• Aucun résultat trouvé

C’est en 1908 que prend fin une course au froid qui durait depuis quelques décen- nies déjà. En effet, c’est cette année que le chercheur hollandais Heike Kamerlingh Onnes réussit à liquéfier l’hélium à 4 K, ce qui lui vaudra le Prix Nobel de physique 1913. Ce nouvel outil cryogénique lui permet alors de faire des mesures uniques au monde, entre autres, des mesures de résistivité électrique à très basse température dans la matière. Ces mesures étaient particulièrement importantes à l’époque car il était difficile de comprendre ce qu’était le zéro absolu sans l’apport de la mécanique quantique et qu’aucun accord théorique n’existait quant au comportement de la résistivité électrique proche du zéro absolu. Kamerlingh Onnes étudie la résistivité du mercure proche du zéro absolu le 8 avril 1911 à Leiden (Pays-Bas). Le mercure est choisi car il est très facile à purifier à température ambiante sous sa forme li- quide. Surprise : la résistivité électrique du mercure tombe à zéro sous 4.17 K. La supraconductivitéest découverte (de nombreuses références peuvent être trouvées dans [98]) ! On sait maintenant qu’un supraconducteur est en fait défini par deux ca- ractéristiques : une résistivité électrique nulle et une répulsion du champ magnétique hors de son volume, appelé l’effet Meissner.

C’est ce dernier effet, découvert en 1933 par Walther Meissner et Robert Ochsen- feld [99], qui inspire aux frères Heinz et Fritz London l’idée que la supraconductivité

est une véritable phase de la matière qui est caractérisée par une fonction d’onde électronique macroscopique [100]. Vient alors en 1957 la publication des deux piliers théoriques les plus cruciaux dans la compréhension de la supraconductivité : le problème de Cooperet la théorie BCS [101,102], du nom de John Bardeen, Leon Neil Cooper, et John Robert Schrieffer, Prix Nobel de physique 1972. Le problème de Cooper explique que deux électrons en présence d’une mer de Fermi et ressentant la moindre interaction attractive vont former un état lié de paire (la vérification expérimentale de l’existence de ces paires d’électrons viendra en 1961 avec les expé- riences de quantification du flux [103,104]). La théorie BCS suppose alors la présence d’une telle interaction pour finalement expliquer et prédire des effets propres à la supraconductivité ! C’est l’effet isotopique, observé peu de temps auparavant dans les différents métaux et alliages supraconducteurs, qui les a guidé vers un méca- nisme d’appariement utilisant le couplage électron-phonon décrit dans l’illustration naïve de la figure Fig.6.1. Notons que ce qui y est présenté ne permet pas vraiment de comprendre la formation de paires électroniques de petite taille. Davantage de mécanique quantique est nécessaire pour comprendre l’entièreté du mécanisme d’appariement.

La théorie BCS, qui sera vue plus en détail dans la section suivante, considère originellement un appariement (~k ↑, −~k ↓) symétrique sous le renversement du temps (ce qui justifie l’effet destructeur du champ magnétique sur la supracon- ductivité) mais ne prend pas en compte la dépendance en fréquence du couplage électron-phonon de la sous-section Sous-Sec.6.3.1. Ceci explique le léger désaccord de la théorie BCS avec certains métaux et alliages où le couplage électron-phonon est particulièrement important, comme le mercure ou le plomb. Il faut encore attendre quelques années pour que l’aspect essentiel de cette dépendance en fréquence soit pris en compte [105,106] avec la théorie de Migdal et Eliashberg [105,107] (une très belle revue de cette théorie est disponible dans [108]). Toute supraconductivité expliquée par cette théorie est appelée supraconductivité conventionnelle.

Cependant, ce sentiment d’aboutissement est aussi venu avec une grande décep- tion : la théorie d’Eliashberg établit que la température critique maximale pouvant être atteinte par un supraconducteur à une bande dont l’appariement provient du couplage électron-phonon est d’environ 23 K. Cette température critique maxi- male est par ailleurs atteinte par l’alliage de niobium-germanium Nb3Ge, comme le

+

1 2 3

F i g u r e 6.1Illustration naïve du mécanisme d’appariement via l’interaction électron- phonon. Étape 1 : Un électron (particule-onde en rouge) se meut dans une certaine partie du réseau d’ions (en vert) et se fait diffuser par le réseau. Il faut imaginer que le déplacement du réseau forme un nouveau réseau de diffraction pour l’électron. Ce dernier attire par la même occasion certains ions à lui. Étape 2 : Les ions attirés forment un surplus de charges positives (à cause de l’inertie de masse de ces derniers) qui attire un deuxième électron un peu plus tard. Cet électron est également diffusé dans la même direction que le premier électron, mais en sens opposés. Étape 3 : Le retard dans l’interaction permet aux électrons d’éviter de se repousser trop fortement. Ils peuvent ainsi former une paire de Cooper, symétrique sous le renversement du temps.

montre la figure Fig.6.2. Notons que le diborure de magnésium MgB2 est un supra-

conducteur conventionnel mais possède deux bandes électroniques au niveau de Fermi, ce qui lui permet d’atteindre une température critique de 39 K [109,110]. Quoi qu’il en soit, la recherche en supraconductivité s’arrête alors presque complètement. En effet, impossible de faire des applications concrètes avec des matériaux devant être refroidis à de telles températures...

Le domaine de la supraconductivité reprend son envol en 1986 lors de la dé- couverte des supraconducteurs à haute température critique, ou cuprates par Johannes Georg Bednorz et Karl Alexander Müller [111], Prix Nobel de physique 1987. Le premier composé synthétisé, LaBaCuO4, présentait, une fois dopé au strontium, une

température critique de l’ordre de 40 K, soit une température supérieure aux 23 K prévus par la théorie d’Eliashberg, malgré le fait que les cuprates puissent être globalement considérés comme des matériaux à seule une bande effective (nous en reparlerons à la sous-section Sous-Sec.6.5.8). Cela signifie que leur physique ne peut

Année de découverte

0

20

40

60

80

100

120

140

160

1900

1920

1940

1960

1980

2000

Moitié de la température ambiante La nuit sur la Lune

Azote liquide Hélium liquide

Pnictures

Cuprates

Supraconducteurs

conventionnels

LaBaCuO4 YBa2Cu3O7 HgBa2Ca2Cu3O8 Hg Pb Nb Nb3Ge MgB2 Sous 30 GPa

T

c

(K)

F i g u r e 6.2 Évolution de la température critique en fonction des années de découverte

pour différents supraconducteurs. Les traits tiretés rouges marquent les records de température critique de 138 K à pression ambiante et de 164 K sous 30 GPa de pression.

être décrite par la théorie BCS et qu’ils présentent quelque chose de singulièrement nouveau : on parle de supraconductivité non conventionnelle. Depuis, la supraconduc- tivité a été observée à 138 K dans le composé Hg0.8Tl0.2Ba2Ca2Cu3O8+δ [112] et à 164 K dans un composé similaire au mercure sous 30 GPa de pression [113]. Il est important de noter que tous les cuprates ont en commun des plans de cuivre et d’oxygène. Bien que nous nous concentrerons sur la famille des cuprates par la suite, d’autres familles de matériaux supraconducteurs sont tout aussi fascinantes, notamment les pnictures où supraconductivité et magnétisme se mélangent de façon inédite [114]. De récentes mesures dans le sulfure d’hydrogène H2S marquent même le retour de la supraconductivité conventionnelle avec un composé supraconducteur à 190 K sous pression à P ' 150 GPa [115]. Ici, les atomes d’hydrogène, très légers, semblent être essentiels à la création de modes phononiques de haute fréquence donnant naissance à un fort couplage électron-phonon.

6.2

Supraconductivité conventionnelle à faible couplage