(τ − τ0) =−D ˆTτdσ(τ ) ˆˆ d†σ(τ0) E ˆ Hbain+ ˆHcouplage (3.10) la fonction de Green libre intégrée sur les degrés de liberté du bain effectif (analogue en temps imaginaire de la fonction de Green de l’équation Eq.(2.142)) et laissons

F i g u r e 3.2 Illustration de la DMFT. La DMFT remplace le réseau cristallin d’atomes

par un seul atome appelé "impureté" couplé à un bain d’électrons libres. L’approximation de champ moyen capture la dynamique des électrons sur un atome central (en orange) alors qu’il fluctue entre différentes confi- gurations atomiques, montrées ici comme des instantanés en temps. Dans le cas le plus simple d’une orbitale s, les fluctuations font passer l’atome par les états| 0 >, |↑ >, |↓ > et |↑↓ >, qui réfèrent à un état inoccupé, un état avec un seul spin up ou un seul spin down, et un état doublement occupé avec des spins opposés, respectivement. Dans cette illustration d’une séquence possible impliquant deux transitions, un atome dans l’état vide absorbe un électron du réservoir environnant à chaque transition. L’hybridation Vν est l’amplitude quantique de saut d’un électron du bain

à l’atome. Figure tirée de [37].

de côté le spin pour alléger la notation. On peut alors définir une self-energy locale (ou self-energy de l’impureté) en fonction des fréquences de Matsubara à partir de l’équation de Dyson suivante :

Σimp(iωn) = G0−1(iωn)− Gimp−1 (iωn)

= iωn− (ε0− µ) − Γ(iωn)− G−1

imp(iωn) . (3.11) Considérons maintenant la self-energy du réseau originel, définie à partir de la transformée de Fourier de la fonction de Green du réseau completGij(τ − τ0) = −h ˆTτdi(τ ) ˆˆ d†j(τ0)iHˆHubbard par :

G(~k, iωn) = 1

iωn− (ε0− µ) − t~k − Σ(~k, iωn)

où t~kest la transformée de Fourier des éléments de la matrice de saut, soit la relation de dispersion de la bande sans interaction dans l’approximation des liaisons fortes

t~k =X i,j

tije−i~k.( ~Ri− ~Rj). (3.13)

On fait alors l’approximation (exacte en dimension infinie) que la self-energy du réseau coïncide avec la self-energy de l’impureté :

Σ(~k, iωn)' Σimp(iωn) . (3.14)

La self-energy est alors vue comme étant locale dans l’espace réel, donc indépendante de ~k. Cette approximation pose les limites de la DMFT, pleinement détaillées dans [38]. Grosso modo, l’approximation Eq.(3.14) est un bon point de départ lorsque les corrélations spatiales sont de courte portée, ce qui est favorisé par les conditions suivantes : haute température, haute énergie, fort dopage, grand nombre de degrés de liberté fluctuant en compétition les uns avec les autres, grande dégénérescence orbitale ou grand degré de frustration magnétique.

Avec l’approximation locale Eq.(3.14), la somme sur les vecteurs ~k de la fonction de Green Eq.(3.12) donne :

Gloc(iωn) = X ~k

G(~k, iωn)'X ~k

1

iωn− (ε0− µ) − t~k− Σimp(iωn)

. (3.15)

On compare alors cette fonction de Green du réseau projetée sur un site avec la fonction de Green de l’impureté. Nous sommes censés avoirGloc(iωn) =Gimp(iωn) pour qu’une relation d’auto-cohérence soit satisfaite. En effet, si cette condition est vérifiée, les équations Eq.(3.11) et Eq.(3.15) permettent alors d’obtenir la relation d’auto-cohérence :

Gloc(iωn) =X ~k

1

Γ(iωn) +Gloc−1(iωn)− t~k . (3.16) Une relation d’auto-cohérence analogue à celle qu’on aurait trouvée pour l’aiman- tation locale du modèle d’Ising apparaît dans le cadre de la DMFT, renforçant la forte analogie entre la construction d’un champ moyen classique et sa contre partie

quantique et dynamique.

Implémentation itérative

Considérons le passage de l’itération p à l’itération p + 1 dans le programme informatique :

1 ) On part de la fonction d’hybridation de l’étape p, Γ[p](iωn), pour avoir la fonction de Green libre du bain effectif via

G0 [p]−1 (iωn) = iωn− (ε0 − µ) − Γ[p](iωn) .

2 ) La fonction de Green de l’impuretéGimp [p](iωn) est alors calculée en utilisant un solutionneur d’impureté approprié pour le modèle d’impureté (voir section Sec.3.6).

3 ) On obtient ainsi la self-energy de l’impureté :

Σimp [p](iωn) = G0 [p]−1 (iωn)− Gimp [p]−1 (iωn) .

4 ) On utilise cette self-energy pour obtenir la fonction de Green locale du modèle de réseau via

Gloc [p](iωn) = X

~k

1

iωn− (ε0− µ) − t~k− Σimp [p](iωn) .

5 ) Arrive alors la relation d’auto-cohérence :

si Gloc [p](iωn)− Gimp [p](iωn) > ε ,

où ε est une certaine tolérance à l’erreur, on définit une nouvelle fonction de Green libre du bain effectifG0 [p+1](iωn) ainsi qu’une nouvelle fonction d’hybridation Γ[p+1](iωn) via

G−1

0 [p+1](iωn) = Gloc [p]−1 (iωn) + Σimp [p](iωn) et

Γ[p+1](iωn) = iωn− (ε0− µ) − G−1

6 ) Ces nouvelles fonctions mises à jour (retour à l’étape 1) sont injectées dans le solutionneur d’impureté (étape 2). La procédure complète est itérée jusqu’à ce que le nombre d’itérations maximal ou le temps de calcul maximal imposé par l’utilisateur soit dépassé, ou jusqu’à ce qu’un certain critère de convergence sur la différence entre les fonctions d’hybridation à l’étape p et à l’étape p + 1 soit atteint.

Dans de nombreux cas, la procédure itérative converge vers une unique solution quel que soit le choix initial pour Γ(iωn). Dans quelques cas cependant, plus d’une solution stable peut être trouvée (dans la région de coexistence d’une transition du premier ordre comme la transition de Mott que nous verrons dans le chapitre suivant par exemple [39]).

3.4

La théorie de champ moyen dynamique cellulaire