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CHAPITRE 3. L’ENVIRONNEMENT : UNE CRISE DE REPRÉSENTATION

C. Construction sociale de l’environnement

Le terme229 d’ « environnement », apparaît dans les années 1920 en France. Il tombe progressivement en désuétude avant de réapparaître au début du XXème siècle en anglais, pour désigner le milieu. Il revient ensuite en Europe dans les années 1960, importé des États-Unis et est utilisé surtout dans les sciences de la nature. « Environnement »230s’impose après la Première Guerre mondiale, pour désigner un milieu dont on maîtrise désormais les facteurs multiples et

dont on sait qu’il est structuré par des réseaux complexes d’interrelations. Issu du substantif

anglais environment, il fait son entrée « officielle » dans le Larousse de la langue française en 1972, un an après la création du ministère Français de l’Environnement. Il désigne l’ensemble

des éléments naturels ou artificiels qui conditionnent la vie de l’homme. Autrement dit, l’eau, l’air, la terre, les sources d’énergie, les animaux, la forêt, la pollution, l’urbanisme. Nous

aborderons cette définition pour le choix des sujets dans la partie suivante. Cependant, cette

définition, qui semble évidente, est traversée par une opposition entre l’homme et la nature. Nous

partirons du principe selon lequel l’environnement est une construction sociale, marquée par les

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Duban, François, L’écologisme aux États-Unis histoire et aspect contemporains de l’environnementalisme

américain, éd. L’Harmattan, Paris, 2000, p. 9.

228 Rossi, Georges, L’ingérence écologique Environnement et développement rural du Nord au Sud, éd. CNRS, Paris 2000-2003, p. 33.

229

Alet, Bernard et al in Desailly, Bertrand et al, Environnement et sociétés territoires, risques, développement,

éducation, Presse du CRDP, Toulouse, 2005, p. 4.

caractéristiques de chaque milieu. Plusieurs raisons justifient notre affirmation. « La biosphère, comme le dit A. Berque231, ce n’est pas seulement Gaia, cette entité qui se passerait fort bien de

l’homme, c’est aussi la Terre dans son habitabilité pour l’homme, c'est-à-dire encore le tissu

phénoménologique des valeurs humaines ». Clore sur lui-même « le monde de la matière » et le détacher du « monde de la vie » revient à priver les deux mondes de leur sens. L’humain et

l’inhumain fusionnent et se façonnent l’un l’autre. Afin d’expliciter la relation d’une société à

« l’étendue terrestre », A. Berque emploie le terme d’écoumène. Physique et social s’invitent à se réarticuler pour former sa matière première. « Dans l’écoumène, note-t-il, le fait et la valeur se conjuguent »232. Tout comme A. Berque, P. Lascoumes nie l’existence d’une nature innocente.

Selon lui, l’environnement ne peut être envisagé comme un espace spontané. Il résulte des activités humaines aux fins entremêlées d’exploitation, de valorisation et de destruction.

« L’environnement tel que nous le vivons, le concevons, le revendiquons est d’abord une construction sociale »233. Dans cette vision, le monde physique est un réseau de significations à construire et à activer par notre propre monde. Ceci donne lieu à une pluralité des représentations

de l’environnement qui varient, d’après le même auteur, selon deux types d’éléments. Le premier concerne les catégories d’acteurs étudiés, leur socialisation et leurs expériences concrètes. Le

second élément fait intervenir les contextes dans lesquels une situation est perçue comme posant problème. Parler d’environnement au singulier, conclut l’auteur, est د une facilité de langage trompeuse »234.

Abondant dans le même sens, F. Mancebo considère que nature et homme forment un tout indissociable. Il n’existe de nature que transformée par l’activité de l’homme. Celle-ci, explique F. Mancebo, dépasse le travail matériel pour y associer le travail mental. « Un espace naturel

n’est donc pas seulement travaillé matériellement, il est aussi travaillé mentalement par les

communautés humaines qui le désignent comme tel. Faute de quoi il n’existe pas »235. La grille

de lecture à partir de laquelle l’homme perçoit son environnement est guidée par la nature des relations qu’il entretient avec son milieu. L’investissement de l’espace par les êtres humains est à

la base de la définition du milieu. Autrement dit, c’est la manière avec laquelle l’homme

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Berque, Augustin in Bourg, Dominique, La nature en politique ou l’enjeu philosophique de l’écologie, éd.

L’Harmattan, Paris, 1993, p. 16.

232 Berque, Augustin in Bourg, Dominique, La nature en politique…, idem, p. 19.

233 Lascoumes, Pierre, L’éco-pouvoir environnements et politiques, éd. La Découverte, Paris, 1994, p. 9. 234 Lascoumes, Pierre, L’éco-pouvoir…, idem, p. 14.

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s’approprie le lieu pour construire un milieu de vie. Un lien profond unit l’homme à son environnement, ce qui donne à ce terme la possibilité d’être conçu non pas comme une forme

stabilisée mais mobile. Pour cela, F. Mancebo nous invite à substituer à la notion de qualité de

l’environnement celle de qualité de vie. Alors que la première définit un fonctionnement optimal

des écosystèmes à partir de variables physico-chimiques et biologiques, la seconde renvoie aux

représentations collectives et individuelles dont est investi l’environnement de proximité.

Nous tentons donc de rechercher le sens de l’environnement dans son rapport avec l’homme. Les

besoins236de ce dernier et la stratégie qu’il met en place pour les assouvir dessine la forme d’un tel rapport. Mais ces besoins et ces stratégies ne sont que la partie émergente d’un système de valeurs237 accumulées chez chacun d’entre nous. Loin d’être le fruit du néant, c’est au centre

d’un terrain particulier que naissent les valeurs individuelles qui, à leur tour, font créer les

besoins et les stratégies de chaque individu. Étant donné l’infinité des terrains, des valeurs, des

besoins et des stratégies, il n’est pas étonnant que nous trouvions une infinité de définitions pour l’environnement.

D’un autre côté, bien qu’il ne s’agisse pas dans ce travail de s’arrêter sur la reconnaissance des crimes contre l’environnement au même titre que les crimes contre l’humanité, nous essayerons de montrer que les atteintes à l’environnement au Liban sont devenues tellement graves qu’elles

nécessitent une réponse pénale. L’extermination par l’Allemagne nazie des trois quarts des juifs

d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale a conduit aux notions juridiques de génocides et de crimes contre l’humanité. Partant de cet exemple, M. Tarrier238 évoque la présence d’une autre catastrophe, globale, portant sur le milieu, les ressources, les autres espèces, en un mot sur

l’avenir planétaire. Dans un contexte où la crise écologique commence à produire des effets irréversibles de nuisibilité, il serait temps, selon l’auteur, de recourir à une syntaxe susceptible de

la désigner. Le mot écocide est loin d’être d’un usage courant. Dans le cadre ce cette recherche, les « crimes environnementaux ذ, en tant qu’atteintes portées à la nature, renvoient à des relations étroites avec le monde politique et social. Nombre d’entre eux sont commis ou protégés

par les hommes de pouvoir, dans une société où les questions environnementales sont loin d’être

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Besoins : ce sont les dimensions fondamentales de l’épanouissement de l’être humain. Nous appelons « besoins »

des raisons d’agir qui ne requièrent pas de raison supérieure. Omann, Ines et al., in Theys, Jacques et al., Le développement durable, la seconde étape, éd. de l’Aube, La Tour D’Aigues, 2010, p. 125.

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Valeur : c’est l’importance spécifique conférée à un besoin ou une stratégie ou à un ensemble de besoins et stratégies. Ibid.

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prioritaires. Les mesures à adopter face à la dégradation de l’environnement au Liban risquent de

mourir dès qu’elles bousculent les acquis et les privilèges d’en haut.

II. L’environnement à la libanaise

Des montagnes de déchets sans cesse grandissantes, une atmosphère plutôt étouffante dans des villes bétonnées et irrémédiablement défigurées, des routes éventrées et embouteillées et des

plages dépotoirs… Autant de problèmes qui résument la réalité environnementale libanaise. Et la liste est loin d’être complète. Selon G. Ghanem239

,

« La désorganisation sociale et institutionnelle occasionnée par la guerre civile, combinée à trente ans de présence militaire syrienne, contribue à une situation de chaos.

La gestion de l’État est presque inexistante. Tout devient possible. Pour les chefs de

milice, la crise est une opportunité économique préférable à la paix qui, de fait, leur

permet d’accumuler des fortunes ».

Toutefois, nous sommes convaincue, ceci étant une idée clé de cette étude, qu’outre les ravages et les séquelles que les différents conflits ont tatoués sur notre terre, il existe d’autres facteurs

responsables de nos malheurs écologiques. L’état de l’environnement au Liban questionne la gestion politique du pays et la conscience civique. Selon nous, notre fléau majeur reste la timidité intellectuelle de beaucoup de Libanais sur laquelle viennent se greffer la violation des

lois, la corruption des fonctionnaires et un appétit d’argent aux proportions extrêmes. Nous

allons essayer de rassembler, à partir de la situation environnementale, quelques éléments de preuve de ces affirmations. Une crise écologique pèse sur le Liban, sur tous les plans. C’est ce que nous tenterons de montrer dans le panorama qui suit.