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La nature des actions effectuées dans le RSE

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 177-181)

La mise en visibilité de leur identité numérique est par ailleurs le principal objectif assigné aux salariés du cas Agence par les écrans du RSE : en effet, nous avons montré dans le chapitre quatre de cette première partie que la plupart des actions qu’ils peuvent effectuer concernent cette identité numérique. Ainsi, contrairement à ce que nous avons supposé dans le chapitre introductif de cette première partie, les traces produites par les salariés relèvent quasiment exclusivement d’une praxis, les actions de production au sens d’une poièsis étant presque inexistantes, à l’exception de la médiation d’une information2 dont ils ne sont pas énonciateurs en tant que locuteurs, mais uniquement à titre de sujets parlant. A ceci s’ajoute que s’ils effectuent cette médiation, celle-ci s’inscrit nécessairement dans les écrans du

couvrant une plus grande surface à l’écran que les quelques données2 d’information2

secondaires permettant d’accéder à cette information2 dont ils sont médiateurs dans le RSE.

Le dispositif formé par le RSE du cas Agence ne conduit donc pas les salariés à faire l’acquisition d’une teknè, d’après notre analyse de ses écrans, mais d’une forme appauvrie d’hexis. Par ailleurs, cette expression du soi numérique des salariés du cas Agence étant indexée, mémorisée et écrite par le RSE, elle peut faire l’objet de recherche et de calculs, comme l’illustre le signe des cinq étoiles jaunes alignées, qui figure une évaluation, par le logiciel, de la quantité d’actions effectuées par les salariés. Les écrans du RSE du cas Agence suggèrent donc aux salariés un dispositif dont l’objectif stratégique est relatif à la fois à leur visibilité (et de fait, à leur potentielle invisibilité) ainsi qu’à l’évaluation de leur hexis, évaluation présentée en permanence à l’ensemble des salariés membres du RSE.

Dans ce cadre, l’analyse du cas Agence tend à mettre au jour un processus de

« gestionnarisation » au sens où « l’emploi de TIC aboutit à une gestion du problème auquel elle s’applique, ou plutôt à la mise en œuvre d’un mode gestionnaire de résolution du problème » (l’auteur met en italique) (Robert, 2009, p. 188). C’est-à-dire que le RSE du cas Agence, au départ mis en place pour résoudre un problème d’hétérogénéité des modes de travail collaboratif, aboutit à une gestion, un contrôle collectif des salariés de l’organisation. Collectif car chaque salarié membre du RSE voit les autres et leur évaluation, permettant ainsi à un éventuel regard hiérarchique de s’exercer, chacun étant susceptible d’endosser le rôle « des commis, des surveillants, des contrôleurs et des contremaîtres » (Foucault, 1975, p. 205).

Corollaires

En synthèse, nos travaux dans cette première partie ont confirmé les postulats et hypothèses que nous avons énoncés dans notre introduction générale, à l’exception de celle concernant la nature des actions effectuées au sein du dispositif, qui en conséquence invalide également celle consistant à supposer que le RSE permettrait aux salariés d’activer les mécanismes de la reconnaissance de leur travail. En effet, les actions suggérées par les écrans du RSE du cas Agence concernant l’expression de soi, l’évaluation et la reconnaissance éventuelles portent, dans ce dispositif, sur l’être et non le faire des salariés, d’une part, et, d’autre part, l’ensemble étant visible de tous les membres du RSE, elles n’émanent pas uniquement des individus en capacité d’évaluer réellement la qualité de leur travail, c’est-à-dire leurs pairs. Cela étant, une grande part de nos conclusions dans cette

première partie est fondée sur l’étude d’un élément, les écrans, d’un dispositif précis, celui formé par le RSE du cas Agence, pour lequel nous avons par ailleurs montré l’écart qui pouvait exister entre deux séries d’écrans RSE conçus à partir du même architexte.

L’analyse de cet écart nous a permis de caractériser la posture énonciative du promoteur interne de ce dispositif, c’est-à-dire la proposition qu’il fait aux salariés du cas Agence, en contraste avec celle que fait le concepteur du logiciel à ses prospects. Pour appréhender entièrement ce dispositif et étayer nos premiers résultats, il nous faut donc désormais examiner le discours de ces salariés, d’une part, et d’autre part mieux caractériser celui des énonciateurs qui sont dans une posture totalement externe au logiciel, c’est-à-dire celui que nous avons nommé le promoteur externe ainsi que le concepteur du RSE, lorsqu’il produit un discours commercial à propos de son logiciel en dehors de sa démonstration par écrans interposés.

Cette première partie, dans chacun de ses chapitres, a par ailleurs ouvert d’autres questionnements, tous relatifs à des ambiguïtés sémantiques. En particulier, notre étude des écrans des deux RSE et de Facebook a mis en exergue des contradictions complexes à préciser, que le concept d’énonciation éditoriale nous a permis tout du moins de caractériser. En effet, dans le fait que l’univers convoqué par l’énonciation éditoriale des deux séries d’écrans issues des RSE est celui de Facebook mais que par ailleurs ceux-ci n’offrent pour autant pas les mêmes modalités communicationnelles que le réseau socionumérique, voire les contredisent en ce qui concerne le RSE du cas Agence, nous constatons ce que nous pourrions considérer comme un décalage logique du « message » produit par ces écrans. Car les principales contradictions que nous avons relevées dans la remise en question d’une analogie entre le RSE et Facebook se situent entre l’énonciation éditoriale de ces écrits écrans et leur « texte premier ». Ainsi, si nous assimilons l’énonciation éditoriale au cadre d’énonciation, et le « texte premier » à l’énoncé du

« message » global de ces écrans, notre analyse montre que l’énoncé contredit le cadre d’énonciation, et inversement, ce qui revient à qualifier ce « message » de paradoxal. En effet, Daniel Bougnoux indique qu’il réserve le terme de paradoxe « à une contradiction verticale, non entre deux sujet affrontés, mais entre l’énoncé et l’énonciation qui donnent son relief logique au message, c’est-à-dire entre ce qu’il montre et ce qu’il dit » (Bougnoux, 2009, p. 25). Or, les écrans du RSE du cas Agence montrent l’univers de Facebook, mais ce qu’ils disent ne permet pas de réaliser ce que promet pourtant leur apparence, notamment du fait de l’absence de fonctions relationnelles, de partage, de messagerie instantanée ou de

vote via le signe « j’aime », qui sont pourtant typiques de Facebook et des médias socionumériques plus généralement. Si d’une part le message de ces écrans est paradoxal et que d’autre part le plan de l’expression laisse peu de place à celui du contenu, dans quelle mesure les salariés du cas Agence peuvent-ils interpréter le signe global de ces écrans, et par là comprendre la fonction du RSE dans l’organisation ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 177-181)