• Aucun résultat trouvé

4. Recherche

4.3. Discussion

4.3.3. Capital social « positif » ou « négatif »

Prenant le contre-pied de la pensée « asociale » en économie, comme définissant un individu inapte à s’insérer dans la société économique, bon nombre de travaux dans le domaine de la gestion et du développement social, ont tendance à considérer le capital social comme une

« ressource positive ». Trois grands types de mécanismes permettent de rendre compte des impacts positifs des relations sociales sur la performance économique notamment : la transmission d’informations, les problèmes d’opportunisme, et la coopération.

Concernant la transmission d’informations, l’importance de ce mécanisme est due au fait que lorsqu’on s’intéresse à des problèmes de développement, l’hypothèse d’une information parfaite des agents sur la technologie et les marchés est difficile à tenir. En effet, se développer signifie innover, sinon au niveau de la technologie, du moins au niveau des relations entre acteurs économiques, et dans ce cas, il existe de nombreuses informations privées qui peuvent nécessiter des investigations coûteuses pour être obtenues, ou qui se diffusent très lentement.

Ainsi, les offres d’emploi très spécialisées sont souvent peu diffusées. Les entreprises doivent faire des études de marché avant de lancer un nouveau produit, pour connaître la demande et la concurrence. Les nouveaux procédés de production, font l’objet de stratégies de protection (confidentialité, brevets) pour bénéficier au maximum de la quasi-rente d’innovation. Dans ces contextes, l’existence de « bonnes » relations, sources d’informations pertinentes, peut être un atout crucial pour un agent économique.

Le second type de mécanisme est la réduction de l’opportunisme. L’appartenance ressentie à une même communauté fournit des incitations souvent opposées à l’intérêt matériel immédiat, et va faire tendre les agents à « internaliser » l’externalité négative qu’un comportement opportuniste aurait sur l’ensemble du groupe social. La proximité sociale induit donc de la loyauté et de la confiance. Même indépendamment d’un tel mécanisme purement psychologique, les relations sociales indirectes permettent d’assurer un monitoring efficace du comportement des agents à coût réduit, du moment que chaque agent est « surveillé » par au moins l’un des membres du groupe. Coleman (1988) cite l’exemple célèbre du marché des diamants de New York, où les marchands se prêtent couramment des diamants entre eux, confiants dans la cohésion de leur communauté. Un exemple typique en matière de développement rural est le paternalisme fréquemment observé dans l’industrie rurale : les ouvriers sont typiquement considérés comme une main d’œuvre stable, loyale (et peu payée), tandis que les employeurs assurent la stabilité de l’emploi (Aubert, 1997).

Le dernier type de mécanisme est l’existence de coopérations locales. La coopération peut prendre deux formes : la réduction de l’incertitude (gestion du risque), et la production de biens publics locaux. Il peut s’agir de mutualiser les risques dans des opérations d’investissement, de se cotiser ou de se partager le travail pour la réalisation d’un bien public local, ou encore de partager le matériel ou la main-d’œuvre en cas de difficulté. La littérature sur les districts industriels fait état de relations de ce type même dans les pays industrialisés.

Ainsi, les descriptions par Becattini (1988) des districts italiens mettent en évidence des échanges fréquents de main-d’œuvre ou de travail à façon de manière informelle pour atténuer les fluctuations d’activité entre les entreprises. La littérature sur les systèmes productifs localisés a fourni de multiples autres exemples (cf. par ex. Courlet et Pecqueur, 1991).

Si le capital social est par définition positif au niveau individuel (c’est une ressource), il n’en est pas de même au niveau agrégé. On doit à la recherche empirique et particulièrement aux travaux de Portes (1998) et de ses collaborateurs (Sensenbrenner (1993), Landolt (1996)) d’avoir clairement établi la présence d’effets « pervers » associés au capital social.

En premier lieu, des relations sociales privilégiées peuvent occasionner une limitation des gains potentiels de l’échange. En effet, elles peuvent aboutir à négliger des opportunités potentiellement intéressantes, au profit du maintien de relations anciennes. On peut ainsi aboutir à une trop faible diversité dans les relations économiques : un groupe soudé tend à être trop homogène, tandis que les gains tirés du commerce et de l’entreprenariat sont, au contraire, liés à la valorisation de la diversité et des complémentarités.

Deuxièmement, une société trop intégrée peut produire des incitations économiques insuffisantes. Il peut s’agir tout d’abord d’une opposition à toute innovation qui pourrait remettre en cause l’ordre social établi. D’autre part, une logique d’entraide forte est la source d’une externalité positive qui décourage les entrepreneurs potentiels de se lancer dans un projet dont ils ne recueilleraient qu’une part faible des bénéfices, et favorise les logiques d’assistanat, menant à une « trappe à pauvreté ».

Enfin, des relations sociales trop intenses peuvent aboutir à des phénomènes de collusion et de discrimination. Le mécanisme bien connu de captation d’une rente de monopole par un petit groupe, avec une perte sociale sèche, se retrouve dans de nombreux phénomènes : discrimination outsiders / insiders sur le marché du travail (entre syndiqués et non syndiqués dans une entreprise, entre statuts stables et précaires...), techniques de marketing de différenciation d’un produit (pouvant même diffuser des informations erronées), etc. Tout dépend naturellement du système dont on évalue la performance, puisque le groupe captant la rente en tire naturellement un bénéfice.

Selon les situations invoquées, le capital social « négatif » ou ses inconvénients peuvent renvoyer au potentiel d’exclusion présent dans des collectivités fermées dont les liens sont très forts pouvant voir tendance à exclure les agents étrangers à cette collectivité.

Le tableau ci-dessous résume les mécanismes, positifs et négatifs, impliquant les relations sociales. Il est intéressant de remarquer que l’on peut mettre en parallèle les trois types de mécanismes négatifs avec les trois mécanismes positifs.

Le passage en revue de ces mécanismes de relations sociales fait apparaître un arbitrage qui peut se résumer de la manière suivante : il faut à la fois une forte cohésion locale et des liens diversifiés à l’extérieur, pour bénéficier au mieux des avantages potentiels des liens sociaux.

Cela apparaît clairement pour les problèmes d’information (arbitrage entre fiabilité et diversité).

C’est aussi le cas pour les incitations (une pression extérieure oblige à innover et limite l’effet d’assistanat) et pour l’action collective (l’ouverture des groupes sociaux limite la discrimination et rend la collusion plus difficile).

Cette distinction essentielle a été introduite par Putman (2000), par les termes de bonding « capital social fermé » et bridging « capital social ouvert ». Elle est cohérente avec les travaux de Burt (2000) au niveau individuel, qui sont centrés sur l’arbitrage entre densité des réseaux sociaux et trous structurels (la notion de trou structurel étant liée à l’ouverture du réseau).86

Fondement du mécanisme Mécanismes positifs Mécanismes négatifs Information, connaissances Transmission Diversité insuffisante Incitations individuelles Autocontrôle de

l’opportunisme

Manque d’initiative, nivellement par le bas Action collective Gestion informelle du risque Collusion, discrimination

Figure 32 - Effets positifs et négatifs du capital social

Si la plupart des chercheurs suggèrent la présence d’effets négatifs associés au capital social, dans la même foulée ils le présentent comme un formidable « instrument » de développement (Putman (1993, 1955), Sullivan et Beranger (1998), Fukuyama (1995), Woolcock (1998) et Coleman (1988, 1990)).

En ce sens, le capital social peut avoir un effet « bénéfique » ou « néfaste » sur la santé des individus.

Notre enquête vient tout à fait corroborer cet état de fait. Le capital social peut effectivement se mesurer par le nombre de liens sociaux établis par les individus. Mais il ne nous permet pas de dissocier des individus qui ont le même nombre de liens. Par contre comme l’a démontré notre travail le lien social étant présent nous devons nous intéresser à la qualité de ce lien. En effet, notre travail sur les liens avec la société (questions 35 à 40) au travers des élections, de la vie associative, des liens amicaux, de la religion, du foyer ou de la confiance montre qu’il y a une différence significative entre nos échantillons.

Lorsque le capital social est un bien de la collectivité, son action sur la santé des individus serait à la fois due aux membres de cette communauté, mais également à la mobilisation de ressources permettant ainsi un accès plus facile à des services de soins. Cette hypothèse a été soutenue par Sampson et al (1997).87

86 Jean-Marc Callois. « Capital social et performance économique. Un test économétrique sur l’espace rural français ». Revue d'Économie Régionale & Urbain. Armand Colin. 2006/2 – juillet pages 227 à 243

87 R. Sampson and al. « Neighborhoods and violent crime: a multilevel study of collective effiency ». Science (1997).

277, 918-924

Lorsque le capital social est un bien individuel, les auteurs semblent plus divisés. Pour Subramanian et al (2002)88, les communautés avec de hauts niveaux de capital social sont plus efficaces à exercer un contrôle social sur les comportements déviants relatifs à la santé.

Putman conforte cette hypothèse que toutes les normes sociales sont renforcées avec dans les communautés avec de forts capitaux sociaux y compris les normes relatives à la préservation de la santé. C’est pourquoi selon la même hypothèse, les individus isolés socialement ont des comportements néfastes pour leur santé.

Plus le capital social d’une communauté est important plus les individus seront contraints à abandonner leurs mauvaises habitudes afin de préserver leur environnement social.

Kawachi, Kennedy et Glass (1999)89 ont essayé d’expliquer l’action du capital social sur la santé.

Leur étude nous présente 3 modes selon lesquels le capital social peut influencer la santé : Les réseaux sociaux formels et informels associés à un capital social élevé permettent aux individus d’accéder plus facilement aux soins, à l’éducation pour la santé et à la prévention ;

L’action collective et le capital social qui en découle permettent une meilleure distribution des soins en augmentant l’accès aux différents services ;

Les groupes de soutien associés au capital social agissent comme une source d’estime de soi et de respect mutuel.

Selon Wilkinson (1996), le capital social apporte un soutien social et matériel, et agit comme un

« tampon » au stress et réduit la morbidité qui y est associée. Dans le même sens, pour Lindström (2000), si le capital social devient une ressource manquante pour l’individu, l’abus de substances psychoactives relaxantes (alcool, tabac, cannabis) peut devenir un comportement alternatif face au stress.

En effet, comme le montre les résultats de notre enquête, l’abus d substances psycho-actives relaxantes est présente dans notre échantillon, le rapport entre addicts et population montre la dichotomie entre substance et capital social, et vient conforter les hypothèses de Wilkinson et celles de Linström :

- 46 % de notre échantillon a une consommation pluri hebdomadaire d’alcool (88%

chez les addicts versus 35 % dans la population générale) ;

- 58 % de notre échantillon a une consommation pluri hebdomaire de tabac (86 % chez les addicts versus 28 % dans la population générale) ;

- 11 % de notre échantillon a une consommation pluri hebdomaire de tabac (19 % chez les addicts versus 3 % dans la population générale).

88 SV Subramanian and al. « Social trust and self-rated health in US communities: a multiple analysis ». Journal of Urban Health 2002., 79, S21-S34

89 I Kawachi and al. « Social capital and self-rated health: a contextual analysis ». American journal of Public Health 1999. 87, 1491-1498.

Un capital social faible, ce qui est souvent le cas chez les personnes souffrant d’addictions à pour conséquence de renforcer l’utilisation de comportements addictifs afin de faire face au stress et l’anxiété de la société.

Pour autant, dans le cas des addictions, les individus souffrant de ce type de comportements peuvent avoir un capital social élevé … Ces personnes peuvent faire partie d’une classe sociale élevée ou au contraire être très entourée de personnes comme elles.

Si le capital social est présenté généralement comme bénéfique pour la santé, certains individus peuvent subir des conséquences néfastes pour leur santé. En effet, comme le souligne Fukuyama, ces personnes peuvent se retrouver « enfermées » dans un groupe social défini où ils sont très actifs mais en quelque sorte prisonnière comme les gangs ou les sectes. Certes ces situations sont extrêmes mais ces personnes sont alors coupées de l’accès aux soins et à la promotion de la santé.

Malgré le peu de théories développées sur les effets négatifs du capital social, il semble indispensable que les chercheurs doivent se pencher sur les aspects qualitatifs que quantitatifs relatifs au capital social.