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La spécificité nationale et les tendances d’unification du

Chapitre 1 : Les origines et l’esquisse du mouvement jusqu’en 1916

1.5. La spécificité nationale et les tendances d’unification du

Le contexte sociopolitique d’avant la Grande Unité détermine un développement différentiel du mouvement féminin, par régions, chacune avec ses spécificités et des thèmes traités prioritairement au sein des associations, ce qui justifie d’aborder l’aspect national et celui régional du féminisme roumain. Dans l’Europe du Sud-est le développement du mouvement en étroite relation avec le phénomène national reconfirme les idées avancées par l’historiographie par rapport à l’unité difficilement dissociable du national et du social. Le contexte géographique et culturel à côté de la situation politique complexe qui ont caractérisé cet espace ont déterminé plus tard l’apparition et le développement de la problématique féministe avec des éléments spécifiques par rapport à la situation de l’Occident. Le besoin d’une solution primordiale à cette problématique nationale a modifié la trajectoire du féminisme en comparaison avec les pays

occidentaux146.

Simona Stiger considère que les publications roumaines de la Transylvanie ont un rôle très important dans la définition d’une idéologie du mouvement féministe de deux point de vue : le premier a en vue la justification du courant féministe dans cette province, montrant l’importance sociale, politique, culturelle et nationale de cette « question », lorsque le deuxième se réfère concrètement à la problématique féministe dans la société roumaine et les aspects de l’émancipation de la femme. Bien que traités séparément, ces deux points de vue représentent en

145 Eleonora Strătilescu, « Constituanta şi dreptul de vot pentru femei », in Unirea Femeilor Române, année VI, nº 3 et 4, mars-avril 1914, p. 114-115.

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réalité les deux étapes de la maturité du féminisme en Transylvanie jusqu’à la fin du XIXe siècle et la deuxième jusqu’à l’achèvement de la grande unification. Si dans la première étape nous parlons de la cristallisation d’une idéologie spécifique féministe et l’acquisition d’une expérience, à partir de l’idée centrale de l’élèvement de la femme par l’instruction et la culture, dans la deuxième les modifications de la pensée sociopolitique roumaine et l’aspect national déterminent « la transformation qualitative de la pensée féministe » en abordant des concepts d’unification, de solidarité et d’idéal national. Le nouveau climat détermine une remise en question des thèmes et une réorientation du mouvement féministe par rapport à l’espace roumain dans sa totalité147.

En regardant l’action et les programmes des associations de la Transylvanie et de la Bucovine, nous observons la présence d’un élément national accentué, au sein duquel la femme roumaine occupe un rôle primordial et incarne l’être national, parce que « c’est elle qui nous a donné la voix, à travers sa conscience nous gardons les coutumes anciennes, c’est elle qui nous a

fait pour la première fois le signe de la croix »148. Cet aspect compris comme une motivation

patriotique occupe le premier plan, à l’encontre de celui juridique et politique. La femme roumaine représente « la nation » dans l’imaginaire politique masculin, elle est regardée

seulement comme mère, non pas comme citoyenne149, par les formes d’organisation utilisées.

Elle représente également l’action nationale en gagnant un caractère social prononcé. Un autre point commun de l’activité féministe de ces deux provinces est l’étroite liaison entre le caractère national manifesté par le désir d’émancipation de l’occupation étrangère et l’activisme social et culturel en vue de la réforme de la société et l’amélioration de la condition de la femme roumaine.

L’activité des féministes s’est intégrée dans la lutte pour maintenir et conserver la spécificité nationale, mais aussi pour conquérir les droits sociaux et politiques. Dans ce sens-là, la guerre pour l’indépendance de l’état a offert aux roumains des territoires sous domination étrangère l’occasion d’exprimer constamment leur solidarité, leur soutient et d’apporter des

147 Idem, op. cit., 2001, p. 7-12.

148 Al. Munteanu, « Mama română », in Tribuna poporului, Ier année, nº 232, le 6/18 décembre 1897, p. 4

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donations aux femmes, action qui a été récompensée avec la distinction « Crucea Elisabeta » par

le Gouvernement des Principautés150.

Pour relever et déterminer la femme à garder, apprécier et transmettre à ses descendants le spécifcité nationale, les féministes ont eu en vue un élément présent dans toutes les régions habitées par des roumains, où la population féminine détenait le rôle principal, via le costume populaire, dont elles sont directement responsables de la confection. Si dans les Principautés il est plus facile de se le procurer (cette facilité et la mode française ont déterminé sa faible utilisation dans le milieu urbain et l’apparition de la crainte d’en perdre le savoir-faire dans le milieu rural) dans les autres provinces son utilisation et son importance est beaucoup plus grande, représentant l’une des rares « armes » visibles et ayant un rôle majeur dans la conservation de l’identité nationale et sa diffusion et conception sont plus difficiles. Dans ce sens-là il faut mentionner que les principales réunions et associations féministes de la Transylvanie et de la Bucovine avaient en vue l’éducation des filles dans l’idée de la conservation du peuple et de la langue roumaine, mais aussi dans la direction d’une émancipation économique, en apprenant des métiers spécifiques à l’industrie domestique où confectionner des vêtements qui composent le costume populaire occupait un rôle important. L’élément national apparait aussi à partir du désir des roumaines de s’habiller dans le costume populaire spécifique à la région, et non pas ceux procurés par les Principautés, confectionnés

dans les écoles et les ateliers créés par les cercles de femmes151.

Quelques personnalités féminines ont eu un rôle important dans l’actualisation et la

détermination des femmes des Principautés de porter le costume national152 avec un grand

impact dont nous mentionnons la reine Elisabeta, que nous connaissons sous le pseudonyme

littéraire Carmen Sylva, et après 1916, la Reine Maria153. Elles porteront le costume populaire

dans plusieurs occasions pour mettre en évidence sa beauté en militant pour le conserver et pour garder les valeurs patriotiques qu’il symbolise. (voir l’Annexe 46)

150 Loredana Stepan, « Imagini ale femeii în literatura şi presa românească arădeană la sfârşitul secolului al XIX-lea şi începutul secolului al XX-lea », in Caiete de antropologie istorică, année II, nº 1(3), janvier-juin 2003, p. 50-51.

151 Elena Pop Hossu-Longin, Reuniunea femeilor române din comitatul Hunedoarei, p. 183-184.

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Voir aussi G. T. Niculescu-Varone, Folklor şi caracterizări etnografice. În Şcheii Braşovului - Junii şi costumul de sărbătoare al femeilor române, Bucarest, Typographie « Dimitrie Cantemir », 1932 (le chapitre « Costumul de sărbătoare al femeilor române din Braşov-Şchei »).

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Pour plus de détails sur le style vestimentaire de la Reine Maria, voir Ştefania Ciubotaru, « Vestimentaţia Reginei Maria- stil şi eleganţă », in Bucureşti. Materiale de istorie şi muzeografie, vol. XVII, Musée de la ville de Bucarest, 2003, p. 429-435 ; Marian Constantin, « Un persoanj din « Belle Epoque » : Regina Maria », in Dr. Diana Fotescu, Marian Constantin (coord.), Studii şi articole de istorie şi istoria artei, Bucarest, Éditions Sigma, 2001, p. 160-164.

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Le fondement national du féminisme des provinces roumaines représente une réalité de cette période, situation reflétée dans les réunions des associations féministes, qui se sont impliquées au sein du mouvement général pour la cause nationale, non seulement dans la presse de spécialité, les articles et les conférences sollicitant aussi une importante initiative et action, mais aussi en démontrant une solidarité des femmes pour accomplir leur premier objectif qui représente la base sociopolitique d’achèvement des desideratum féminins.

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle constitue une période où on a essayé de stimuler l’activité et l’incorporation de l’énorme potentiel féminin au cadre plus large du militantisme politique national, à partir de l’existence antérieure d’une préoccupation constante pour consolider la conscience nationale de la femme, par l’intermédiaire de l’éducation et de la culture. A l’intention de dynamiser le mouvement, la presse roumaine de toutes les régions a entrepris une forte propagande pour populariser les succès obtenus par le mouvement sur le plan international, mais aussi dans les Principautés. On y mentionne le succès des premières filles au cours universitaires de la Russie, de l’Hongrie, les succès obtenus par la cause féminine dans les pays du nord, Autriche et France, surtout dans les domaines de l’éducation et des carrières

réservés jusqu’alors seulement aux hommes154

.

L’idée d’unir les femmes apparait tôt dans les articles des féministes et de ceux qui soutiennent le mouvement, premièrement exprimée par le concept de « sœurs » qui doivent

militer pour le même but et actionner ensemble pour sa réussite155. Ultérieurement on fait appel

de plus en plus à l’objectif national, l’unification politique de toutes les principautés pour l’achèvement de laquelle la grande masse féminine pourrait lutter en se solidarisant et en agissant de manière unitaire. Guidée par cette idée, Tereza Strătilescu a fait imprimer sur la couverture de la revue de l’association L’union des Institutrices Roumaines l’épigraphe suivante : « Unification dans la conscience, unification dans l’esprit », en affirmant que les femmes ont la responsabilité d’achever l’unification spirituelle du peuple entier dans les conditions où les hommes sont

responsables avec l’unité politique156

.

154 Simona Stiger, op. cit., 2001, p. 20-22.

155

Maria Flechtenmacher milite pour la solidarité des femmes en faisant une comparaison de la lutte féministe avec une « pierre » dont le soulèvement sollicite du soutien et d’aide : « Croyez-vous que je pourrai la soulever sans votre aide, mes chères sœurs ? Non. Ne retardez, donc, car sur cette pierre est sculpté le nom de la femme. Donnez les bras de votre intelligence pour pouvoir la soulever du parterre où elle est jetée depuis tant de temps. Unissez-vous toutes celles qui avez de l’intelligence et du bon sens pour nous solidariser afin de soutenir notre honneur, nos droits et nos devoirs ». Femeia română, Ier année, nº 3, Bucarest, le 8 janvier 1878, p. 1.

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En analysant le caractère géographique régional du mouvement, nous observons qu’il apparait et se développe de façon différentielle. La première réunion des femmes apparait en Transylvanie, à Braşov, après est fondée une filiale à Iaşi, en 1867, Cernăuţi, 1890. Bucarest connaissant une première société en 1895 ce qui est intéressant pour la compréhension de l’évolution du mouvement. C’est le moment où il se produit une translation du centre du mouvement d’Iaşi, l’endroit où il y avait le plus grand nombre d’associations fondées jusqu’après l’unification, vers la capitale de la Roumanie. Lorsqu’en Transylvanie et en Bucovine le mouvement pour l’émancipation de la femme est corroboré avec le mouvement national pour l’unité, dans le Vieux Royaume l’objectif principal est l’émancipation de la femme par l’instruction et la culture pour qu’elle reçoive l’accès à la vie économique et puisse gagner sa vie, mais aussi dans l’idée de la rendre consciente de son rôle dans la société.

Si nous analysons la situation politique de ces régions, leurs conditions et leur forte implication dans le mouvement national, nous pouvons considérer que les femmes de la Transylvanie et de la Bucovine sont plus actives et plus visibles dans l’espace public, plus « émancipées » du point de vue culturel que celles du Vieux Royaume où, sauf quelques exceptions, il règne un fort immobilisme féminin dans toutes les catégories sociales. C’est une situation reconnue par les femmes du royaume mêmes, qui constatent que « nous, les moldaves, avons le courage de commencer par témoigner de nos pêchés et ce n’est plus un secret pour personne que notre premier défaut est le manque d’énergie ; […] nous sommes les plus apathiques parmi les femmes roumaines ; les plus désintéressées. […] Nous voulons travailler mais il nous faut pour y réussir toute l’énergie et la vivacité de la femme de la Valachie, l’énergie et la dureté de la femme des Carpates de la Transylvanie ; nous aurions nous aussi quelques qualités à donner et avec les pouvoirs unis il est impossible de ne pas arriver aux bons résultats »157.

Une autre preuve en est la création d’une première association de femmes et l’organisation d’un premier congrès de leurs réunions à Braşov, dans une province roumaine soumise de façon très forte au processus d’assimilation par la population hongroise et non pas dans les Principautés Roumaines. C’est ici que se sont posés les fondements et qu’on crée la première unification des femmes roumaines, ce qui représente la première initiative d’unification des associations et des réunions de femmes sous une seule direction. C’est le moment où on fait

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les premiers pas dans l’achèvement d’un mouvement féministe unitaire, tendance qui se retrouve de plus en plus intensément dans la période d’entre les deux guerres mondiales. Eleonora Strătilescu considérait cette Union un pas important des femmes roumaines de la Transylvanie dans le cadre du mouvement d’émancipation, mais aussi le prélude de l’unification de toutes les provinces dans un seul état national, en mettant en évidence l’importance de la liaison qui

existait entre les roumaines de toutes les provinces158.

Nous observons facilement, en analysant les principales associations créées dans les deux premières décennies du XXe siècle, la présence du mot « union » qui apparait de plus en plus dans les titres des organisations, mais aussi dans ceux des publications féministes, comme « Unirea Femeilor Române », ce qui s’explique par le profond ancrage des féministes dans l’atmosphère nationale et par la prise de conscience de l’idée que les revendications du mouvement d’émancipation de la femme ne peuvent être obtenues qu’au sein d’un État national unitaire, qui puisse permettre la réalisation des réformes et la modernisation de la société. La plupart des féministes militent dans leurs articles et dans leurs conférences pour l’unification des femmes, leur solidarisation en vue de l’amélioration de la condition et de la situation de la femme, mais aussi de l’accomplissement de l’objectif national.

Nous considérons que Maria Buţureanu, dans son étude sur la situation de la femme, illustre parfaitement la direction essentielle du mouvement féministe, ce qui devrait conduire à l’obtention de tous les droits : « … pour que les femmes arrivent à obtenir toutes leurs revendications il n’y a qu’un seul moyen » s’associer sans distinction de classes sociales, de façon que les plus intelligentes transmettent leur lumière sur les autres ; et que l’expérience de chacune serve à toutes les autres. Seule l’unification sauvera les femmes – l’unification par la

lumière et l’esprit de solidarité »159

.