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La redéfinition d’une entreprise commune

6. La dynamique MAFCOT : un processus interactif

6.4. Temps du doute

6.4.1. Crise interne

6.4.1.2. La redéfinition d’une entreprise commune

« [I]l y a ce besoin de la part de collègues de dire : ‘on a besoin de rebondir sur une idée nouvelle, sur un concept un peu nouveau, sur lequel on puisse re-embarquer ‘. C’est pas si facile que ça […]. Les idées novatrices, par définition, ne se décrètent pas. On peut avoir des terrains favorables […], souvent des petits groupes d’individus. En général, les grandes structures […] creusent les concepts déjà existants, elles formalisent, elles développent des outils […], mais l’outil ne remplace pas le concept […]. Il s’avère que ce sont souvent des

petits groupes de gens qui déclenchent une idée » (P-E. Lauri, chercheur INRA et animateur MAFCOT, 05.2003).

Tant que l’extinction et la conduite centrifuge intéressaient tout le monde, des consensus étaient trouvés, des protocoles satisfaisant tout le monde étaient montés. Depuis que l’extinction et la conduite centrifuge sont considérées de l’ordre du développement, même si plusieurs points ne sont pas encore réglés, le groupe est en manque d’une idée forte et fédératrice. Certains se plaignent de ne plus rien apprendre lors des réunions, de faire 1000 km pour ne rien en tirer de bénéfique. Le groupe est conscient qu’il doit se redonner des objectifs s’il veut continuer à vivre. « Les objectifs poursuivis par une communauté de pratique ne sont pas pré-définis, mais sont le résultat négocié d’un processus collectif. Cette négociation va intervenir dans le cours de l’action ; ce sont en effet les activités des différents acteurs qui vont contribuer à alimenter directement le processus de définition négociée des objectifs à atteindre par la communauté. Cette négociation va agir comme un puissant révélateur des différences dans les aspirations et les buts poursuivis par chacun des individus qui constituent la communauté, et dans les moyens mis en œuvre pour atteindre ces buts » (Geslin et Salembier 2002, p. 247). Lors de la réunion d’octobre 2002, l’objectif final du groupe fut réitéré.

« Objectifs du groupe MAFCOT : améliorer la performance agronomique du verger et améliorer le produit en quantité et en qualité, par le développement de compétences sur la physiologie de l’arbre, notamment fruitier » (compte-rendu réunion MAFCOT du 01.10.2002).

Malgré tout, tous ne partagent pas la même vision. Alors que certains cherchent à tout prix à innover, d’autres pensent qu’il est également important de valider et valoriser ce qui a été fait.

« [L]à je pense, même si tout n’est pas réglé (mais ça, c’est du ressort de chacun dans son coin, en fonction de ses spécificités variétales, etc.), que le concept lui-même a largement fait ses preuves, donc on a peut-être plus beaucoup de choses sur l’aspect purement conduite de l’arbre à déchiffrer, à découvrir. Ce manque de se redonner des objectifs fait que les deux ou trois dernières réunions n’ont pas apporté grand chose, donc c’est vrai que c’est un peu à cause de ça qu’on patine. Ça exacerbe peut-être certains membres du groupe, parce que dans leur mode de fonctionnement, il faut sans cesse avancer. C’est vrai que l’intérêt de ce groupe-là, c’est de garder son aspect innovant, donc d’avancer, ceci dit, avancer en validant. Parce que quand tu avances trop vite sans suffisamment valider, tu peux aussi te planter. Se planter,

ça peut faire partie de la démarche du groupe, mais à ce moment-là, il faut le dire […] » (technicien MAFCOT, 07.2003).

« Dans MAFCOT, il y a ceux qui cherchent vraiment à innover, prendre des risques, être prospectif et ceux qui ne veulent pas se planter. Peut-être que chacun a son rôle à jouer…»

(technicien MAFCOT, 06.2003).

Par ailleurs, certaines personnes partent sur des idées plus pragmatiques, plus techniques et précises, telles que le nombre de branches à laisser, leur disposition autour du tronc, etc. Si telle chose n’est pas appliquée comme préconisée, ils considèrent que ce n’est pas « du MAFCOT », alors que d’autres ne s’inquiètent pas de savoir si c’est « du MAFCOT » ou pas, du temps qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent.

« Les gens qui défendent l’idée d’un noyau dur sont plus sur cet aspect recette qu’il faut appliquer et voudraient donc fixer des choses précises. Pour moi, MAFCOT, c’est une approche de l’arbre dans laquelle on trouve chacun notre façon de faire en fonction de l’exploitation, des objectifs du producteur, etc.» (technicien MAFCOT, 06.2003).

Ainsi se retrouve-t-on avec deux positions, correspondant plus ou moins aux personnes pour un groupe plutôt fermé et les autres pour un groupe plutôt ouvert. Les premiers, bien que soulignant la nécessité de retrouver une idée forte afin que MAFCOT ne devienne pas une « belle coquille vide », proposent des pistes plus techniques, s’inscrivant principalement dans le cadre de la conduite centrifuge. Quant aux deuxièmes, ils parlent aussi de la nécessité de retrouver une idée forte, mais leurs pistes sont plus prospectives et concernent non seulement la conduite de l’arbre, mais du verger. Pour J-M. Lespinasse, il est important de répondre aux préoccupations actuelles des producteurs, mais il faut aussi réserver du temps pour penser aux questions qu’ils ne se posent pas encore, mais qu’ils risquent d’être amenés à se poser, comme les problèmes écologiques. Le problème avec les plantes pérennes est qu’il faut du temps pour expérimenter. Alors qu’on peut planter plusieurs générations de salades dans la même année, il faut au moins cinq ans pour comprendre comment fonctionne et réagit un arbre fruitier.

Ainsi, certaines personnes envisagent un verger plus extensif, à faible intrant, qui n’aurait quasiment pas besoin d’artifice. Pour cela, la création variétale est indispensable. Des variétés résistantes aux maladies, qui font de l’extinction naturellement, avec un fruit par inflorescence, etc. diminueraient

considérablement l’usage des produits phytosanitaires, mais aussi des travaux manuels (extinction et éclaircissage manuel). La vigueur, autrefois considérée comme un handicap, devient alors indispensable pour améliorer la qualité et la régularité de la production. Elle mérite d’être mieux exploitée. L’utilisation de porte-greffes plus vigoureux ou même des arbres sur leurs propres racines pour certaines variétés, pourrait être envisagée dans l’optique d’une irrigation et d’un palissage moindre. Les coûts de production se verraient également réduits. Les arbres seraient capables d’aller chercher de l’eau beaucoup plus bas, ce qui résoudrait certains problèmes récents liés à la canicule et au besoin en eau. Par conséquent, afin d’obtenir une irrigation optimale, l’adéquation entre le fonctionnement du système racinaire et le besoin en eau doit être mieux étudiée. Les influences des techniques culturales (conduite de l’arbre et fertilisation notamment) sur les populations de ravageurs dans l’arbre et le verger doivent également être étudiées davantage. Par ailleurs, l’utilisation de légumineuses pourrait éviter le désherbage chimique, etc. Tous sont conscients que ces travaux impliquent des études transversales avec l’INRA, les acteurs de terrain, les centres d’expérimentations et le Ctifl.

Des essais ont déjà été mis en place par certaines personnes de MAFOT dans cette optique là.

« On cogite déjà le nouveau verger de demain. Si c’est des idées folles, ça sera des idées folles » (technicien MAFCOT, 08.2003).