• Aucun résultat trouvé

§2 Un parti moderne.

A. La modernisation comme leitmotiv.

La question organisationnelle est centrale après Epinay en ce qu’elle pose le problème de l’articulation entre la pérennisation d’un modèle partisan et la conscience partagée par ses membres de la nécessité de se doter de structures partisanes à même de permettre la réussite de la stratégie électorale. Bien plus qu’un problème conjoncturel, se doter d’un outil partisan efficace, l’idée de modernisation du parti occupe bientôt une place centrale dans la compétition interne. Elle est notamment invoquée par les dirigeants lorsqu’un parti affronte une période de crise politique, défaite électorale et/ou changement de stratégie politique, lorsque, également, une nouvelle direction accède aux responsabilités188. Autrement dit, le caractère inaltérable des représentations liées à l’idéal du modèle du parti de masse conduit les dirigeants à présenter toute innovation organisationnelle comme une mise en conformité avec ce modèle. La prégnance de l’idéal militant s’exprime ainsi par le fait que la modernisation de l’organisation partisane ne saurait être envisagée comme le passage d’un type d’organisation à une autre, mais bien comme une mise en conformité actualisée du parti à l’idéal organisationnel qui le sous-tend. Une double exigence émerge donc : correspondre au modèle du parti de masse, tout en incarnant une rupture réelle avec la SFIO, gage de modernité. La campagne des élections présidentielles de 1974, dont le siège est situé à la Tour Montparnasse illustre cette exigence. De même, le changement de siège du parti est rapidement apparu comme une nécessité puisque si le premier déménagement place du Palais Bourbon, lieu hautement symbolique des prétentions du PS à exercer le pouvoir, intervient en 1977, l’idée est proposée officiellement dès le comité directeur du 25 mai 1974, avec pour objectif explicite de « Trouver un nouveau local avant juillet pour donner une autre image du parti et de son rayonnement »189. L’intériorisation par chacun des membres du parti de ce qu’il convient de présenter de soi publiquement190 produit alors un effet pervers au niveau du fonctionnement de l’organisation et pèse incontestablement sur l’adaptation des structures partisanes. En effet, dès lors qu’il est impératif de se présenter comme un militant, toute proposition de modification, d’adaptation des règles de fonctionnement ou des structures du parti ne peut, être présentée puis mise en œuvre, que dans le respect de cette représentation.

Le poids de la culture partisane se manifeste alors dans les lieux d’échanges que constituent les instances dirigeantes, les tribunes des congrès191 ou les conventions : il n’est possible de proposer des ajustements de l’organisation que dans la mesure où ceux-ci ne remettent pas en cause la figure du

188

Ce cas de figure est notamment envisagé par A. Panebianco dans son modèle du changement partisan, puisque pour lui, la succession des fins (articulation of ends) dépend du remplacement de la coalition dominante en place par une nouvelle. Voir Panebianco (A.), op. cit., p. 15-17.

189

Compte-rendu du comité directeur du 25 mai 1974, archives OURS.

190

La distanciation que les dirigeants socialistes marquent par rapport à cette posture souligne cependant bien la distinction entre espaces publics partisans et espaces privés ; distinction qui n’est pas sans renvoyer à la scène et à ses coulisses au sens de Goffman. Voir Goffman (E.), La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Editions de Minuit, col. Le sens commun, 1979. Suite à l’investissement divers, variable et distancié que peut revêtir la notion de militant, il semble pour cette raison préférable de relativiser la notion de patrimoine génétique.

191

Sur ce que disent les congrès des partis, cf. Faucher-King (F.), Changing parties : an anthropology of British political

militant. Tout dirigeant négligeant cet aspect voit alors sa proposition rejetée au nom d’un refus de conformation à ce qui est dicible au sein des instances du parti. La question du statut des sympathisants a longtemps était rejetée au motif qu’elle remet en cause l’idée de militantisme au sein du parti, selon un processus argumentatif bien rôdé : donner des droits aux sympathisants suppose la négation de l’investissement militant des adhérents, ce qui reviendrait à transformer le PS en « parti à l’américaine »192, en opposition avec sa vocation militante.

Encadré 2. L’usage des catégorisations partisanes par les membres des partis politiques. Les catégorisations partisanes ne sont pas sans influencer les acteurs partisans. Ceux-ci sont en effet très vigilants à présenter leur action conformément aux formes d’organisations qu’ils estiment légitimes dans le cadre de leur engagement. Cette réalité est évidente dans le cas du PS où la plupart des dirigeants aiment à se présenter comme des militants, conformément à la vocation du parti. Cette posture n’est pas sans rappeler que la culture d’un parti innerve et guide les représentations que les agents se font d’eux-mêmes et souligne leur volonté de conformation de leur statut à ce que devrait être l’organisation. Parti de militants ou d’élus ? Pour les dirigeants du PS, la question n’a pas lieu d’être, puisque chacun estime être un militant parmi d’autres. La réalité électorale du parti, selon une formule bien connue au Parti socialiste, « un tiers des membres sont élus, un autre tiers aspire à l’être et le troisième est un membre de la famille de l’élu », n’érode que faiblement l’idée que se font les dirigeants des propriétés valorisantes qu’il convient de mobiliser. Cette stratégie de présentation de soi les conduit alors à s’affirmer avant tout comme des militants et à présenter le PS comme un parti de militants. Une telle posture ne résiste généralement pas lors des entretiens réalisés et conduit rapidement les interviewés à considérer que si le PS n’est plus un parti de militants de par ses pratiques et la place qu’y occupent les élus, eux continuent à l’être. Rares sont les personnes interrogées acceptant de livrer une analyse « lucide » de leur situation et de celle du parti. La posture réaliste qu’adoptent ces dirigeants se réalise alors sur le mode du désenchantement, traduisant en creux la prégnance et la permanence de l’idéal militant : « Il ne faut pas se voiler la face et avoir le courage de dire ce que l’on est vraiment. On est un parti d’élus et les élus, qu’est-ce que cela veut dire quand ils sont toujours en train de se présenter comme ce qu’ils ne sont plus, parce qu’ils l’ont été, c'est-à-dire des militants ? Le parti ne peut pas fonctionner si on a des gens qui sont toujours en train de dire un truc alors que dans la réalité, ils sont autre chose », N. Bricq, sénatrice, entretien personnel du 21 février 2005.

Pour cette raison, toute proposition de modernisation est non seulement déterminée par une condition opératoire, la conformité aux représentations en vigueur dans le parti, mais la modernisation apparaît comme un moyen de mettre en adéquation les structures du parti avec les évolutions constatables de celui-ci :

« Il s’agit plus de structures que de statuts. [...] Nous devons plus encore examiner attentivement ce que doit être un grand parti moderne, efficace, ouvert qui veut changer la vie »

R. Fajardie, alors Secrétaire national aux élections, in Convention nationale de Suresnes du 23 mars 1974, Sténotypies OURS, p. 11

Derrière l’impératif modernisateur, c’est donc bien une forme particulière de la modernité partisane qui est envisagée et qui s’inscrit durablement dans la culture socialiste. Les prochains chapitres montreront que cette « modernité » va avoir paradoxalement des effets conservateurs très

192

Le « parti à l’américaine » fut sollicité non seulement du point de vue des modes d’engagement, mais également par rapport à l’orientation stratégique du parti, J.-P. Chevènement inaugurant la formule pour stigmatiser les « dérives centristes » du courant rocardien.

puissants en empêchant des réformes au nom justement de la conformation à ce qu’elle représente. Les luttes pour la définition de ce que doit être le parti et donc pour ce que doit être un PS moderne indiquent toute la force d’inertie de cette représentation de la modernité. Ce sont alors autant les usages de cette idée de modernisation que la modernisation elle-même qu’il convient d’envisager.

Il apparaît en effet que ces usages et les effets concrets de l’idée de modernisation ne peuvent être envisagés indépendamment de l’ordre légitime qu’ils traduisent d’un point de vue organisationnel.

B. Usage de l’idée de modernisation et émergence