• Aucun résultat trouvé

La sociologie : l’approche paradigmatique de P. Bourdieu

3. L’apport des sciences sociales dans les comportements addictifs : un enjeu nouveau

3.1. La sociologie : l’approche paradigmatique de P. Bourdieu

En présentant succinctement les principaux paradigmes du champ sociologique en évoquant ci-après les pères fondateurs qui ont comme avantages de déterminer deux approches des problèmes sociaux et culturels : l’approche holiste et l’individualisme méthodologique.

C’est précisément en articulant ces deux types d’analyse sociologiques que P. Bourdieu propose un troisième type d’approche d’une réelle fécondité pour comprendre les conduites addictives.

Notre modélisation du comportement addictif s’appuie sur la sociologie bourdieusienne.

La sociologie comme toute science, s’est constituée à partir du refus d’expliquer chaque phénomène, à l’aide d’une cause extérieure que l’on nommait Dieu. Elle peut se définir de prime abord comme la « science des phénomènes sociaux, des mécanismes qui président à leur déroulement ou encore des comportements des individus en tant qu'acteurs sociaux » (Cf. C-D ECHAUDEMAISON Dictionnaire d'économie et de sciences sociales Nathan 1997). Elle a pour but d’expliquer le social, par le social.

Si le terme de « sociologie » a été inventé par Auguste COMTE (1798-1857), en 1839 précisément, en revanche la sociologie en tant que discipline à part entière remonte aux travaux d’Emile DURKHEIM (1858 - 1917), et de l'allemand Max WEBER (1864-1920).

La sociologie est une démarche scientifique.

La science (du latin scientia, de scire, savoir) est une activité par laquelle l'être humain tente de comprendre le monde et la nature des choses, tels qu'ils sont (et non pas tels qu'il aimerait qu'ils soient), à partir des données fournies par l'observation et l'expérience. Elle est à ce titre, certes un ensemble de connaissances, mais aussi un processus et une éthique (promotion des valeurs d'universalité, de neutralité...).

L’ambition de la sociologie est donc de rendre compréhensibles des phénomènes sociaux apparents ou non. Cependant, la réalité sociale ne se laisse pas facilement identifier et interpréter. Pour rendre compte de cette réalité, le sociologue utilise des méthodes communes avec d’autres sciences sociales (droit, sciences politiques, ethnologie) et humaines (histoire, géographie, philosophie).

Ces méthodes sont aussi bien quantitatives que qualitatives.

3.1.1. Les fondateurs

3.1.1.1. L’objectivisme d’Emile Durkheim Déjouer le piège du sens commun

Dans Les règles de la méthode sociologique (1895), DURKHEIM explicite la méthodologie de sa sociologie empirique naissante, qui se rapproche des sciences de la nature (méthode comparative basée sur l'utilisation des statistiques).

Pour DURKHEIM, lors d’une analyse sociologique rigoureuse, le sociologue doit faire abstraction des « prénotions » que l'on retrouve dans le « sens commun » et qui sont autant de préjugés à détruire.

Tout concourt à prouver que le sens commun, est bien l’ennemi d’une démarche scientifique rigoureuse. Le travail du sociologue consistera donc, à s’ôter ses propres prénotions, en s’extrayant de lui-même pour mieux analyser les faits sociaux comme des choses.

Définir et expliquer le fait social

Les faits sociaux sont « des manières d'agir, de penser, et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu’elles existent en dehors des consciences individuelles. Non seulement, ces types de conduites ou de pensées sont extérieurs à l'individu mais ils sont doués d'une puissance impérative et coercitive, en vertu de laquelle ils s'imposent à lui, qu'il le veuille ou non »59.

En somme, les faits sociaux sont contraignants et extérieurs aux individus. Ils existent avant la naissance de l'individu et lui survivent après sa mort. Des exemples de faits sociaux : la pratique religieuse, une conduite collective comme l’omerta (loi du silence). Cette notion de contrainte est ambivalente « car en même temps que les institutions s'imposent à nous, nous y tenons » - la société nous contraint mais ce faisant nous soutient.

Il est fondamental « de considérer les faits sociaux comme des choses » ; « est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s’offre, ou plutôt s’impose à l’observation ». « Il nous faut considérer les phénomènes sociaux en eux-mêmes, détachés des sujets conscients qui se les représentent ; il faut les étudier du dehors comme des choses extérieures ; car c'est en cette qualité qu'ils se présentent à nous ».

Selon DURKHEIM, il est donc nécessaire d'avoir une certaine « attitude mentale » vis à vis de ces faits sociaux, dont les causes et les propriétés ne peuvent être découvertes par l'introspection.

Un fait social présente des caractéristiques précises objectives (constance, régularité, existence propre) mises en lumière grâce à la méthode comparative qui consiste à remplacer l'expérience (propre aux sciences de la nature) par la découverte (via la statistique) de faits cruciaux dont on pourra induire des lois valables pour des sociétés appartenant à un même type social.

59 E. DURKHEIM. « Les règles de la méthode sociologique ». PUF. 1986

De plus, un fait social ne peut être expliqué que par d’autres faits sociaux (et non par des motivations psychologiques). Chaque fait social est enraciné dans un milieu, une époque et évolue en fonction des changements de ce milieu.

Le suicide

E. DURKHEIM va dans « Le suicide » (1897), démontrer par l'analyse de séries statistiques, que le suicide ne peut en aucun cas se réduire à un événement psychologique et individuel. Il s'agit d'un fait social aux dimensions collectives, qu'il définira de la manière suivante « on appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même et qu'elle savait devoir produire ce résultat ».

Pour DURKHEIM, les causes du suicide sont à rechercher dans les formes du déséquilibre du lien social qualifié « d’anomie ». Cette dernière est « le mal de l'infini » : elle apparaît lorsque les désirs des individus ne rencontrent plus de limites. Autrement dit, plus les facteurs de cohésion et d'intégration d'un groupe ou d'une société seront forts, moins les suicides seront nombreux.

Ainsi, selon lui à son époque, « la famille protège et la misère protège ».

L'analyse de DURKHEIM, reste, de nos jours encore, très perspicace ; quelques aspects ont toutefois évolué.

Le but que DURKHEIM assigne in fine à la sociologie est de créer une connaissance scientifique des sociétés et des êtres humains apte à bâtir une nouvelle morale civique et séculière, digne de corriger les mœurs et de soigner les « pathologies » des sociétés occidentales (idée de réforme sociale).

3.1.1.2. La sociologie compréhensive de Max Weber

Pour Max WEBER, l'histoire est fondamentalement indéterminée car la réalité est infiniment complexe. La science ne peut donc rendre compte que d'une partie du réel. Pour décoder le social, il est nécessaire de comprendre l'action des hommes du point de vue de leur subjectivité et de leurs valeurs (en se plaçant du point de vue de l'acteur tout en gardant ses distances « il n'est pas besoin d'être César pour comprendre César »).

Il écrit ainsi : le but de la sociologie est de « comprendre par interprétation l'activité sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effet. Nous entendons par « activité » un comportement humain quand et pour autant que l'agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif. Et par activité « sociale », l'activité qui, d'après son sens visé par l'agent ou les agents se rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel, s'oriente son déroulement »60.

60 M. WEBER. « Economie et société ». Plon. 1971.

Il se place dans une perspective individualiste a priori ; affirmant au début du siècle « si je suis devenu sociologue, c'est essentiellement pour mettre un point final à ces exercices à base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d'autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut procéder que des actions d'un, de quelques, ou de nombreux individus séparés. C'est pourquoi, elle se doit d'adopter des méthodes strictement individualistes ».

3.1.2. Les démarches sociologiques

En sociologie, deux démarches a priori antinomiques s’opposent.

3.1.2.1. L’holisme

Les partisans du holisme (du grec holos : qui forme un tout) privilégient le tout sur les parties et mettent en avant une vision globalisante de la société. Pour cette démarche, tout fait social ou culturel est d'une nature différente des éléments qui le composent. Il existe donc une logique sociale qui domine l’individu et le détermine mais celui-ci, n'en est pas conscient. L'objet de la sociologie est donc de trouver les grandes lois de portée générale expliquant le fonctionnement objectif de la société.

En privilégiant le tout sur les parties, cette théorie explique que l'individu est le produit de la société, de la structure ; le choix individuel n'existe pas. L'individu n’est qu'un pion, une marionnette soumis aux lois supérieures du social.

La société a ses propres lois qui précèdent l'individu qui vient de naître et s'imposent à lui, de facto.

On peut reprocher à cette perspective de nier la conscience individuelle de l'acteur et sa marge d'autonomie par rapport à sa socialisation, sa culture ...

3.1.2.2. L’individualisme méthodologique (IM)

Les partisans de l'individualisme méthodologique expliquent, que tout phénomène social est la résultante des stratégies personnelles, mises au point par l’individu pour répondre à ses motivations. Il convient de retrouver lesdites motivations afin de les expliquer et de les rendre cohérentes (WEBER : sociologie « compréhensive »). L'objet de la sociologie est donc, de rechercher le sens de l'action.

Dans cette optique, le tout (la société) n’est que la somme des parties (les individus), à travers des phénomènes « d’émergence et d’agrégation » (R. BOUDON). Ces « effets de composition » sont qualifiés « d'effets pervers » dès lors qu'ils sont non désirés et contraires aux visées des acteurs.

La base de la sociologie est donc l’individu ; il est conçu comme un être de raison (libéré de ses instincts), qui n'agit que par intérêt. Conscient des contraintes du monde social, il cherche par des calculs « coût-avantage » à optimiser son utilité, c'est à dire selon l'optique utilitariste à maximiser ses plaisirs et minimiser ses peines : ce comportement égoïste est qualifié de

« rationnel » (G. BECKER - prix Nobel d'économie 1992).

Les théories de « l'action rationnelle » (Rational Action Theory), sont un simple décalque de l'approche microéconomique néoclassique. R. BOUDON s'en distingue quelque peu puisqu'il considère que la rationalité des individus est « située », c'est à dire « limitée » et extensive (élargie aux « bonnes raisons » que peuvent invoquer les acteurs).

La quintessence de la rationalité est le comportement du « free rider » ou passager clandestin, qui consiste à profiter des avantages sans subir les coûts. Cependant, si tout le monde se comporte selon la rationalité pure, cela conduit à l'altération voire à la destruction de la collectivité (V. PARETO).

Pour autant, Pierre BOURDIEU, va lui développer une analyse visant à dépasser la dichotomie holisme - Individualisme Méthodologique. Il estime que les structures sociales influencent les comportements individuels, mais que l'agent demeure toutefois acteur. Il va développer ainsi le concept « d'habitus », comme « intériorisation de l’extériorité ».