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Le concept de pathologie s’oppose, en médecine, à celui de santé. L’émergence d’une maladie comme l’anorexie à un moment donné implique que des comportements, des états physiques et psychiques soient, pour les médecins, contraires à la norme du sain. Dans le cas de l’anorexie, le refus de nourriture volontaire existait avant la conceptualisation de la maladie. La construction de celle-ci à partir de 1873 révèle un changement de regard des praticiens vis-à-vis des attitudes de certains individus, les faisant passer au statut de malades. La pathologisation de l’anorexie mentale au XIXe siècle

dépend d’un processus qu’il s’agira d’étudier ici, en regard des avancées médicales de cette période.

« Le diagnostic de l’anorexie mentale doit être fondé sur l’aspect extérieur de la malade » : la maigreur comme premier symptôme de l’anorexie91

L’extrême maigreur des personnes en situation d’anorexie est ce qui alerte en premier leurs proches et les pousse à la consultation médicale : le facteur pathologique le plus évident se lit donc de manière physique, à travers le regard porté par l’Autre sur le corps anorexique. « Emacié », « squelettique », « décharné », il effraie en même temps qu’il intrigue, voire qu’il fascine les médecins. Ceux-ci s’attachent, dans leurs

Observations, à décrire minutieusement leurs patient.e.s, le tableau du corps anorexique

devenant un motif récurrent dans la littérature médicale. Le langage employé, très imagé, presque lyrique, s’éloigne du strict compte-rendu scientifique et laisse percevoir la curiosité des médecins pour les corps qu’ils sont amenés à examiner. Charles Féré dresse ainsi le portrait de l’une de ses patientes :

[…] la maigreur était véritablement squelettique du reste la malade, qui avait 1m58 de taille pesait 38 kilogrammes. L'aspect général était celui d'un vieillard, les yeux caves, le teint terreux, les joues sillonnées de rides parallèles au pli nasogénien donnaient à la physionomie un aspect simien. La peau des membres et du tronc était sèche et écailleuse, les extrémités étaient froides, la peau des mains était humide d'une sueur visqueuse,

rappelant le tégument d'un batracien ; l'extrémité des doigts offrait la couleur cyanotique qu’on voit aux cadavres92.

Le vocabulaire utilisé est tiré du champ lexical de l’animalité et décrit plus un sujet de bestiaire qu’un individu humain : le visage est comparé à celui d’un singe, la peau à celle d’un poisson puis d’un batracien. Au-delà de cette bestialité, la patiente est privée de sa jeunesse, comparée à un « vieillard », même à une défunte : son corps est « squelettique », ses doigts sont ceux de « cadavres ». Le champ lexical de la mort est utilisé de façon récurrente dans les descriptions des corps anorexiques : Georges Noguès rapproche sa patiente d’une « momie habillée »93, lui prête « un regard fixe […] qui semble

appeler la mort »94. E. Gauckler et Joseph-Jules Déjerine dressent eux aussi un portrait effrayant de leurs patientes, « le plus souvent des sujets du sexe féminin » :

Les yeux sont saillants, les pommettes semblent percer les joues. Celles-ci sont excavées. Sur la paroi thoracique pendent des seins flétris. Toutes les côtes font relief. Les omoplates paraissent, se détacher du squelette. Chacune des apophyses épineuses se dessine sous la peau. La paroi abdominale, rentrée, accuse le relief des fausses côtes et dessine le contour du bassin. Les cuisses et les mollets sont réduits au squelette. On dirait le tableau d'une emmurée tel que nous l'ont transmis les maîtres de la peinture95.

Ces descriptions exagérément détaillées de la maigreur du corps des patient.e.s réduisent l’identité physique de celles-ci à la maladie : mi-bêtes, mi-mortes, chimères déshumanisées, elles sont de véritables objets de curiosité pour la communauté scientifique.

Le corps anorexique est aussi présenté aux yeux des lecteurs à travers des photographies. Cette technique se popularise en médecine durant le dernier tiers du XIXe siècle, les médecins trouvant là un moyen de rendre compte de leurs observations par une méthode plus objective que le dessin ou le portrait littéraire96. Les exemples relevés dans nos sources sont uniquement des images de patientes. Celles-ci sont photographiées nues,

92 FERE, Charles, La pathologie des émotions: études physiologiques et cliniques, Paris : F. Alcan, 1892, p.

85.

93 NOGUES, Georges, L’anorexie mentale: ses rapports avec la psychophysiologie de la faim, Toulouse : Ch.

Dirion, 1913, p.149.

94 Ibid., p. 194.

95GAUCKLER,E.,DEJERINE,J., Les manifestations fonctionnelles des psychonévroses, leur traitement par la psychothérapie, Paris : Masson et Cie., 1911, p. 6.

96 REGNIER, Christian, « La photographie médicale aux Éditions Jean-Baptiste Baillière », Médic@, s.d.,

http://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/bailliere/02-photographie-medicale-editions-jean- baptise-bailliere.php, consulté le 18.05.2019.

ou le corps légèrement couvert par un linge. On peut remarquer que, si celui-ci couvre les organes génitaux, la poitrine n’est pas camouflée. Ce manque de pudeur est étonnant, à une période où la représentation de la nudité féminine est perçue comme une transgression, un appel à l’érotisation et à l’animalisation97. C’est le statut de malade qui, selon Claire

Barillé, justifie ce manquement à la pudeur dans le milieu médical de la Belle-Epoque : Dans la relation entre médecin (ou plus généralement corps médical) et patient, le statut de l’homme de l’art lui donne une position d’autorité, de personnage omniscient, vis- à-vis duquel le corps du souffrant n’est qu’un lieu d’observation et plus rarement un individu à ménager98.

Dans le cas de l’anorexie, cette réduction de l’identité des patient.e.s au corps souffrant se double d’une négation de leur identité de genre. La maigreur extrême gomme en effet les formes considérées comme féminines et, dans le même temps, l’appartenance au statut de femme. Cette double exclusion est particulièrement prégnante à travers ces mots de Paul Sollier : « Elles sont mal conformées, avec des formes un peu masculines et n’ont guère les attributs de leur sexe99 ». Parce qu’elles ne sont plus considérées comme des femmes, la pudeur ne semble pas nécessaire, les seins jugés inexistants peuvent être découverts. L’iconographie accompagnant l’article du docteur Wallet, ci-dessous, comporte trois images d’une patiente en situation d’anorexie et une à l’« état normal », après la guérison.

97 CAROL, Anne, « La nudité au XIXe siècle: quelques pistes de réflexion pour l’histoire des pratiques et des

sensibilités », Rives méditerranéennes, no 30, 2008, p. 1.

98 BARILLE, Claire, « Les vaines pudeurs à l’hôpital (XIXe siècle) », Histoire, médecine et santé [En ligne],

1 | printemps 2012, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 19 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/hms/194

99 SOLLIER, Paul, « L’anorexie mentale », in Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française: sixième session tenue à Bordeaux du 1er au 7 août 1895, Bordeaux : G.

« Emaciation dans l’anorexie hystérique. Fig.1 : Etat normal. Fig. 2,3,4 : Anorexie » Tiré de : WALLET, « Deux cas d’anorexie hystérique », Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, vol. 5, 1892, p.

278.

La comparaison avant/après semble être un lieu commun dans l’iconographie de l’anorexie et illustre le changement dans l’attitude du corps médical à l’égard de leurs patientes100.

Alors que la jeune femme amaigrie est seulement couverte d’un tissu à partir des

100 Pour plus de photographies de patientes en situation d’anorexie issues des sources de ce corpus, voir

omoplates, une fois rétablie et ses formes retrouvées, elle est photographiée habillée, le col boutonné jusqu’au cou. Le poids retrouvé, la maigreur éloignée, les patientes regagnent leur place dans les standards de la féminité du XIXe siècle. La pudeur de la Belle-Epoque, laxiste à recouvrir les os lorsque la chair venait à manquer, s’empresse de cacher celle-ci une fois la malade soignée. L’aspect physique des patient.e.s est donc le premier facteur les éloignant de la norme du sain et amenant la médecine à considérer leur état comme pathologique.

La notion de poids de forme, un moyen de quantifier la gravité de l’anorexie La fin du XIXe siècle est marquée par une volonté accrue de la part des médecins de

chiffrer le sain et le non-sain, d’établir des fourchettes quantitatives dans lesquelles ranger le normal et desquelles exclure le pathologique101. C’est dans cette optique que la notion de poids de forme se conceptualise : les premières études du rapport poids/taille sont menées et, par conséquent, la maigreur et l’obésité se définissent par des critères objectifs102. Le

pèse-personne est encore peu répandu dans le domaine du privé, mais il est utilisé par les médecins et on observe, dans nos sources, le relevé du poids des patient.e.s avant la maladie et les premières ébauches du poids qu’i.el.l.e.s devraient normalement peser103. Manuel Leven, dans son ouvrage La névrose : étude clinique et thérapeutique : dyspepsie,

anémie, rhumatisme et goutte, obésité, amaigrissement, comprend, dès 1887, cette idée de

poids de forme. Il explique que « chaque individu est destiné en naissant à un embonpoint déterminé » qui, s’il est dépassé dans un sens ou dans l’autre, est néfaste : « Lorsque l’obésité ou l’amaigrissement dépassent un certain degré, la vie est rendue impossible et la mort arrive »104. Pour Paul Sollier, le retour à l’état de normalité dans l’anorexie se fait lorsqu’est gagné « le poids qui doit être celui que le sujet devrait avoir, étant donnés sa taille et son âge »105. Jules Comby établit, dans cette même optique, un rapport entre le

poids de sa patiente, son âge et sa taille :

101 GRMEK, Mirko D., « Le concept de maladie », in Histoire de la pensée médicale en Occident. Tome III: Du romantisme à la science moderne, Seuil, 1999.

102 VIGARELLO, Georges, Les métamorphoses du gras : histoire de l’obésité du Moyen Âge au XXe siècle,

Paris : Seuil, 2010, p. 175.

103 VIGARELLO, Georges, Histoire de la beauté- Le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours,

Paris : Seuil, 2004, p. 174.

104 LEVEN, Manuel, : : La névrose : étude clinique et thérapeutique : dyspepsie, anémie, rhumatisme et goutte, obésité, amaigrissement, G. Masson, 1887, pp. 233-235.

Son poids actuel ne dépasse pas 28kg,700 (ce qui est à peu près le poids d'un enfant de onze ans).

L'insuffisance de poids est encore plus marquée par rapport à la taille, qui est de 1m,60 (très

supérieure à la moyenne de son âge)106.

Il définit ainsi un poids normal pour un « enfant de onze ans » qui, lorsqu’il est celui d’une patiente adulte, devient un symptôme d’anorexie.

Le chiffrage du poids permet enfin aux médecins d’établir un seuil quantitatif à partir duquel la maladie atteint un stade critique et donc de déterminer un point de non- retour dans l’anorexie : le pronostic est par exemple considéré comme fatal par Samy Kamal Mohammed si l.e.a patient.e a perdu plus de la moitié de son poids107. La notion de poids de forme et le relevé de la masse des patient.e.s à partir de la fin du XIXe permet donc aux médecins de gagner en précision dans leurs observations et dans leur connaissance de la maladie. La reconnaissance mais aussi le traitement de l’anorexie bénéficient de cette amélioration technique et permettent de délimiter des stades dans l’évolution de la maladie, les soignants pouvant en effet déterminer précisément le poids à partir duquel les malades pourront retrouver l’ensemble de leurs facultés physiques et psychiques, mais aussi le seuil pondéral ne laissant guère d’autre finalité que la fatalité.

Dépasser les obstacles épistémologiques dans le diagnostic de l’anorexie. Le refus volontaire d’alimentation comme spécificité de la maladie

L’anorexie mentale émerge en tant que pathologie lorsque les médecins la différencient du manque d’appétit que peuvent entraîner d’autres maladies. Cette distinction se fait progressivement et non sans difficultés car la médecine du XIXe siècle est conditionnée par l’approche anatomoclinique qui voit les maladies comme le résultat de lésions organiques108. Charles Lasègue, avec De l’anorexie hystérique, est considéré comme le premier, en France, à faire de l’anorexie mentale un symptôme à part entière et à penser qu’elle n’est pas causée par un défaut organique. Il écrit que le refus d’alimentation de ses patient.e.s est causé par la crainte de douleurs épigastriques et se demande alors : « la sensation pénible est-elle due à une lésion stomacale ou n’est-elle que l’expression

106 COMBY, Jules, « Recueil de faits. Anorexie nerveuse », Société de pédiatrie de Paris. Archives de médecine des enfants., 1908, p. 563.

107 SAMY KAMAL, Mohamed, L’anorexie mentale, Lyon, 1911, pp. 39-41.

108 Collège des enseignants de sciences humaines et sociales en médecine et santé, Médecine, santé et sciences humaines, Manuel, Paris : Les Belles Lettres, 2012, pp. 153-154.

réflexe d’une perversion du système nerveux central ? »109. Habitués à déceler les maladies par l’observation des organes, les médecins constatent tous inlassablement, et avec un certain étonnement, l’« absence de lésion organique » dans leur description de l’anorexie. Ils sont ainsi confrontés à l’originalité des affections mentales qui nécessitent de repenser les critères de distinction entre le normal et le pathologique110. Avant l’émergence de la psychologie, ces maladies qui ne peuvent être expliquées par la lésion des organes sont regroupées dans la classe « fourre-tout » des névroses, dont la plus connue est l’hystérie111.

Un deuxième obstacle dans le diagnostic de l’anorexie est la confusion qu’elle induit avec d’autres maladies bactériennes ou infectieuses. Après la découverte du bacille de Koch dans les années 1880, le modèle pasteurien inonde la discipline médicale qui se concentre alors sur la recherche bactérienne et microbienne quand il s’agit de trouver une cause à la souffrance des malades112. L’anorexie mentale est souvent prise par erreur pour la tuberculose, ce « fléau » qui panique autant qu’il effraie la société du XIXe et du début du XXe siècle, car ses symptômes, un état de faiblesse et de grande maigreur, sont proches113. En 1914, Victor-Henri Hutinel relate un cas d’anorexie chez une « grande fillette de douze ans », dont la maigreur est d’emblée associée au bacille de Koch : elle aurait « l’air tuberculeux ». Cet article a une visée essentiellement pédagogique, la revue dans laquelle il est publié étant destinée « à l’usage des praticiens et des étudiants ». Henri Hutinel met en garde ces derniers contre les dangers des potentielles erreurs de diagnostic dont il accentue la fréquence avec une certaine véhémence :

Que de fois ne m’est-il pas arrivé de voir dans mon cabinet ou dans nos salles de grandes filles de quatorze à quinze ans, dont la pâleur, la maigreur, la cyanose des extrémités, l’état vraiment squelettique avaient été invariablement rapportés, bien à tort, à la bacillose !114 .

Plus loin, il souligne aussi la confusion entre anorexie et affections organiques de l’estomac : « D’autres nous sont présentées comme atteintes d’une grave affection stomacale […] Ce sont là de fausses gastropathes. »115

109 LASEGUE, Charles, De l’anorexie hystérique et Les exhibitionnistes, Paris, France, 1873, p.50.

110 Pour approfondir les difficultés méthodologiques représentées dans la reconnaissance des maladies

mentales dans l’histoire de la médecine, voir : GRMEK, « Le concept de maladie », art. cit.

111 QUETEL, Claude, Histoire de la folie de l’antiquité à nos jours, Paris : Tallandier, 2009, p. 404‑ 406.

112 METHOT, Pierre-Olivier, « Les concepts de santé et de maladie en histoire et en philosophie de la

médecine », Revue Phares, vol. 16, 2016, p. 11.

113 D.DESSERTINE, O. Faure, Combattre la tuberculose, Lyon Presses universitaires de Lyon, 1988, pp. 8-9. 114 Hutinel, Victor Henri, « Anorexie mentale », Pédiatrie : Revue bi-mensuelle de Médecine et de Chirurgie infantiles, de Puériculture et d’Hygiène Scolaire à l’usage des Practiciens et des Etudiants, no 5, 1914,

L’absence de maladie bactérienne et microbienne et de lésion organique devient par conséquent une étape clé dans le diagnostic de l’anorexie. Mohamed Samy Kamal propose un protocole expérimental de reconnaissance de l’anorexie dans sa thèse L’anorexie

mentale. La deuxième étape, juste après la constatation de la maigreur du/ de la patient.e,

est de s’assurer que « l’examen minutieux de tous les organes ne dénote rien de spécial » d’«élimine[r] la tuberculose, la chlorose, le diabète maigre», ainsi que « toutes les anorexies d’origine : infectieuse, gastrique, intestinale ou toxique »116.

A partir du XXe siècle, la distinction de l’anorexie mentale et des anorexies

secondaires semble claire. On peut l’observer par une étude formelle des sources de ce Mémoire, particulièrement des ouvrages se consacrant plus généralement aux pathologies de la faim ou aux troubles gastralgiques, où les anorexies mentales et secondaires font l’objet de parties distinctes. Albert Mathieu dans son Traité des Maladies de l’estomac et

de l’intestin (1901) traite dans deux paragraphes différents l’« anorexie » et l’«anorexie

d’origine psychique », cette dernière correspondant au refus délibéré de l’alimentation : « le malade refuse toute alimentation : il est impossible de lui faire ingérer la moindre parcelle de nourriture »117. De la même manière, dans son Traité des Maladies de

l’Estomac (1906), Maurice Soupault, dans sa partie concernant les « Perversions

pathologiques de l’appétit », traite séparément l’« anorexie d’origine organique » due à la tuberculose, au cancer, au tabac ou à l’alcoolisme et l’ « anorexie d’origine psychique » reposant sur « l’idée, obstinément arrêtée, de manger le moins possible »118. La distinction semble absolument claire dans l’Aide-mémoire thérapeutique dirigé par Maurice Debove, G. Pouchet et A. Sallard publié en 1908, document de référence pour les praticiens. L’anorexie y est définie soit comme une « perte de la sensation de faim » conséquentielle de divers troubles organiques, soit comme une « anorexie nerveuse vraie », qui correspond à l’anorexie mentale moderne, mais les deux ne sont pas confondues119.

Au XIXe siècle les médecins envisagent donc que le refus de l’alimentation dans l’anorexie mentale peut être volontaire : « l’anorexique ne veut pas manger parce qu’elle

115 Ibid.

116 SAMY KAMAL, Mohamed, L’anorexie mentale, Lyon, 1911, pp. 41-43.

117 MATHIEU, Albert, Traité des maladies de l’estomac et de l’intestin, Paris : Octave Doin, 1901, p. 980. 118 SOUPAULT, Maurice, Traité des maladies de l’estomac, Paris : Baillière, 1906, p. 868.

119 DEBOVE M.,POUCHET G.,SALLARD A., « Anorexie », in Aide mémoire de thérapeutique, Paris : Masson

ne veut pas », écrit Georges Noguès120. Plusieurs auteurs le considèrent parfois comme de

l’entêtement. Charles Lasègue relève ainsi un « optimisme inexpugnable », une « obstination de l’aliéné » chez ces patient.e.s qui ne veulent pas manger. Outre cette opiniâtreté, le médecin s’étonne que ce.lles.ux-ci ne semblent pas vouloir se défaire de leur pathologie :

Même au plus fort de ses répugnances le cancéreux espère et sollicite un aliment qui éveille l'appétit, il est prêt à toutes les tentatives […] pour triompher de son dégoût. Le dyspepsique sans lésion organique s’ingénie à varier son régime, à s’aider par tous les moyens […] Ici rien de pareil, au contraire121.

Jean-Martin Charcot, comme ses confrères, souligne le facteur de volonté impliqué dans l’anorexie de ses patient.e.s, avec un certain étonnement:

Les malades ne mangent pas ; elles ne veulent pas, elles ne peuvent pas manger, bien qu'il n'y ait aucun obstacle mécanique au passage des aliments, aucun obstacle à leur séjour dans l'estomac lorsqu'ils ont été ingérés.122

Le refus d’alimentation devient alors un symptôme permettant le diagnostic, et le refus volontaire d’alimentation une spécificité de l’anorexie mentale qui permet aux médecins de la différencier des anorexies secondaires. Cette particularité permet, notamment, la distinction entre la cachexie anorexique et la tuberculose, ainsi que l’explique Léon Bouveret :

Pour un médecin qui connaît l’anorexie nerveuse, le diagnostic ne présente pas de difficultés réelles. […] La tuberculose commençante s’accompagne aussi d’amaigrissement et de troubles digestifs, même d’une diminution marquée de l’appétit, mais l’anorexie ne va pas jusqu’au refus et à l’extrême réduction de l’alimentation qui caractérisent l’anorexie nerveuse.123

Le cas des vomissements

L’étude du cas des vomissements anorexiques permet d’illustrer concrètement cette compréhension progressive de l’importance de la volonté dans l’anorexie. Les vomissements sont aujourd’hui reconnus comme des signes de ce trouble du comportement