Ce « droit‐créance » implique donc une obligation positive de la part de la
« Nation », de l’Etat. Elle consiste en la mise en place d’un ensemble de prestations matérielles assurant à l’individu un accès total aux techniques lui permettant de préserver sa santé mais également dans l’établissement d’une législation protectrice qui s’applique de manière uniforme à la médecine libérale et à la médecine publique.
Néanmoins, cette conception du « droit‐créance » à la santé n’est pas la seule à se dégager dudit alinéa 11 du Préambule de 1946. En effet, le juge constitutionnel a déduit de cette norme qu’elle recouvrait également un véritable « droit subjectif » à la santé. Ce dernier implique, selon le régime des droits subjectifs, que nul, pas même l’Etat, puisse porter atteinte à la santé des individus. Nous avons choisi de ne pas traiter de cette conception pour l’instant afin la développer plus loin dans notre propos. A cette occasion, nous la confronterons donc au « droit‐créance » à la santé, notion que nous allons développer, dans un premier temps (Paragraphe 1) avant d’étudier sa conséquence principale, le libre accès aux soins (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La conception du droit à la santé en tant que « droit‐
créance »
Le « droit‐créance » à la protection de la santé est pleinement reconnu en droit international. Ce dernier semble d’ailleurs y être attaché. Nos voisins européens, dans leur Constitution évoquent également un tel droit (A). Cette étude nous permettra donc de faire un parallèle avec le droit à la protection de la santé tel qu’il est reconnu en France (B).
A) La reconnaissance internationale du droit à la protection de la santé
Cette reconnaissance internationale du droit à la santé s’entend donc du droit international stricto sensu (1), mais également du droit comparé (2). Nous constaterons que certaines Constitutions comme celle de l’Espagne ou du Portugal trouvent leur originalité en ce qu’elles mêlent le droit à la santé au droit environnemental (3).
1) La reconnaissance du droit à la protection de la santé par le droit international
Bon nombre de Déclarations ou de Pactes reconnaissent l’existence d’un tel droit.
Parmi ceux‐là il sera intéressant de commencer par la « Constitution » de l’Organisation mondiale de la santé adoptée par la Conférence internationale de la Santé, à New‐York du 19 juin au 22 juillet 1946. Ce texte s’adresse à l’ensemble des Etats l’ayant signé.
Selon l’OMS donc, la santé est « un état de complet bien‐être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Les « Etats parties » doivent alors tout mettre en œuvre afin de parvenir à cet état de santé optimal. Bien évidemment, il s’agit d’une obligation de moyens et non résultat, nous développerons cela plus tard.
Ensuite, la Déclaration universelle des droits de l’homme40 qui énonce en son article 25‐1 que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien‐être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».
Ce texte se rapproche en plusieurs points de l’alinéa 11 du Préambule de 1946. Le premier juxtapose un ensemble de droits sociaux qui impliquent une action positive de l’Etat afin que ce dernier permette d’élever le « niveau de vie » des individus.
Néanmoins, ce texte semble visiblement dépourvu de tout caractère contraignant. C’est que confirme le professeur Lise Casaux‐Labrunée qui reconnaît qu’il ne s’agit, ici, que de recommandations et souligne le caractère « non contraignant » de ladite Déclaration41.
Le Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels42, dispose en son article 12‐1, à propos de la santé, que : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle est capable d’atteindre ». Contrairement au texte précédent, ce texte consacre directement le droit à la santé. L’article de la Déclaration évoque la santé des individus comme étant un moyen d’atteindre un niveau de vie respectant la dignité de la personne humaine. Au contraire, ce dernier proclame le droit d’atteindre un « bien‐être physique et mental » maximal et donc imposant aux Etats ayant adhéré à ce texte (en 1980 pour la France) de mettre en place les dispositifs nécessaires afin d’atteindre ce résultat.
Ce texte, ainsi que la Charte de l’OMS font de la santé une fin et non un moyen comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, imposant donc aux Etats d’assurer la mise en place, le contrôle et le financement des dispositifs médicaux à la destination de tous.
Au niveau européen, la Charte sociale vise également la santé comme un droit, comme un objectif à atteindre de la part des Etats concernés. Cette Charte a été transposée en droit interne par un décret du 4 février 200043, ce qui démontre sa force juridique ainsi que la considération des Etats pour les droits qui y sont consacrés. La santé étant en corrélation avec la vie, droit également largement garanti, doit faire l’objet d’une attention particulière. Elle prévoit notamment à l’alinéa 11 de la Première partie que « Toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre ».
En outre l’article 11 de la seconde Partie, s’intitulant « Droit à la protection de la santé » dispose qu’ « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection de la santé,
40 Article 25‐1 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par les 58 Etats qui constituaient l’Assemblée générale.
41 L. Casaux‐Labrunée, « Le droit à la santé », in « Libertés et droits fondamentaux », Lonrais, Dalloz, Collection CRFPA, 2009, p.774
42 Article 12‐1 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels du 16 décembre 1966
43 Décret n°2000‐110 du 4 février 2000 portant publication de la Charte sociale européenne faite à Strasbourg le 3 mai 1996
les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment à éliminer, dans la mesure du possible, les cases d’une santé déficiente (1) ; à prévoir des services de consultation et d’éducation pour ce qui concerne l’amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé (2) ; à prévenir, dans la mesure du possible, les maladies épidémiques, endémiques et autres, ainsi que les accidents (3) ». D’autres dispositions sont relatives à la santé, notamment dans le domaine du travail (article 3 et 22) en matière de logement (article 23).
L’Union européenne, quant à elle, s’intéresse à la protection de la santé des individus à travers la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne44 précitée à propos du consentement médical. En effet, son article 35, intitulé « Protection de la santé », énonce que : « Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union ».
Au delà du fait que la Charte s’efforce de rappeler que le principe de santé est universel, cette dernière précise que la santé est un droit, non seulement d’un point de vue curatif mais également préventif. L’accès à la santé doit être facilité pour la personne souhaitant soigner un mal, tout comme la personne souhaitant le prévenir.
Elle laisse, néanmoins, une certaine autonomie aux Etats membres dans les méthodes pratiquées afin d’atteindre, au mieux, ce résultat ; ce qui laisse pressentir que la santé est une fin et non pas un moyen. Tout comme les textes préalablement cités, la Charte de l’Union considère la santé comme l’objectif à atteindre et intéressant toutes
« les politiques et actions de l’Union ».
L’ensemble de ces dispositions appelle donc, d’une manière plus ou moins contraignante, les Etats parties à instaurer des moyens matériels en vue de la protection de la santé des individus. Ces Etats devront donc financer, organiser et réglementer l’ensemble des outils envisagés afin que les individus puissent en bénéficier au maximum. Ce droit à la protection de la santé est également largement envisagé dans les Constitutions de nos voisins européens.
2) La reconnaissance du droit à la protection de la santé par nos voisins européens
Sans doute grâce à l’ensemble des textes internationaux préalablement cités, la plupart de nos voisins européens proclament un tel droit à la santé dans leur Constitution. Cela démontre également que la notion de santé est une notion clé de la condition de vie humaine. L’accès à la santé est nécessaire pour l’épanouissement de la personne, elle l’est également pour la sauvegarde de sa vie d’un point de
44 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice le 18 décembre 2000
vue pragmatique mais elle est également nécessaire à la sauvegarde de la dignité d’un point de vue plus théorique. Effectivement elle contribue à ce que l’individu bénéficie d’un niveau de vie « digne ».
Certains Etats comme la Belgique se contentent de mentionner un tel droit sans pour autant envisager les mesures entreprises pour parvenir à un tel résultat. Il appartiendra donc au législateur de déterminer l’ensemble des actions qu’un tel droit nécessite. Ainsi, l’article 23 de la Constitution belge dispose qu’il existe un « droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique ». La Constitution belge du 17 février 1994 déclare que le la protection de la santé contribue au droit de chacun : « de mener une vie conforme à la dignité humaine ». Il existe donc une corrélation évidente entre le principe de sauvegarde de la dignité humaine et la protection de la santé.
De la même manière, la Constitution luxembourgeoise déclare au cinquième point de l’article 11 de la Constitution du 17 octobre 1868 que : « La loi règle quant à ses principes la sécurité sociale, la protection de la santé, les droits des travailleurs, la lutte contre la pauvreté et l’intégration sociale des citoyens atteints d’un handicap » comme la Constitution néerlandaise du 17 février 1983 où l’article 22 dispose que « Les pouvoirs publics prennent des mesures pour promouvoir la santé publique ». Ces Constitutions se contentent donc à énoncer le principe de la protection de la santé, laissant aux autorités publiques, notamment au législateur, de développer un tel droit.
Concernant la Constitution italienne, cette dernière fait figure d’originalité en la matière. Son article 32 prévoit effectivement que « La République protège la santé en tant que droit fondamental de l’individu et intérêt de la collectivité. Elle garantit des soins gratuits aux indigents ». Comme nous le rappellerons plus loin, ce texte reconnaît les deux conceptions du droit à la santé, son versant subjectif et son versant « droit‐
créance ». Selon ce dernier, il s’intéresse à la protection de la santé dans son aspect collectif.
Deux Etats se distinguent pourtant dans la rédaction de leur Constitution respective concernant le droit à la santé. Ces dernières détaillent l’ensemble des actions menées pour préserver la santé de l’individu. Il s’agit de la Constitution portugaise du 2 avril 1976 et de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978.
En ce qui concerne la Constitution espagnole, l’article 43, commence par reconnaître la protection de la santé. Le constituant va aller plus loin en organisant cette protection, l’alinéa second de l’article énonce qu’ : « Il incombe aux pouvoir publics d’organiser et de protéger la santé publique par des mesures préventives et les prestations et services nécessaires. La loi établira les droits et les devoirs de tous à cet égard ». Enfin, l’alinéa 3 dispose que : « Les pouvoirs publics encourageront l’éducation sanitaire, l’éducation physique et le sport. Ils faciliteront, en outre, l’utilisation appropriée des loisirs ». La Constitution espagnole désigne donc la protection de la santé comme un droit universel qui, malgré sa gestion par les pouvoirs publics, est l’affaire de tous. Nous
pourrions donc dire qu’il s’agit d’un article avant‐gardiste dans la mesure où l’éducation sanitaire pourrait pallier de nombreux comportements couteux pour les Etats, mais également par des comportements dangereux qui tendraient vers le « tout médical » comme l’ « automédication », l’utilisation de moyens médicaux de prévention potentiellement dangereux pour la sante même de l’individu comme l’utilisation de vaccins.
Pour le Portugal, l’article 64 de la Constitution va considérer la protection de la santé comme un « droit » mais également comme un « devoir ». L’article va ensuite définir sa politique de santé en décrivant le fonctionnement du système médical portugais. L’article 64 va promouvoir explicitement l’universalité et la « gratuité » des soins. Comme son homologue ibérique, le constituant portugais va tendre à
« l’amélioration des conditions de vie et de travail, la promotion de la culture physique, sportive, scolaire populaire, et par le développement de l’éducation sanitaire du peuple et des habitudes de vie saine ». L’information et l’éducation sanitaire semblent être une priorité pour ces deux pays afin de limiter les coûts mais également pour que chacun puisse disposer d’une « vie saine » et non édulcorée par l’absorption de produits chimiques, médicamenteux.
La Constitution portugaise décrit ensuite le fonctionnement du système de santé public et privé. En effet, l’article exige de la part de l’Etat une répartition de l’offre de santé « rationnelle et efficace de ressources humaines et d’unités de santé », un contrôle de l’ « exercice privé de la médecine » et de « la production, la distribution, la commercialisation et l’utilisation des produits chimiques, biologiques, pharmaceutiques, ainsi que des autres moyens de traitement et de diagnostic ».
3) Le lien entre le droit à la protection de la santé et le droit environnemental, l’originalité des Constitutions espagnole et portugaise
La logique entreprise par Madame Laurence Gay45, chargée de recherche au CNRS, est de cerner les liens qui peuvent caractériser la relation sante‐environnement. Elle donne pour cela l’exemple des Constitutions ibériques. Pour justifier son propos, elle cite les normes relatives à ce droit à l’environnement. Ainsi, l’article 66, alinéa premier dispose que : « Toute personne a droit à un cadre de vie humain, sain et écologiquement équilibré et a le devoir de le défendre ». L’alinéa second précise que s’il appartient à chacun d’intervenir dans la défense de cet environnement sain, cette obligation incombe en premier lieu : « à l’Etat, au travers d’organismes spécialisés… ». Il s’agit donc d’une obligation de l’Etat dont l’ensemble des individus sont à la fois créanciers et débiteurs.
Néanmoins, les individus ne sont considérés comme débiteurs qu’à travers l’action de l’Etat, à travers sont obligation de protection de l’environnement. Il s’agit donc d’un
« droit‐créance » qui s’entremêle avec la protection de la santé. En effet, selon cet article il est nécessaire de préserver un environnement « sain », non nocif pour la santé de l’homme. L’article dispose donc d’une double portée, une portée primaire et une portée
45 L. Gay, « Les « droits‐créances » constitutionnels », Bruylant, Collection de droit public comparé et européen, Bruxelles, 2007, p.410
plus enfouie, plus lointaine. La portée primaire est d’effectivement protéger l’environnement par la mise en place d’actions tendant au respect de l’écologie et au respect de l’ensemble de la biodiversité. La portée lointaine est bien évidemment la protection de la santé. La protection de l’environnement constitue une action de l’Etat dans l’optique de promouvoir et protéger la santé publique, qui constitue également un
« droit‐créance ». Cette action constitue donc une obligation sans laquelle la protection de la santé ne pourrait pas pleinement être consacrée et surtout sans laquelle la responsabilité de l’Etat, dans sa démarche de recherche de protection de la santé publique, pourrait être engagée.
En ce qui concerne la Constitution espagnole, l’article 45, alinéa premier, dispose que « Tous ont le droit de jouir d’un environnement approprié pour développer leur personnalité et le devoir de le conserver ». L’utilisation de termes plus généraux semble plus difficilement rattacher la notion de protection de la santé publique et de la protection de l’environnement. Néanmoins l’alinéa second ajoute que : « Les pouvoirs publics veilleront à l’utilisation rationnelle de toutes les ressources naturelles, afin de protéger et améliorer la qualité de la vie… ». Si la référence à la protection de la santé publique est moins explicite que dans la Constitution portugaise, elle peut néanmoins se déduire par l’utilisation de la notion de « qualité de vie ». La santé est une condition de la qualité de la vie, au sens où l’objectif est d’atteindre un état de « parfait bien‐être » selon l’OMS. Laurence Gay nous rapporte une justification juridique du nécessaire lien entre la protection de la vie et la protection de la santé. N’existant pas de référence au droit « à la santé » dans la Loi fondamentale allemande, « la Cour constitutionnelle fédérale s’était ainsi appuyée sur l’article 2, protégeant les droits à la vie et à l’intégrité physique, pour juger d’une affaire qui aurait pu l’être en termes d’environnement »46. Il est dès lors, assez clair qu’il existe un lien intangible entre l’ensemble de ces notions que sont la protection de la santé, de l’environnement et de la vie.
B) La reconnaissance nationale du droit à la protection de la santé
Découlant de l’alinéa 11 du Préambule de 1946, la Constitution française reconnaît donc, grâce à son « bloc de constitutionnalité », un droit à la santé ou plus précisément, un droit « à la protection de la santé ». Comme ses homologues européens, la France adopte une expression précise pour désigner l’accès aux soins des individus. Alors quelle différence entre le « droit à la santé » et le droit « à la protection de la santé » ? Ces deux expressions semblent très proches, premièrement quant à la leur nature. Il s’agit de véritables « droits à… », de véritables « droits‐créances » qui impliquent une action positive de l’Etat afin de préserver le droit fondamental en question. La nuance tient au régime des obligations qui découlent de ces expressions.
46 L. Gay, « Les droits créances constitutionnels », Bruylant, Collection de droit public comparé et européen, Bruxelles, 2007, p.411, à propos de la « Décision du 20 décembre 1979, rapportée par (M.) Fromont, « R.F.A. : la jurisprudence constitutionnelle en 1979 », R.D.publ., 1981, pp 367‐369 ».