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Définition et poursuite d’une entreprise commune

6. La dynamique MAFCOT : un processus interactif

6.2. Temps du collectif

6.2.2. Définition et poursuite d’une entreprise commune

« Pour que quelque chose puisse être créé, avec l’accord de tous, puis puisse être proposé, il faut au départ obligatoirement une envie commune et des besoins communs » (J-M.

Lespinasse, chercheur INRA et co-animateur Mafcot, 08.2003).

Tous ont ce besoin et cette envie d’expérimenter un nouveau type de collaboration entre chercheurs et techniciens d’une part, et d’autre part, d’améliorer la qualité et la régularité de la production de pommes à partir d’une meilleure connaissance de la physiologie de l’arbre. Ils partagent également une certaine vision des choses. L’idée d’imposer une forme à l’arbre est abandonnée au profit d’une plus grande « expression » de celui-ci.

« C’est pas la forme qui est importante, l’arbre peut avoir la forme la plus tarabiscotée, on en a rien à cirer ! Ce qui compte, c’est ce qu’on fait de la branche fruitière. Et la grande originalité de MAFCOT, c’est qu’on a abandonné l’idée de créer une forme d’arbre et on a réfléchi à comment fonctionne une branche, comment elle fructifie, comment elle se renouvelle, et ça, c’est le travail de Jean-Marie Lespinasse pendant une trentaine d’années » (technicien MAFCOT, 07.2003).

Une meilleure connaissance de la biologie et physiologie de l’arbre doit amener à des propositions concrètes de conduite. Toutefois, le but du groupe n’est pas de développer des « recettes » mais une meilleure compréhension de la plante afin de mieux agir.

« [N]otre originalité est clairement la volonté de mieux comprendre pour mieux agir. Il n’est pas, en l’occurrence, de développer des recettes de conduite. Ce point n’est pas incompatible avec le fait que nous avons un devoir de suivi de nos préconisations sur le terrain ; il découle naturellement de notre travail dans nos structures professionnelles respectives » (compte-rendu réunion MAFCOT du 01.10.2002).

Leurs propositions sont considérées comme une « palette d’outils » à disposition des producteurs et techniciens, les aidant à porter un diagnostic sur leurs arbres et à raisonner leurs actions.

« Rien n’est jamais fixé. J’ai beaucoup insisté sur le fait que selon les variétés, on n’a pas les mêmes réactivités aux opérations. On a un diagnostic, une palette d’outils dont on peut se servir : il y a l’arcure, les tailles d’hiver classiques, l’extinction, les porte-greffes, les distances de plantation et selon la variété que l’on a dans un endroit donné, on va utiliser plus ou moins tel ou tel outil. C’est plus cette approche raisonnée, intelligente de la conduite, qu’on essaie de développer » (P-E. Lauri, chercheur INRA et animateur MAFCOT, 05.2003).

Cet aspect est d’autant plus important dans un contexte actuel où les variétés se renouvellent très vite sur le marché, et où ces variétés provenant majoritairement de Nouvelle-Zélande et d’Australie sont souvent inconnues. MAFCOT souhaite qu’à terme, les producteurs soient plus autonomes et plus aptes à adapter leur outil de travail aux exigences du marché. Ainsi l’extinction n’est qu’un outil parmi d’autres, plus ou moins adapté selon les variétés et objectifs de production. Granny Smith n’en a quasiment pas besoin car elle le fait naturellement ; pour Gala par contre, l’extinction artificielle est un avantage considérable pour obtenir la qualité et le calibre requis. Depuis quelques mois, des

« fiches » sont régulièrement publiées afin d’expliquer quels sont les outils les plus adaptés à chaque variété (Hucbourg, Montagnon 2003, Hucbourg, Montagnon, Ramonguilhem 2003).

L’aspect développement relève de la responsabilité de chacun et non du groupe. Pourtant, c’est bien souvent sur des aspects concrets d’application en verger qu’il y a divergence. Par exemple, certains pensent qu’il est important de couper toutes les branches basses afin de ne pas pénaliser la prise en hauteur des arbres, alors que d’autres considèrent qu’elles ne posent pas problème et leur permettent d’attaquer une production dès la deuxième année en verger. Il n’existe pas non plus de consensus sur la tête de l’arbre pour savoir s’il vaut mieux la couper au sécateur afin de ne pas créer de zone d’ombre et de ne pas gêner les filets paragrêles, l’arquer comme une branche fruitière ou la laisser se terminer naturellement. Une autre question est celle du nombre de branches fruitières : est-il plus avantageux de laisser un maximum de branches avec peu de fruits ou un minimum de (grosses) branches avec un maximum de fruits ?

Une entreprise commune ne signifie pas simple accord. Leur compréhension de l’entreprise n’a pas besoin d’être uniforme pour être un produit collectif. L’entreprise est commune, non dans le sens que tous croient en la même chose et s’accordent sur tout, mais dans le fait qu’elle est collectivement

négociée (Wenger 1999). Les désaccords peuvent même être au cœur d’une pratique commune.

Bien que le terme « communauté » ait souvent une connotation positive, une communauté de pratique n’implique pas nécessairement paix et harmonie. Les conflits, la compétition sont des formes de participation (Wenger 1999). De par les fortes personnalités caractérisant les personnes du groupe initial, mais aussi du fait que tous appartiennent à des bassins de production différents et concurrents, les tensions, divergences de vue et confrontations d’idées n’ont jamais manqué dans MAFCOT, mais c’est bien ce qui était recherché.

« On a commencé à regarder ce qu’on pouvait faire, sans idée préconçue, en s’engueulant beaucoup, beaucoup. Parce que des gens comme […] ont un sacré caractère, […] aussi, moi-même à peu près aussi. On n’était pas d’accord avec Jean-Marie Lespinasse, on lui disait, bon lui n’acceptait pas notre truc, mais la fois d’après, il avait revu sa copie, donc ça avançait […] On se souvient plus de qui fait quoi, mais c’est par la discussion les uns avec les autres, c’est le travail d’un groupe, la confrontation de chacun, des gens avec des caractères forts mais qui ont une expérience différente parce que dans des régions différentes et la volonté de faire avancer le schmilblick » (technicien MAFCOT, 08.2003).

L’élaboration de protocoles est un bon exemple de consensus et de définition conjointe d’entreprise, renégociée au fur et à mesure de leurs activités. Si les membres du groupe veulent être en mesure de comparer leurs résultats, sur des sites différents, un accord doit nécessairement être trouvé sur la manière de mettre en place les essais. Les protocoles sont modifiés selon les résultats obtenus. Ainsi, suite à des observations en verger réalisées en 1999, les protocoles s’orientèrent vers une conception centrifuge de l’extinction. Cependant, l’élaboration commune de protocoles ne signifie pas que chacun ne mette pas en place des essais selon ses propres idées. Bien au contraire, ceux-ci sont encouragés. Les personnes de la pomme à cidre, par exemple, mènent depuis plusieurs années des essais d’extinction dans l’optique d’une réalisation mécanisée ou semi-mécanisée, condition indispensable pour vulgariser la technique, étant donné les contraintes économiques de leur production.

En fonction des résultats d’essais, les objectifs évoluent. Certains sont atteints, d’autres sont abandonnés. Ainsi, alors que le groupe MAFCOT espérait pouvoir limiter l’éclaircissage chimique grâce à l’extinction, l’inverse s’est produit : le nombre de fruits étant moindre, ils accrochent mieux et par conséquent le besoin en éclaircissage chimique est plus fort. Cependant, d’autres personnes

ont remarqué que grâce à une canopée plus aérée, la pénétration des produits chimiques se fait d’autant mieux.

En pomme à cidre, leurs objectifs sont quelque peu différents. Etant donné qu’ils n’ont pas les contraintes de calibre et de coloration de la pomme de table, ils espèrent pouvoir exclure l’éclaircissage chimique, ce qui est impensable en pomme de table. Par contre, ils ont quelque peu renoncé à faire du fruit sur fruit. L’extinction sur des arbres adultes donne de bons résultats, mais le retour des fruits se fait rarement sur les fruits de l’année précédente. Le but n’est alors plus d’arriver à quelque chose de synchronisé, mais de désynchronisé, c’est-à-dire que ce ne sont pas les mêmes rameaux qui donnent du fruit chaque année.