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LA RATIONALISATION DES PROCÉDURES DES DJEMÂÂS JUDICIAIRES

CONCLUSION DU CHAPITRE

§1 LA MISE SOUS CONTRÔLE DES INSTITUTIONS KABYLES

B. LA RATIONALISATION DES PROCÉDURES DES DJEMÂÂS JUDICIAIRES

Les militaires français cherchèrent à rationaliser la procédure qui se déroulait devant les djemââs. La dépêche du n. 106 du 15 avril 1860 du Cercle de Dellys prévoyait que dans le cas où les djemââs n’étaient pas capables de se prononcer sur une question juridique complexe, elles devaient en référer au Commandant Supérieur du Cercle472. Ce dernier se devait de se prononcer en s’écartant le moins possible : « […] des usages de la localité, ou bien du droit musulman si les usages ne sont pas prévus pour le cas. Si les Djemââs émettent deux opinions les militaires responsables des cercles devront se prononcer pour « l’avis qui vous paraitra le plus conforme au droit et à la justice473 ».

469 Ibid. 470 Ibid. 471 Ibid.

472 FR ANOM GGA 30 II/1 - Di vision de Delly s 473Ibid.

Le commandant supérieur avait un droit de censure sur ces jugements, à ce sujet nous trouvons écrit dans une note que bien que : « Les Djemââs ne doivent pas

oublier qu’en promettant de respecter leurs coutume474 », les

commandants de cercles ce réserve le dro it : « […] d’empêcher tout ce qui

serait contraire aux sentiments naturels de justice et d’équité 475».

Ainsi dans la circulaire n. 198 du 20 janvier 1864 les militaires se plaignaient des lacunes de l’organisation kabyle quant à la complexité des procédures judiciaires qui se tenaient devant les djemââs : « La « multiplicité de ces juridictions et la confusion

qui régnait dans les attributions » rendaient nécessaire une réforme qui fut opérée en 1857. « […] le Gouvernement mit l’organisation judiciaire en harmonie avec l’esprit des populations476[…] ».

« Les indigènes du Cercle de Fort Napoléon et Tizi Ouzou parlent de la tendance des

autorités locales à « faire réviser par des djemââs mixtes ou tierces des jugements rendus soit par les djemââs réglementaires soit par les assemblées désignées » […] Je désapprouve la révision d’un jugement » concluant que « l’appel des djemââs kabyles doit être interdit477 ». Cette prescription est appliquée dans le Cerce de Tizi- Ouzou, dans la Circulaire 198 de l’année 1864. Dans cette circulaire prévoyait que :

«[…] en principe la révision d’un jugement quel qu’il soit car les décisions des Djemââs sont obligatoires et sauf quelques cas bien rares les appels des jugements kabyles doivent être expressément interdits mais pour assurer aux jugements des djemââs ordinaires tout le respect auquel ils ont droit il est nécessaire que M. les officiers des Bureaux Arabes au lieu de se contenter de renvoyer simplement les plaignants devant les djemââs ou même de remettre aux réclamant les lettres invitant les amins compétents de faire entendre leur demande ainsi que cela est déjà arrivé maintes et maintes fois, prennent leur rôle plus au sérieux et n’oublient point que la responsabilité morale inhérente à leurs fonctions les oblige à se rendre compte de la partie des réclamations qui leur sont soumises. Bien que je n’ignore point quel

474 Ibid. 475 Ibid.

476 FR ANOM GGA 30 II/40

bureau des affaires arabes est tenu, vu son faible personnel, de renouveler de zèle et d’efforts pour faire face à des exigences de toute nature il est nécessaire que le suivi des réclamations, l’un des plus importants de l’administration indigène soit établi sur des bases qui ne laissent rien à désirer et plus comme l’uniformité dans les procédés d’exécution relatifs aux révisions des jugements kabyles478 ».

La Circulaire 106 du 15 mai 1860 prescrit aux commandants des Cercles de se prononcer sur le jugement émis par les djemââs : « Chaque fois qu’une dj emââ

fera l’aveu de son impuissance pour prendre une décision ou renvoi un arrêt479 ». Les commandants devront se prononcer en respectant « les

usages locaux480 ». Dans le cas où les djemââs émettent deux avis contradictoires sur un même jugement, les Commandants devraient trancher en se prononçant pour ce qui leur « […] paraitra le plus conforme

au droit et à la justice481 ». Le Commandant était appelé à suspendre les jugements qui ont été prononcés « […] par un sentiment autre que celui de

la justice et dicté par des sentiments de haine, d’intérêt ou d’esprit de parti, vous en suspendriez l’exécution et vous en rendriez compte482».

La Circulaire n. 198 de l’année 1865 qui donne des prescriptio ns précises sur la procédure à suivre dans les jugements d’appel des djemââs dites règlementaires fut révisée pour d’autres djemââs dites mixtes. Le commandant de cercle en reformulant « […] les prescriptions de la coutume483 » tranche la question en prescrivant que toutes les affaires civiles et commerciales antérieures à l’installation de l’autorité française étaient prescrites, à l’exception de « cas particuliers fixés par l’autorité locale sous sa responsabilité personnelle484 ».

Quant aux jugements des djemââs, ils étaient obligatoires. La seule exception était dans le cas où la djemââ qui avait émis le jugement était partie intéressée.

478 FR ANOM GGA 30 II/40, Cercle Dellys 479 FR ANOM GGA 30 II/, Cercle de Dellys 480 Ibid.

481 Ibid. 482 Ibid.

483 FR ANOM GGA 30 II/40, Cercle de Tizi-Ouzou. 484 Ibid.

La révision des jugements était accordée, mais « les prescriptions de la coutume

doivent être strictement observées485 ». Selon le Commandant, la coutume kabyle

prévoyait que la partie pouvait s’accorder pour faire réviser les jugements d’une

djemââ par une djemââ d’une autre tribu486. Dans ce cas les jugements de révision devaient être transcrits et déposés dans les Bureaux Arabes. Cette Circulaire prévoit la possibilité de faire réviser les jugements par des djemââs mixtes sous la condition d’une préalable autorisation du commandant du Cercle487.

Les militaires firent en sorte que le décret du 8 janvier 1870, un décret qui réforma la justice musulmane en Algérie, ne s’appliqua pas en Kabylie. L’article 59 du décret cité ci-dessus prévoyait ainsi :

« […] le présent décret ne s’applique point à la Kabylie et à la région en dehors du

Tell, qui demeurent régies, l’une par ses coutumes actuelles, l’autre par la juridiction des cadis, telle qu’elle existait avant le décret du 1er octobre 1854488 ».

Les rédacteurs de ce décret ont justifié ainsi leur choix :

« Il a été reconnu toutefois qu’il n’y avait pas lieu de s’occuper pour le moment de la

Kabylie, régie par un droit coutumier très compliqué, encore imparfaitement connu et où les intérêts judiciaires et administratifs se trouvent souvent confondus dans les conditions qui rendent très délicate et très difficile la séparation des attributions afférentes aux tribunaux de celles appartenant en propre aux institutions de l’ordre administratif. Par ailleurs, les Kabyles sont très attachés à leurs coutumes. Toucher à ces institutions ce serait porter une grave atteinte à leur constitution politique et s’exposer à des difficultés inextricables489 ».

Les Bureaux Arabes présents en Grande-Kabylie ont essayé dans les limites du possible de ne pas intervenir dans les jugements émis par les djemââs kabyles. Les militaires responsables de Cercle ont tout de même essayé de rationaliser les

485 Ibid. 486 Ibid. 487 Ibid.

488 R. Estoublon, A. Lefébure, op.cit, p. 363. 489 Ibid., p. 363.

procédures qui se déroulaient devant les djemââs kabyles. Les militaires étaient appelés à intervenir dans les jugements portant sur des questions complexes. Tout de même et comme nous avons vu plus haut, les militaires firent en sorte de rendre leurs décisions de la façon la plus fidèle possible aux coutumes du lieu. Ce fut ainsi qu’il devint nécessaire pour les commandants de cercles d’acquérir des connaissances plus précises sur les coutumes kabyles. Les militaires se livrèrent à une collecte des statuts villageois et, comme nous verrons dans les pages qui suivront, cela a exigé des

djemââs la rédaction de qanouns sur commande (§2).