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La conduite centrifuge en France et à l’étranger

6. La dynamique MAFCOT : un processus interactif

6.3. Temps des individus

6.3.6. La conduite centrifuge en France et à l’étranger

De manière générale, il semblerait que la majorité des vergers de pommiers en France soient désormais conduits en port pleureur et taille longue. On estime en effet que 90 à 95% des vergers de 10 ans ou plus ont adopté le nouveau concept de branche fruitière libre, quel que soit le mode de conduite (Palmette ou Axe vertical) (Lauri, Lespinasse 2000). Plusieurs milliers d’hectares sont passés ou sont en train de passer à la conduite centrifuge. Cependant, il est délicat de donner des chiffres, car tous ne s’approprient pas la technique de la même manière. Certains font le puits de lumière mais pas d’extinction le long des branches, d’autres ont des branches plus ou moins complexes, d’autres encore se risquent à faire des extinctions sur des arbres déséquilibrés, etc. Le passage de la branche tube à la branche complexe s’est fait d’autant plus facilement que c’est un geste en moins à effectuer, bien que certaines personnes n’aiment pas son allure « fouillis ». Le puits de lumière est très bien passé, beaucoup se demandent comment ils n’y ont pas pensé auparavant.

Par contre, l’extinction pour bien répartir la charge, si elle est pratiquée par de plus en plus de producteurs, ne s’est pas encore généralisée. Les personnes semblent convaincues de ses

« bienfaits », mais la situation économique difficile ne favorise pas son développement.

A l’étranger, la technique se développe, mais à un rythme différent, car d’une part, il n’existe pas ce

« réseau MAFCOT » mis en place en France, et d’autre part, chaque région, et à plus grande raison, chaque pays est caractérisé par un contexte propre, qui détermine « l’accueil » fait à la technique. L’idée selon laquelle les techniques qui fonctionnent chez soi doivent également fonctionner ailleurs est fausse. Toute technique est conçue dans un contexte pédoclimatique, économique, politique, historique, social et culturel donné. Et lorsque l’on transfert cette technique, même à la demande des pays concernés, ce cadre économique, socio-culturel, etc. est également en partie transféré (Geslin, 2003). Tout fait technique est donc bien un fait social. La technique proposée par MAFCOT est bien plus qu’une simple technique, elle implique la remise en cause de toute une conception de l’arbre, du rapport humain à celui-ci, du travail de tailleur, mais aussi de la répartition des tâches de travail, etc. Par conséquent, même si les conditions pédoclimatiques étaient les mêmes, la technique ne serait certainement pas appropriée de la même façon.

exemple, j’ai souvent entendu dire que les Marocains comprennent bien l’arbre, qu’ils le « sentent », mais qu’il faut être derrière eux lors de l’extinction et de l’éclaircissage manuel car ils n’aiment pas jeter des fruits par terre.

Ou encore que les femmes « ressentent » mieux les choses que les hommes », etc.

En Suisse, la partie alémanique, plus tournée vers l’Allemagne, n’a en général pas suivi l’évolution française en matière de conduite. La partie francophone, dont les cantons arboricoles principaux sont Vaud et le Valais, a quant à elle reçu différentes influences. Au début des années 1990, un chercheur du Centre d’Arboriculture et d’Horticulture des Fougères et un enseignant à la Haute Ecole Spécialisée (HES) de Changins ont servi de relais de J-M. Lespinasse et ont tout fait pour provoquer une « rupture ».

« On a été voir J-M. Lespinasse en 91. J-M. Lespinasse était un « collègue » de mon prédécesseur.

Les gens qui s’occupaient de la conduite se connaissaient tous […]. J-M. Lespinasse était déjà connu ici [canton du Valais, Suisse] il y a plus de 20 ans. Il fait partie des grandes figures qui se sont occupées de la taille, la conduite, la physiologie des arbres fruitiers, au sens appliqué du terme. En arrivant ici, je savais déjà pratiquement qui c’était, et à la première opportunité, avec ce collègue de l’HES [école d’ingénieur], on est allé le voir, parce qu’on entendait parler de ces branches qui pendaient, on se disait : ‘c’est pas possible !’ On a été convaincu assez vite, la force de conviction du bonhomme l’a tout de suite emporté. On a tout de suite mis en place des essais [Axe vertical et Solen]. Mon collègue a changé son enseignement en 3-4 ans, il a refait ses cours complètement » (chercheur au Centre d’Arboriculture et d’Horticulture des Fougères, Suisse, 07.2003).

Jusque-là, les producteurs conduisaient en Fuseau (Axe structuré) ou en Palmette. L’idée de base était que l’arbre devait posséder une structure. La taille des premières années était donc assez contraignante, et par la suite, elle était effectuée selon les principes du renouvellement des organes de production. Actuellement, ces pratiques ont été abandonnées par la majorité des producteurs, du moins les plus jeunes et les plus « dynamiques ». Tout en gardant l’idée d’une branche fruitière libre, le chercheur en question a aujourd’hui pris une voie quelque peu différente en proposant des systèmes en V, en Y, etc. Il intègre des réflexions anglo-saxonnes, australiennes, sud-africaines et des mesures d’interception et de distribution de la lumière. Il n’est pas convaincu par l’extinction car ses essais n’ont pas été concluants. Il l’explique notamment par une gestion de l’équilibre végétatif assez problématique occasionnée par la conduite en Solaxe. Par ailleurs, le fait de faire monter les arbres plus haut en raison de l’extinction ne lui paraît pas satisfaisant dans l’optique d’une amélioration des conditions de travail. En revanche, celle de diviser la vigueur en plusieurs organes de structure, offrir une meilleure occupation de l’espace et se donner une chance de maîtriser la hauteur lui semblent intéressantes. Il reçoit parfois des personnes des pays de l’Est, intéressés par les propositions de J-M. Lespinasse et de MAFCOT.

Quelques techniciens du canton de Vaud, qui participent aux réunions MAFCOT, sont intéressés par l’extinction, mais c’est encore quelque chose qu’ils discutent et qui n’est pas encore intégré au niveau de la profession. Des cours sont donnés, mais il n’est pas sûr que la technique soit reprise par la profession, en raison de la morosité économique. Il est également nécessaire de voir comment réagissent les arbres sur des terrains très poussants et de tenir compte du marché suisse qui n’absorbe pas les gros fruits comme la France. Mais la taille longue a fait de nombreux adeptes, d’autant plus qu’elle est beaucoup plus facile à comprendre que les tailles sévères « classiques ».

Cependant, « l’évolution des mentalités étant plus lente, la plupart des producteurs qui avaient passé à la ‘branche tube’ commencent seulement à envisager la conduite centrifuge avec la crainte que les nouvelles propositions arrivent à un rythme trop soutenu » (chercheur au Centre d’Arboriculture et d’Horticulture des Fougères, Suisse, courriel personnel du 28.01.2004).

En Italie, les deux régions les plus productrices de pommes sont le Trentin et le Haut Adige. Les arbres y sont encore passablement « architecturés », car ils ont reçu l’influence de la Hollande, notamment en adoptant le système Spindelbush. Si les branches sont toujours « disposées » sur l’arbre, les arbres sont néanmoins moins structurés aujourd’hui.

« Personnellement, je pense que leur réticence ou prudence à adopter un nouveau système de conduite des arbres fruitiers, dépend d’un certain orgueil lié au rôle historique très important de la pomme dans la culture et dans l’économie de ces régions » (technicien MAFCOT, Italie, courriel personnel du 28.01.2004).

Depuis deux ans, des techniciens de Haut Adige ont montré un certain intérêt pour ces nouveaux concepts de conduite. Mais c’est au Piémont que le message semble passer plus rapidement, du moins un certain nombre de producteurs ont adopté la conduite centrifuge dans leurs vergers. La constitution d’un groupe « MAFCOT italien », composé de techniciens du Val d’Aoste, du Piémont et du Trentin a joué un rôle important dans la divulgation des concepts de conduite centrifuge. Des essais sont mis en place dans les trois régions. A l’origine de ce groupe se trouve un jeune technicien passionné, ayant fait des stages en France auprès de membres MAFCOT et qui prend beaucoup sur son temps libre pour faire connaître la nouvelle technique. Et apparemment les demandes d’intervention ne manquent pas !

Au Chili et en Uruguay, où les tailles sévères associées à des porte-greffes vigoureux expliquent les situations de vigueur végétative souvent incontrôlables, la conduite centrifuge s’est répandue dans de

nombreux vergers. Cette évolution est due au groupe chilien Pomanova, intéressé par la démarche MAFCOT en France. Leur mode de fonctionnement ressemble d’ailleurs à celui de MAFCOT, bien qu’il soit plus structuré. Ainsi, ils se rapprochent des concepts français de branche fruitière libre, extinction, etc. au détriment des relations qu’ils entretenaient jusque là avec les Néo-zélandais et les Sud-africains. Des Espagnols sont parfois allés jusqu’au Chili après avoir entendu parlé des techniques MAFCOT, pour apprendre que les techniques provenaient de France !