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Vers une approche du processus de la catégorisation chez le sujet énonciateur

5.2. Postures énonciatives

5.2.3. La sur-énonciation

Signifiant littéralement « parler/penser par-dessus les autres »(Rabatel, ibid ), c’est la coproduction d’un PDV surplombant de L1/E1 qui reprend le PDV d’un autre énonciateur en donnant l’apparence d’adopter la même posture mais tout en détournant à son avantage la visée argumentative. Tout en simulant une conformité de vue avec « l/e » , L1/E1 s’accorde un avantage décisif en reprenant , comme pour le compléter en l’enrichissant le PDV initial. Au plan énonciatif et pragmatique , c’est une manœuvre énonciative où le locuteur s’approprie les points de vue (discours) d’un coénonciateur en face à face , ou in absentia pour mieux le neutraliser. En se donnant le dernier mot , le surénonciateur parvient à occuper une place haute avec en sus un profit symbolique ou institutionnel (cela semble être le cas pour le gouvernement qui a initié et contrôlé le débat sur l’identité nationale)

Extrait n° 20

Jean Daniel , Journaliste

: « […]Mais s’il m’est permis de simplifier à outrance leur position moyenne, universitaires et écrivains répugnent à s’interroger sur la nature de leur appartenance à la France. Et si je les comprends bien, il faut surtout de ne pas se demander qui l’on est,

si l’on est français ou pas et en quoi cela consiste car on s’exposerait au risque d’inciter ceux qui veulent nous rejoindre à nous imiter. Nous ne sommes personne et fiers de l’être ! Vous êtes vous-mêmes et nous ne voulons même pas savoir qui vous êtes, de peur de paraître vous contraindre à vous renier en nous imitant. Avec une touche d’impertinence caricaturale, j’affirmerai qu’aucun des textes publiés dans « Libé » ne permet au lecteur de comprendre ce qui s’est passé après la victoire des Algériens sur l’Egypte dans le match comptant pour la qualification à la Coupe du Monde. (...) Mais en fin, ceux qui brandissaient le drapeau algérien avaient, eux, le sentiment d’une fierté nationale et celui de l’appartenance à une identité précise. A-t-on le droit de s’interroger sur cette identité ? Et si oui, faut-il s’interdire de s’interroger sur la nôtre ? »

(Source : Nouvel Obs’, 26/11/09)

Dans ce texte J. Daniel rappelle le PDV des intellectuels et écrivains qui refusent le débat sur l’identité .Ensuite il relève leur attitude consistant à s’interroger (leur attitude indignée) sur l’identité des supporteurs algériens fêtantbruyammentla victoire de l’équipe de leur pays d’origine. Enfin il souligne le paradoxe de cette posture consistant interroger l’identité des autres et à s’interdire de le faire pour soi.

L’énonciateur cite le point de vue des intellectuels et écrivains hostiles au débat pour souligner vers la fin son caractère ambigu par rapport à la réalité des faits.

5.3. Hyperénonciateur et particitation

C’est un mode de citation proposé par Maingueneau (2004) qui diffère des régimes habituels. Un énoncé « particité » est un énoncé autonome, c’est-à-dire non marqué comme citation par le locuteur citant. Le seul indice de son caractère citationnel peut être d’ordre graphique, phonétique, paralinguistique. Il épouse intégralement la forme du discours direct.

Le locuteur citant adhère à l’énoncé cité eu égard à sa nature doxique partagée par la communauté discursive. Cet énoncé est donné comme appartenant à un fond commun, un

thésaurus, émanant d’un hyperénonciateur garantissant la conformité de l’énoncé aux valeurs

de la communauté ou d’une collectivité. Ainsi l’hyperénonciateur est une autorité tutélaire auto-constituante du discours composant ce thésaurus, dans le sens où sa seule évocation suffit pour garantir sa validation.

De plus, par sa seule présence, il confirme les membres de la communauté discursive dans leur identité et leur fournit sa caution en tant que locuteur citant . Ainsi en est-il des sources de validation telles que Dieu, la loi, le bon sens , la nature , la science. Cet être

mythique, transcendant le discours, cet énonciateur omniprésent par son effacement même est souvent un faiseur de loi ou un « cautionneur » pour les lois :

« Quelle que soit la taille de son corpus, la loi est toujours référée à un être mythique, le législateur, toujours qualifié, non sans redondance, de « sage ». C'est un hyperénonciateur, qui ne signe aucun texte, mais les fonde tous. C'est un peu comme dans la Bible : l'esprit de Dieu est l'hyperénonciateur d'un ensemble de textes produits dans des circonstances très variées, mais portés par une entité transcendante qui garantit l'ensemble du corpus. »

Maingueneau ( 2014)

Pour sa part, pour B.Delcourt (1986), Bourdieu confirme l’existence de cet hyperénonciateur (H)97 qui exerce un pouvoir de domination symbolique par l’effet de « neutralisation » et d’ « universalisation » de son discours dans le cadre juridique .

Cette notion d’hyperénonciateur, nous l’avons identifiée dans notre analyse lorsqu’il s’était agi de nommer l’instance qui a lancé le débat sur l’identité nationale. Dans la réalité des faits « mondains », c’est le gouvernement de Sarkozy en la personne du ministre Eric Besson qui a défini les termes du débat (choix des thèmes à discuter, modalités de publication des énoncés, modération, recueils de textes , synthèse finale , statistiques...). Sur le plan linguistique, la tâche consistant à nommer cette instance surplombant le discours demeurait complexe. Elle gère le discours simultanément en sous-énonciateur et en surénonciateur (Rabatel, 2012). En effet, elle contrôle la gestion de l’énonciation en amont et en aval , tout en donnant l’impression de n’être qu’un locuteur citant se limitant à « parler les mots des autres »Rabatel (2010) . Comme le souligne Rabatel (ibid) le locuteur citant peut se comporter en sous-énonciateur tout en étant surénonciateur, ce qui revient sur le plan sémantique et cognitif à «parler les mots des autres » pour « parler/penser par par-dessus

les autres »

Extrait n° 21 :

« THEISTE : Celui qui croit en Dieu, spécialement s’il ne se reconnaît dans aucune religion établie. Le théiste, explique Voltaire, « n’embrasse aucune des sectes qui toutes se contredisent ». C’est un croyant sans rites, sans Eglise, sans théologie. « Faire le bien, voilà son culte ; être soumis à Dieu, voilà sa doctrine. Le mahométan lui crie : ‘Prends garde à toi si tu ne fais pas le pèlerinage de La Mecque !’ ‘Malheur à toi, lui dit un récollet, si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame-de-Lorette !’ Il rit de Lorette et de La Mecque ; mais il secourt l’indigent et il défend l’opprimé » (Dictionnaire…, article « Théiste »). Sa foi serait donc une morale ? Pas seulement puisqu’un athée peut se passer de celle-là sans renoncer à celle-ci. Le théiste ne se contente pas de faire le bien ;

97Nous le désignerons souvent l’hyperénonciateur par (H) majuscule et l’hyperénonciateur second prenant son

il croit que c’est le bien qui l’a fait et qui doit au bout du compte le juger. C’est pourquoi il se soumet à Dieu, comme dit Voltaire.Mais pourquoi faudrait-il se soumettre à ce qu’on ne comprend pas ? » (Comte-Sponville 2001 : 582-583)

Dans cet extrait le locuteur citant coproduit le PDV avec l’énonciateur (e) mais « le

reformule en paraissant dire la même chose tout en modifiant à son profit le domaine de pertinence du contenu ou son orientation argumentative » Rabatel (ibid).

En somme, dans notre corpus , l’hyperénonciateur est cette source transcendante, effacée qui cautionne le débat sur l’identité nationale et surtout mandate le locuteur L1E1,le ministre et le Président Sarkozy , pour servir de porte-parole à cette « voix » incarnant la Nation, de cette France dont De Gaulle parlait dans ses discours « l’honneur de la France » P.Siblot (2001 : 86). Ainsi, l’hyperénonciateur (H) s’incarne, tel l’oracle, par une voix humaine pour lui servir de médiateur avec les coénonciateurs. Cette voix autoproclamée ou plébiscitée démocratiquement se comportant comme le représentant (muni de pleins pouvoirs) de l’hyperénonciateur, nous proposons, faute de mieux, de la nommer « hyperénonciateur second ou h1 » désormais .Elle apparaitra dans notre analyse sous l’initiale « h1 ».

Nous verrons que, « h1 » se comporter tel un archiénonciateur98 , manipulant les tenants et les aboutissants du débat, c’est-à-dire en coénonciateur, sous-énonciateur, surénonciateur.

Avant de conclure , nous ajouterons que cette notion d’hyperénonciateur est à rapprocher et pourrait même se confondre avec la notion de Sujet interpellant (le Sujet absolu), constitué par la voix « effacée » de l’idéologie (Althusser, 1976 ) et d’ « hyperénonciateur second » avec celle du « sujet interpellant second». Par conséquent, on peut déduire le fait que le ministre E. Besson est un « un sujet interpellé second » ou (h1) mandaté par le Sujet absolu pour parler en son nom aux autres énonciateurs ou «sujets tiers »

La notion d’hyperénonciateur (H) et d’ « hyperénonciateur second »(h1) peut être la traduction linguistique de celle de Sujet interpellant et de sujet interpellé .Par conséquent, la notion d’interpellation trouverait sa validation sur le plan linguistique comme étant « le caché

qui nous domine » par la voix du discours ou « le sacré dissimulé » de Reboul (T. Guilbert ,

2005 :105-106 ) qui interpelle les sujets seconds sur un gradient. Selon T.Guilbert (2005) ce

sacré peut prendre plusieurs formes telles que l’« existence de Dieu », le « droit divin », la

rationalité, la démocratie, le droit, la nation, etc. C’ est , en somme, un sacré qui a besoin de notre légitimité, car comme le pense J.J. Rousseau :« Le plus fort n’est jamais assez fort pour

être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir », (

Rousseau , Du contrat social cité par O. Reboul 1980 : 28).

5.4. La notion discursive de formule

Dans ce second volet du chapitre, nous présenterons la notion de formule telle qu’elle est apparue pour la première fois dans les travaux de J.P. Faye (1972 , 1973) , puis son introduction en analyse du discours par P.Fiala et M.Ebel (1983) dans l’étude des discours xénophobes en Suisse , jusqu’à sa stabilisation en tant que concept en sciences du langage suite aux travaux théoriques de Alice Krieg (2009). Nous résumerons les principaux critères définissant la formule selon Alice Krieg sans oublier de mentionner et de discuter le cinquième critère qu’elle a réfuté : le procès d’acceptabilité proposé initialement par J.P. Faye.(1972)