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Comprendre la maladie Perspectives culturelles et sociales de l’anorexie.

Chapitre 8 – Préambule méthodologique. Comment passer de

l’histoire de l’anorexie à l’histoire des anorexiques ?

Alors que la ration calorique par personne n’a jamais été aussi élevée et que l’alimentation est de plus en plus diversifiée à la fin du XIXème siècle, le fait que des jeunes

gens, issu.e.s de classes sociales aisées, refusent de se nourrir, mérite d’être interprété dans une perspective sociologique et culturelle422. Comme l’écrit Joan Jacobs Brumberg, une

maladie n’est en effet jamais seulement une affection physique mais « une construction intellectuelle complexe, un amalgame de définitions biologiques et sociales423». L’histoire

de l’anorexie mentale ne se limite donc pas aux domaines de la médecine et de la psychiatrie. Ses facteurs sont multiples et elle peut être approchée à travers différents aspects : le rapport à la nourriture, la place des patient.e.s dans leur famille, la relation des individus et d’une société aux représentations du corps. L’étude de l’anorexie permet d’acquérir des connaissances sur la culture et la société de la Belle-Epoque et plus particulièrement sur le milieu de la petite et de la moyenne bourgeoisie, dont sont issu.e.s la plupart des patient.e.s. Parce que les femmes sont les principales victimes de cette maladie, l’histoire culturelle de l’anorexie mentale nécessite d’interroger le rapport au corps et à la nourriture de celles-ci. Cependant, nous ne possédons pas de sources primaires écrites par les patient.e.s. Ce corpus s’appuie uniquement sur des publications rédigées par des médecins. Il ne semble pas exister, à ce jour, d’étude de l’anorexie mentale au XIXème siècle du point de vue des malades424. En l’absence de témoignages de leur part, comment connaître les motivations de ceux et celles qui choisissent délibérément de s’affamer ? Comment savoir pourquoi ces jeunes filles de la Belle-Epoque cherchent à maigrir à tout prix ? Comment imaginer l’image qu’elles peuvent avoir de leur propre corps, avant et après la maladie ? Ce préambule fait part des réflexions méthodologiques qu’ont provoqué ces questions et les réponses qui y ont été apportées, et explicite la démarche historique choisie pour la construction de la dernière partie de ce mémoire. Nous envisagerons le

422 Sur l’évolution de l’apport nutritionnel au cours du XIXème siècle, voir : AYMARD, Maurice, « Pour

l’histoire de l’alimentation: quelques remarques de méthode », Annales. Economies, sociétés, civilisations, vol. 30e année, no 2‑3, 1975, p. 431‑444.

423 « A disease is no absolute physical identity but a complex intellectual construction, an amalgam of

biological and social definition”, BRUMBERG, Fasting girls: The Emergence of Anorexia Nervosa as a

Modern Disease, op. cit., p. 5.

424 Cela est déploré notamment par Edward Shorter : SHORTER, « The First Great Increase in Anorexia

problème de l’accès aux sources et verrons comment le dépasser afin de comprendre pourquoi l’anorexie mentale se développe entre 1873 et 1914.

L’ambivalences des Observations : des témoignages précieux et questionnables

Les publications des médecins sur l’anorexie à la Belle Epoque comportent des études de cas, les « Observations ». Celles-ci paraissent, à première vue, être un bon moyen d’accéder au vécu des patient.e.s et de dégager de leur parcours de vie des potentiels facteurs culturels et sociaux ayant pu provoquer la maladie. Le contenu des Observations est organisé d’une manière très codée, qui est sensiblement la même chez tous les auteurs. Ceux-ci font part du suivi d’un.e patient.e en particulier, qui, la plupart du temps, est désigné.e par une lettre, parfois un prénom, mais jamais un nom de famille. L’anonymat de ces « Mlle X. », « Mlle A. », « Mr. M. » et autres « Mlle I. » ne permet pas de leur donner une identité précise à ces individus et empêche la recherche de potentiels documents personnels ou dossiers médicaux. Les antécédents médicaux des malades et des membres de leur famille proche sont mentionnés, parfois leur milieu social, ainsi qu’une description de leur caractère avant la maladie et du déroulé sommaire de leur enfance. Ces éléments nous permettent de retracer une partie du vécu des individus en situation d’anorexie à la Belle-Epoque et de dégager des similitudes entre les patient.e.s. La fréquence de certains faits nous permet de tirer des conclusions générales sur les facteurs de survenue de l’anorexie et de les replacer ensuite dans le cadre culturel et social de la Belle Epoque. Un exemple, qui sera développé plus loin, est celui de la grossophobie : la grande occurrence de moqueries sur le poids des malades reçues dans la petite enfance nous montre que l’embonpoint est l’objet d’un rejet à la fin du XIXe siècle.

La fidélité des Observations par rapport au réel est toutefois questionnable et leur utilisation possède des limites. Les études de cas font l’objet d’une circulation entre les médecins, qui n’hésitent pas à reprendre celles de leurs collègues dans leurs propres écrits, sans préciser de manière exacte d’où ils tiennent leurs références. Lorsque la source originale est accessible, la comparaison avec sa citation révèle parfois que des coupes, des modifications et des augmentations ont été appliquées, ce qui altère leur légitimité. Sur les seize études de cas citées par Georges Noguès dans son étude L’anorexie mentale : ses

rapports avec la psychophysiologie de la faim, seulement quatre sont été réellement

observées par le médecin425. Il ne cite jamais la provenance de ces emprunts. Il se trompe

même dans la date de l’observation d’un des cas : le « cas d’anorexie hystérique » relaté par le docteur Gasne ne date pas de 1910, comme il le prétend, mais de 1900. Cette erreur a son importance : l’analyse des études de cas demande de connaître la date exacte à laquelle elles ont été écrites afin de les replacer dans le contexte médical adéquat426. L’original de toutes les Observations n’ayant pu être retrouvé, il ne nous est pas possible d’affirmer avec certitude qu’elles y sont fidèles. Elles doivent donc toujours être considérées comme une retranscription potentiellement déformée.

Des regards masculins sur des femmes malades. Le problème de l’accès aux traces directes des patientes.

Parce que les médecins n’affirment pas de manière explicite le rapport entre les injonctions à la minceur et l’anorexie, les historien.ne.s Casper et Russel considèrent que la peur de grossir n’est pas un facteur d’anorexie avant les années 1940/1950, décennies au cours desquelles ce lien est affirmé427. Cependant, ce raisonnement ne prend pas en compte le fait que les sources sont conditionnées par le regard de ceux qui les rédigent. Les médecins qui traitent des situations d’anorexie entre 1873 et 1914 sont des cliniciens : ils ont, avant toute chose, le but d’extirper leurs patient.e.s de leur maigreur morbide, de rétablir le corps avant qu’il ne se meurt. Leur vision de l’anorexie est limitée par les œillères du soin clinique : la plus grande partie de leur analyse se consacre aux traitements de la maladie, à l’urgence de la reprise de poids plus qu’à la psychologie de leurs patient.e.s, au moins jusqu’au développement de la psychanalyse au XXème siècle428.

Il est de plus nécessaire de prendre en compte l’identité des émetteurs des sources avant de les examiner. Dans le cas de l’anorexie mentale, ce sont des hommes, généralement âgés, qui écrivent pour des hommes. La recherche de sources médicales

425 NOGUES, L’anorexie mentale: ses rapports avec la psychophysiologie de la faim, op. cit., p. 79‑173. 426 Ce cas est cité par Noguès pp.113-130. La reference bibliographique de la version originale est la

suivante : GASNE, Georges, « Un cas d’anorexie hystérique », Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, vol. XIII, 1900, pp.51-56.

427 CASPER, R.C, « On the emergence of bulimia nervosa as a syndrome”, in. International Journal of Eating Disorders, 2, 3-16; RUSSEL, G.F.M, « The modern history of anorexia nervosa”, in. Aktuelle Ernührung, 9, 3-7 et « The Changing Nature of anorexia nervosa » in. Journal of Psychiatric Research, 19, 101-109. Cité par: SHORTER, « The First Great Increase in Anorexia Nervosa », art. cit., p. 261.

428 BEAUCHESNE, Hervé, Histoire de la psychopathologie, Paris : Presses Universitaires de France, 1986,

issues de plumes féminines s’est avérée nulle. La voix des femmes est, dans ce domaine, peu entendue au XIXe siècle : elles n’ont accès aux universités qu’après les années 1860

mais la première femme médecin, Madeleine Brès, ne peut entrer à la faculté de Paris qu’en 1867. En 1905, il n’existe que quatre internes et trente-quatre externes dans les Hôpitaux de Paris, lieux de formation pourtant incontournables pour les médecins de la Belle Epoque. Dans toute la France, on ne compte que quatre-vingt-cinq doctoresses. Une femme, Blanche Edwards (1851-1941), est externe dans le service de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, mais elle abandonne la neurologie après l’écriture de sa thèse en 1875. Ce manque de sources médicales féminines n’est pas propre à l’anorexie : dans son étude des perversions féminines au XIXème siècle, Sylvie Chaperon fait le même constat : « la voix des femmes », nous dit-elle, « disparaît sous le diagnostic médical et masculin »429. Françoise Thébaud souligne que l’accès aux sources est un problème majeur en histoire du genre : « les écrits féminins, les traces directes des femmes sont rares », écrit-elle, contrairement à la « surabondance des discours masculins sur ‘la’ femme »430. Les sources sur l’anorexie entre 1873-1914 compilées dans ce mémoire nous donnent d’abord accès à la perception des médecins sur leurs patientes en situation d’anorexie, mais ne nous permettent pas d’avoir accès, directement, à la parole de celles-ci.

Le jugement négatif des médecins sur leurs « capricieuses » patientes

La perception des médecins sur leurs patient.e.s est rarement neutre, et il est nécessaire d’avoir conscience de la valeur de leur regard pour une juste étude des sources sélectionnées, de prendre de la distance par rapport à celles-ci. La vision portée sur les malades est variée, mais rarement neutre. Elle est, dans la majeure partie des cas, plutôt dépréciative, surtout envers les patientes. Elles sont considérées comme capricieuses et tyranniques, leur refus de manger serait non pas un signe de détresse mais un moyen d’attirer l’attention et/ou de nuire à leur entourage.

Cette dépréciation est, dans un premier temps, due au fait que l’anorexie soit considérée comme un symptôme de l’hystérie. Les hystériques étant considérées comme des patientes capricieuses, désireuses d’attirer l’attention, l’anorexie est aussi perçue par les médecins comme un moyen de parvenir à cette fin. Léon Bouveret écrit que :

429 CHAPERON, Sylvie, La médecine du sexe et les femmes: anthologie des perversions féminines au XIXe siècle, Paris : La Musardine, 2008, p. 21‑24.

c’est une sorte de perversion mentale, assez commune chez les jeunes filles hystériques, qui conduit au refus de l’alimentation ; c’est la pensée d’inquiéter la famille, le désir de se rendre intéressante, la satisfaction de dérouter un médecin, quelquefois l’imitation431.

De la même manière Lucien Deniau leur attribue un « esprit d’opposition, de controverse, au besoin de se mettre en scène, de faire parler de soi qui constituent le fond commun du caractère hystérique ». Il qualifie cette persistance dans l’anorexie d’une « volition maladive » directement provoquée par l’hystérie432.

Paul Sollier dresse le portrait de malades particulièrement difficiles. De tous les auteurs étudiés, il est le plus véhément envers ses patientes. Il considère que « de toutes les hystériques, ce sont les anorexiques dont il faut se défier sous tous rapports ». Sollier regarde le désir d’affamement de ses patientes non comme à l’expression torturante de leur pathologie, mais comme une volonté de leur part. A travers ses mots, les jeunes femmes en situation d’anorexie ne sont pas des victimes mais les actrices, les responsables de leur mal : il les accuse de « fraudes, ostentation de guérison, promesses fallacieuses, dissimulation de leurs sensations véritables », ce qui donne une dimension morale à la maladie433. La relation entre les soignants et les soignées est d’ailleurs souvent conflictuelle. Les confrontations entre Paul Sollier et ses patient.e.s sont de véritables luttes opposant « la volonté et l’autorité du médecin » à l’ « obstination » des malades434. Ces cas ne font pas exception et il nous est difficile d’envisager que les patientes aient pu vouloir se confier à des médecins qu’elles n’apprécient pas, ou qu’elles craignent. La dépréciation des patient.e.s semble moins marquée pour les cas d’anorexie masculine, cependant, le manque de sources nous empêche de pouvoir tirer des conclusions totalement fiables à ce propos.

Faire parler les témoignages indirects

Quelques sources néanmoins comportent des passages écrits au discours direct, qui sont le fruit de témoignages de patient.e.s ou la retranscription de lettres rédigées par e.ux.lles. Ces fragments, bien que peu nombreux, nous permettent d’avoir accès à une connaissance de l’anorexie telle qu’elle est vécue par les patient.e.s, d’envisager leur ressenti.

431 BOUVERET, Traité des maladies de l’estomac, op. cit., p. 657. 432 DENIAU, De l’hystérie gastrique, op. cit., p. 27.

433 SOLLIER, L’hystérie et son traitement, op. cit., p. 276. 434 Ibid., p. 271.

Un cas particulièrement riche est celui de Nadia, une jeune fille de vingt-sept ans, suivie depuis ses vingt-deux ans par les docteurs Janet et Raymond. Il semble exister une grande proximité entre la malade et les médecins, qui s’attachent à faire part des états d’âme de Nadia et à comprendre ce qui provoque son anorexie. Les paroles qu’ils retranscrivent, fruit des « confidences bien curieuses » de leur patiente, laissent percevoir l’enfer qu’elle vit dans son combat contre la maladie. Plus qu’un texte de médecine, ce récit, très émouvant, constitue un véritable témoignage du vécu des patient.e.s en situation d’anorexie à la Belle-Epoque. Nadia confie ainsi aux médecins :

Quelquefois je passais des heures entières à penser à la nourriture, tellement j’avais faim : j’avalais ma salive, je mordais mon mouchoir, je me roulais par terre, tellement j’avais envie de manger. Je cherchais dans des livres des descriptions de repas et de grands festins, et je tâchais de tromper ma faim de m’imaginer que je goûtais moi aussi à toutes ces bonnes choses. Vraiment j’étais absolument affamée […]435

Ses aveux, retranscrits au discours direct, ont aussi pour sujet les causes directes de son anorexie : « « Je ne voulais, dit-elle, ni grossir, ni grandir, ni ressembler à une femme parce que j’aurai voulu rester toujours petite fille » ; « j’ai peur d’être moins aimée436 ».

Outre la retranscription de témoignages, des lettres, échangées entre les médecins et la patiente, sont aussi mentionnées : Nadia en aurait notamment écrit « plus de dix » au moment des fêtes, rongée par la culpabilité d’avoir mangé des chocolats437. Charles Féré

explique qu’une aide-soignante a retrouvé « des lettres écrites de [la] propre main » d’une patiente, adressées à un homme qu’elle a aimé et dont le rejet a provoqué son anorexie. Féré reconnaît lui-même l’importance de ces écrits, qui « constituaient un dossier particulièrement intéressant au point de vue de l’étiologie de la maladie.» Il remarque néanmoins que la patiente « n’avait jamais d’ailleurs tenté de faire parvenir » les missives : celles-ci sont alors plutôt de l’ordre de l’écrit intime438. D’autres auteurs mentionnent l’existence de lettres écrites par les malades. Celles-ci seraient autant de témoignages précieux pour comprendre l’intériorité des patient.e.s, mais les auteurs ne font qu’en citer le contenu et aucun ne les retranscrit directement. Parce qu’ils ne déclinent que très rarement l’identité des malades, ces sources sont malheureusement inaccessibles. Les retranscriptions des lettres, tout comme les prétendus témoignages des patient.e.s, doivent

435 JANET, Les Obsessions et la Psychasténie. Etudes cliniques et expérimentales sur les idées obsédantes, les impulsions, les manies mentales, la folie du doute, les tics., op. cit., p. 36‑37.

436 Ibid., p. 40. 437 Ibid., p. 38.

par conséquent toujours être étudiés avec précaution : le « je » des individus en situation d’anorexie est tracé de la main du médecin, qui peut modifier consciemment ou non les propos tenus.

Les difficultés d’ordre méthodologique énoncées ici relèvent toutes de la même question : comment écrire l’histoire d’individus sans leurs témoignages directs ? Cette difficulté est rencontrée régulièrement par ce.lles.ux travaillant sur l’histoire des « minorités », dont les sources sont inexistantes ou ont été mal conservées. Sylvie Chaperon, dans son ouvrage La médecine du sexe et les femmes, anthologie des

perversions féminines au XIXe siècle, choisit, face à la non-existence d’autobiographies

sexuelles féminines, de s’en tenir à une histoire des perversions féminines du point de vue médical masculin439. Le choix d’Eric Baratay, qui cherche à faire une histoire des animaux depuis leur point de vue et non pas celui des Hommes, est tout autre. Devant l’absence de sources produites par les bêtes, il offre d’utiliser des documents évoquant les comportements de ces derniers mais écrits par des Hommes. Pour ne pas tomber dans une approche anthropocentrique, il explique qu’il faut croiser ces regards du passé avec les connaissances scientifiques actuelles sur les comportements animaliers. Les sources sur lesquelles il travaille sont des « intermédiaires » à une connaissance produite à l’issue d’un travail transdisciplinaire440.

Ces deux démarches historiennes ont influencé et éclairé l’écriture de cette dernière partie, consacrée aux liens entre la culture, la société de la Belle-Epoque et le développement de l’anorexie mentale à cette période. Notre analyse croise, à la manière d’Eric Baratay, les sources du corpus avec les théories socio-culturelles actuelles des facteurs d’anorexie mentale ; tout en gardant à l’esprit les mots de Sylvie Chaperon :

Il n’appartient pas à une perspective d’histoire culturelle des sciences d’évaluer la part de vérité ou d’erreur que comportent toutes ces approximations. Aujourd’hui, sans doute, des psychiatres ou des psychologues peuvent retrouver dans les symptômes décrits des maladies ou des affects qu’ils connaissent bien sous d’autres noms et dans d’autres cadres étiologiques. Mais dans une démarche historienne, toutes les observations […]comme des manières de dire441

439 CHAPERON, La médecine du sexe et les femmes, op. cit., p. 11‑31.

440 BARATAY, Eric, « Passer du côté des bêtes : une nouvelle approche des territoires animaux », L'animal,

n° spécial Recherches sur la philosophie et le langage, 32, 2016, p. 123-139.

Chapitre 9 – Un corps et une alimentation sous contrôle : « quand

manger devient pathologique »

442

Aujourd’hui, il est considéré que l’anorexie est, en partie, une réaction face aux injonctions à la minceur dans les sociétés occidentales443. Plusieurs études, menées

régulièrement depuis les années 1990, ont notamment mis en avant le lien entre la lecture de magazines portant les corps minces à l’état de perfection par des adolescent.e.s et l’incidence des régimes amaigrissants chez ce.ux.lles ci444. Les « diktats de la minceur », la

pression toujours plus grande exercée sur les femmes et leur corps, pousseraient certaines à avoir une relation malsaine vis-à-vis de la nourriture, à enchaîner les régimes et à développer à la longue des troubles du comportement alimentaire. La promotion de la minceur comme idéal de réussite et de beauté commence, justement, à la fin du XIXe siècle, période pendant laquelle se fonde le diagnostic de l’anorexie mentale Nous envisagerons dans ce chapitre l’effectivité du lien entre les injonctions qui pèsent déjà sur les corps féminins au XIXe siècle et la prévalence de l’anorexie à cette période.

Un corps sous pression : tyrannie de la minceur et grossophobie

A la charnière entre le XIXe et le XXe siècle, les canons de beauté des corps féminins