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La représentation et l’illusion de la transparence

CHAPITRE 1. CADRAGE THÉORIQUE : LA PRESSE ÉCRITE AU CŒUR DE

B. La représentation et l’illusion de la transparence

La représentation, est, dans une définition minimale, le fait qui consiste à assurer la présence de

quelque chose d’absent à travers des modes d’expression.

« La représentation, qu’on peut lire comme une nouvelle présentation, ou encore un retour du présenté, entre dans la perspective de la répétition. Le même revient. Mais ce

même qui revient n’est pas en tout point le même, puisque précisément il revient. Entre ce qui fut et ce qui revient, l’écart est celui énoncé par Héraclite, et notamment travaillé

par Deleuze dans différence et répétition : dans le retour il y a de la différence »37.

Cette définition appliquée à la presse signifie que chaque journal procède à des mises en scènes

spécifiques pour refléter le monde d’événements. En d’autres termes, ce qui est présenté dans le

journal est re-présenté et c’est de cette accumulation de spectacles que le lecteur accompagne son repas de chaque matin.

Cette tension entre la monstration et la construction de l’événement, entre sa présentation et sa

représentation est mise en exergue dans notre travail. Comment un journal voit avec son propre

œil l’événement et essaie de le transmettre au lecteur ?

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Arquembourg-Moreau, Jocelyne, Le temps des événements médiatiques, op. cit, p. 32. 37

Ucciani, Louis in Tosel, André et al, La représentation et ses crises du spectacle de la conscience à la conscience

b. 1 L’instance de production

La première phase de cette représentation se traduit à travers la forme unique qui caractérise chaque journal. Elle nous fait penser à la pagination, à la distribution des colonnes, des titres, des illustrations, à la mise en rubrique des thèmes différents, aux différents genres des énoncés, qui,

ensemble forment l’univers dans lequel vient s’installer l’événement. Ceci sans oublier de nous

interroger sur la surface que tel sujet occupe sur la page et sa place dans telle ou telle partie. En

d’autres termes les principes de classification et de répartition de la matière informationnelle.

Nous rejoignons M. Mouillaud dans le fait que « la mise en page apparaît alors comme une

rhétorique de l’espace qui destructure l’ordre du discours (sa logique temporelle) pour

reconstituer un discours original qui est précisément, le discours du journal »38. Nous verrons ainsi dans notre dernière partie l’emplacement et le traitement de l’environnement dans les trois titres étudiés.

Tous ces aspects font partie de la mise en scène de l’information journalistique et constituent une manière de représentation, à travers laquelle chaque journal nous invite à entrer dans le mouvement du monde qui nous entoure. Cependant, la mise en forme ne constitue pas la seule condition de la production du sens dans le journal. Une deuxième phase de la représentation commence avec le contenu proposé par la presse.

Nous partons de l’idée que n’importe quelle situation de communication ou d’échange langagier

repose, suivant la théorisation de P. Charaudeau, sur un double contrat : d’information et de captation. Le premier renvoie à la nécessité qu’a chaque support de présenter une information

concernant l’espace public qui respecte les normes du temps et de l’espace. Le deuxième s’appuie sur deux principes : de sérieux et de plaisir. Alors que le principe de sérieux tend à garantir la fiabilité de l’information transmise, celui de plaisir vise, quant à lui, à séduire le

public et donc à garantir la satisfaction de ses affects en mobilisant différents imaginaires sociaux. À nos yeux, la visée de captation menace au Liban celle d’information et bouleverse le

sens même de l’événement. Une opinion partagée par le chef de la rédaction du journal télévisé

de la chaîne MTV39 G. Yazbik40 :

38 Tosel, André et al, La représentation et ses crises…, idem, p. 57, 58. 39

La chaîne privée MTV, propriété de Gabriel El-Murr, frère du député Michel El-Murr a fait son retour le 7 avril 2009 après sept années d’interruption.

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« Les médias sont considérés comme étant le quatrième pouvoir, censés suivre, enquêter,

critiquer et parfois résoudre les problèmes de la nation de n’importe quel ordre soient-ils (politique, environnemental, social…). Ils doivent aussi présenter aux spectateurs l’information dans son intégralité sans l’influencer d’une manière ou d’une autre. Ce qui n’est pas le cas au Liban. Ici, nous employons les médias au service des intérêts

politiques et du show off allant jusqu’à satisfaire les envies de l’opinion publique et oubliant par là notre rôle essentiel : au lieu de travailler à améliorer cette opinion, nous ne faisons que la refléter et la consolider. Nous ne pouvons pas parler d’une presse libre et démocrate au Liban mais il existe certains journalistes minoritaires qui le sont. Malheureusement, ils ne peuvent pas changer grand-chose à l’état actuel ».

D. Bougnoux parle d’une crise de la représentation. Une crise qui remet en cause la couverture médiatique des événements. La demande constante de choc et de nouveautés ne risque-t-elle pas

d’altérer la transparence du sens et en conséquence, nous offrir une information biaisée ?

Dans un monde soumis actuellement à la loi du spectacle et se trouvant en position permanente

de concurrence, la balance entre l’information et la captation n’est plus égale et le second

principe est celui qui tient le haut du pavé. Ceci nous pousse à constater que le fait de transmettre le même message par deux quotidiens signifie transmettre deux messages différents.

Le réel se représente et nous arrive écrit par un autre. Toute représentation nous renseigne sur

l’identité unique de cet autre. « Comment formuler la moindre représentation d’un état du monde sans y inclure son propre état de sujet énonciateur, à savoir sa croyance qu’il en va bien ainsi,

donc à travers cette croyance une forme d’engagement, et le projet d’amener l’auditeur à partager la même opinion »41 ? De plus, cette identité renvoie non seulement au journaliste mais

aux déterminations techniques et sociologiques du média qu’il représente et au récepteur à qui il s’adresse. Le fonctionnement du système médiatique, dans notre cas le quotidien, devient égal à

la somme de toutes les forces extérieures et intérieures appliquées à ce système. Le champ

journalistique est donc soumis à des contraintes qui s’exercent de l’intérieur vers l’extérieur et

réciproquement. C’est à la relation entre les textes et les acteurs qui les produisent et qui les reçoivent que nous nous intéressons dans ce travail. Ce qui justifie notre choix de retenir le mot « discours ». Celui-ci prend en compte, selon A. Nedjar, les récepteurs « puisqu’il s’inscrit dans une dimension communicationnelle et interactive. C’est par ailleurs ce qui le distingue du "texte"

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qui serait coupé de ses contextes de production et de réception »42. Les discours produits par la

presse incarnent l’image de leurs émetteurs et de leurs récepteurs. Ils sont les traces de leurs

conditions sociales. La page d’un journal n’est que le reflet de l’ensemble de ces pressions exercées. Nous adoptons le point de vue de l’analyse de discours développé par D. Maingueneau. Celle-ci « n’appréhende ni l’organisation textuelle en elle-même, ni la situation de

communication, mais s’efforce de les associer intimement »43

. Nous présentons une définition plus détaillée de cette méthode dans le chapitre 5.

b. 2 Le récepteur et sa représentation

À chaque représentation médiatique correspond une perception publique. C’est à travers cette

réaction que s’accomplit le processus de communication. Ainsi, au cœur de toute information

existe une double représentation. La communication médiatique suppose la présence de deux pôles : l’émetteur et le récepteur. À l’image de l’émetteur, la représentation qui se dessine dans

l’esprit du récepteur dépend d’un certain nombre de conditions qui lui donnent sa forme. Le texte

renvoie toujours à un autre texte que le lecteur construit à travers sa propre compréhension. Si la première représentation nous ramène à un pouvoir extérieur exercé sur le récepteur, la seconde constitue la rencontre de ce récepteur avec sa capacité à déchiffrer ce qui est représenté.

Ce point sera développé dans la suite de notre recherche en analysant les relations texte- récepteurs inscrites dans les discours journalistiques. Nous allons essayer de montrer que la question de réception ne peut être comprise selon un schéma aveuglément adopté, mais qu’elle change en fonction des milieux dans lesquels elle est étudiée. La connaissance du lexique et de la grammaire d’une langue ne suffit pas selon D. Maingueneau pour comprendre un énoncé.

L’auteur nous invite à comprendre l’acte d’énonciation comme un processus foncièrement

asymétrique. « Celui qui interprète l’énoncé reconstruit son sens à partir d’indications données

dans l’énoncé produit, mais rien ne garantit que ce qu’il reconstruit coïncide avec les représentations de l’énonciateur »44

. Les représentations mentales que les Libanais font de

l’environnement diffèrent, à titre d’exemple, de celles construites par des Français. Ces

représentations témoignent de l’identité du groupe social, de ses habitudes, de ses valeurs et de

42 Nedjar, Akila, Le thème de l’environnement dans les médias généralistes : l’analyse des cadres discursifs, thèse École normale supérieure de Lyon Lettres et sciences humaines, sous la direction de Suzanne de Cheveigné, soutenue le 22 décembre 2000, p. 23.

43

Maingueneau, Dominique, Analyser les textes de communication, éd. Armand Colin, Paris, 2007, p. 1. 44 Maingueneau, Dominique, Analyser les textes…, idem, p. 3.

ses préoccupations. La lecture d’un message est une action unique qui diffère au sein de la même société. Les habitants du Sud Liban, toujours menacés par les attaques israéliennes ne peuvent

pas percevoir de la même manière la question d’environnement que ceux de Beyrouth.

En définitive, nous soutenons l’idée que le journal, par sa propre représentation des événements,

contribue en quelque sorte à la construction de la réalité qui nous entoure. Pour chaque événement, la presse fournit une définition, explique le problème en se servant de mots, de métaphores et d’idées sélectionnés par les rédacteurs.

L’environnement est un événement. Il subit donc l’effet d’une représentation et sa diffusion devient tributaire de l’organisation de tous ces éléments. Reste à savoir comment se représente ce sujet dans l’espace public libanais, sur les deux plans, social et journalistique. C’est cette double

représentation que nous désirons cerner dans notre recherche.