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La responsabilisation collective et la théorie de l’intendance

2.2. RESPONSABILISATION

2.2.3. La responsabilisation collective et la théorie de l’intendance

La responsabilité partagée semble être une meilleure voix pour répondre aux défis organisationnels contemporains que le renforcement des systèmes de contrôle. L’ajustement des mécanismes d’imputabilité à la réalité des environnements moins stables ne devrait pas contraindre davantage les actions et les comportements des acteurs, mais devrait les habiliter à développer leur capacité de responsabilisation collective (Dubois et al., 2003). Pour mieux cerner la notion de responsabilisation collective, les prochaines sous-sections décrivent ses caractéristiques en survolant la théorie de l’intendance (stewardship).

Les formes de responsabilisation socialisantes sont caractérisées par une symétrie relative du pouvoir et par un dialogue qui reconnaît l’interdépendance entre les individus. La responsabilité sociale peut favoriser les mécanismes de participation et l’identification des besoins de la base vers le haut (bottom-up) (Roberts, 1991). Elle vise l’articulation des intérêts des bénéficiaires ou clients d’une manière sensée et cohérente et ultimement, le développement des habiletés d’auto-détermination. Ici, l’auto-détermination inclut la capacité d’identifier et d’exprimer ses besoins, d’établir des buts ou des attentes ainsi que l’élaboration d’un plan d’action pour y répondre (O’Leary, 2017). Williams et Taylor (2013) utilisent l’expression responsabilisation holistique pour placer l’accent sur la considération des impacts à plus long terme et pour élargir la notion de performance à des mécanismes quantitatifs et qualitatifs. Cette vision à plus long terme élargit aussi le nombre de parties prenantes à considérer. En ce sens, la responsabilité collective ou holistique rejoint l’idée d’une responsabilisation multiple. Il s’agit d’un système de responsabilisation à 360 degrés qui considère l’ensemble des interactions et non seulement la relation bidirectionnelle du modèle hiérarchique de l’agent et du principal ou le modèle descendant entre un client et l’organisation. Selon cette forme de responsabilisation, les acteurs ne sont pas seulement imputables à leurs supérieurs et à leurs clients, mais aussi à leurs pairs, leurs équipes, à leurs fournisseurs et à la population en général (Williams et Taylor, 2013). Cela rejoint l’approche d’intendance organisationnelle qui tente de concilier les attentes individuelles et organisationnelles dans un esprit de collectivisme plutôt que d’individualisme (Davis et al., 1997).

La théorie de l’intendance

La théorie de l’intendance (stewardship theory) trouve ses racines en sociologie et en psychologie. Tout comme la théorie de l’agence (principal-agent), elle s’intéresse à la relation supérieur/subordonné (principal-steward). Toutefois, la perception économique de l’opportunisme des comportements humains est remplacée par une

vision humaniste (Madison, Holt, Kellermanns et Ranft, 2016). Le tableau 2.2 résume les différences entre ces deux théories.

Tableau 2.2

Comparaison entre la théorie de l’agence et la théorie de l’intendance Théorie de l’agence Théorie de l’intendance

Fondements Économique Humaniste

Culture Individualisme Collectivisme

Motivations Extrinsèque

Réponse aux besoins économiques et de sécurité

Intrinsèque

Réponse aux besoins

d’accomplissement Gouvernance Mécanismes de contrôle

Système d’incitatifs (sanctions/récompenses)

Vision court terme

Mécanismes basés sur la confiance Alignement des intérêts individuels et organisationnels.

Vision long terme Philosophie de

gestion Orientée sur le contrôle Orientée sur l’engagement Effets souhaités Minimiser les coûts Maximiser la performance

Sources : Inspirés de Davis et al., (1997); Madison et al., (2016)

Historiquement, l’intendant était la personne responsable du royaume en l’absence du monarque ou en raison du bas âge de celui-ci. Pour l’intendant, le monarque mineur représentait la prochaine génération. En ce sens, l’intendant percevait que son pouvoir résidait davantage en sa capacité à développer le potentiel de la nouvelle génération à s’auto-gouverner qu’en son intérêt personnel (Hernandez, 2008). Ce rappel historique met en lumière l’idéologie de la théorie de l’intendance qui place en avant-plan les intérêts à long terme de l’organisation.

La théorie de l’intendance se base sur la prémisse que les individus sont capables d’harmoniser leurs intérêts personnels avec les objectifs organisationnels (Dubois et al., 2003; Keay, 2017). Ainsi, même dans les situations où les intérêts de l’agent et du principal divergent, l’intendance mise sur la coopération et la collaboration plutôt que sur la défection15 pour l’atteinte des objectifs organisationnels (Davis et al., 1997;

Keay, 2017). Il s’agit d’une forme de responsabilisation qui s’appuie sur des relations

de confiance, de mutualité et d’obligations réciproques plutôt que sur un système de contraintes (Dubois et al., 2003). Hernandez (2008) explique que la théorie de l’intendance existe dans la mesure où chaque acteur assume sa responsabilité personnelle pour les effets globaux des actions entreprises par l’organisation [traduction libre] 16..

La philosophie de gestion de la théorie de l’intendance se caractérise par une approche hautement participative basée sur les communications ouvertes, la confiance et une grande autonomie des travailleurs. Cette approche présume que lorsque les employés ont des responsabilités et des défis à relever, ils développeront des comportements d’auto-discipline et d’auto-détermination (Davis et al., 1997). Pour Gagné et Deci (2005), le soutien de cette autonomie se traduit par des pratiques de gestion qui encouragent l’initiative, qui tentent de comprendre et de reconnaître la perspective des employés, qui fournissent l’information pertinente et qui minimisent la pression et les mécanismes de contrôle.

Somme toute, à travers les propos des différents auteurs qui s’intéressent à l’imputabilité et à la responsabilité, l’imputabilité semble revêtir un caractère plus réactif (donner une réponse à un demandeur), alors que la responsabilité subjective dégage plus de proactivité en raison de la liberté d’action qui lui est davantage associée. Mulgan (2000) parle de l’imputabilité comme d’une capacité à répondre aux exigences d’une autre personne et de la responsabilité comme d’une capacité d’agir librement de manière responsable17. L’imputabilité et la responsabilisation subjective comportent toutes deux des avantages et des limites (Marchildon, 2004; Patry, 1994), ce qui laisse croire que de les envisager comme des formes de responsabilisation complémentaires serait plus intéressant que de les positionner dans la dichotomie autorité ou conscience amorcée par Friedrich et Finer (Mulgan, 2000; Patry 1994; Williams et Taylor, 2013).

16 “It [stewardship] exists to the extent that organizational actors take a personnal responsibility for the

effects of organizational actions” (Hernandez, 2008, p.122).

17 Traduction libre de « capacity to respond » et « the capacity to act freely and responsibly » (Mulgan,

Aux fins de la présente recherche, le terme responsabilisation comprend les deux aspects relevés dans la littérature; celui lié à l’idée de rendre compte (imputabilité) et celui de la liberté d’action, de l’autonomie nécessaire à la prise d’initiatives. L’utilisation du terme responsabilisation permet ainsi de concilier l’imputabilité et l’initiative.